De bonnes raisons, ou l’artisanat du risque à mains nues

Cage de scène ouverte à 360°, sur le grand plateau du Monfort se love aujourd’hui un petit cirque. Piste, gradin, une perche, une bascule, une guirlande de loupiotes, deux acrobates, on y est !

Interrogations existentielles et voltige font bon ménage, et on les découvre même voisinant en haut d’une perche, dans le crâne en ébullition d’un voltigeur à 7 mètres du sol.
Les deux lascars, Matthieu Gary et Sidney Pin, qui ont fondé la compagnie La Volte-Cirque en 2018, n’en sont pas à leur première chute partagée.
De fausses impros en vraies prouesses, Mathieu est en haut qui fait le p’tit oiseau, Sydney est en bas qui fait les gros bras.

Le chemin sur lequel Matthieu Gary et Sidney Pin nous emmènent sillonne à partir d’une illusion de work in progress très maîtrisée. Les deux circassiens se révèlent des acteurs d’une belle justesse, répandant une impression de grande spontanéité, d’invention permanente, alors même que leurs échanges sont ciselés au silence près.
Ils nous embarquent dans la reconstruction d’un moment de création, nous faisant spectateurs de leurs doutes et questionnements, nous entraînant dans leurs recherches de solutions et nous prenant à témoin de leurs réponses.
 

 

« Matthieu, le voltigeur — Je tombe tout le temps ?
Sidney, le porteur — Moi je dirais plutôt que je te rattrape tout le temps »
« Matthieu — C’est hyper dangereux ton truc
Sidney — Ben ouais »

 

On assiste à une chorégraphie du danger et de la confiance, où, de corps-à-corps intenses en voltiges perchées, risque et sécurité dansent l’immémorial pas-de-deux d’Eros et Thanatos. Sans se départir jamais d’un humour très allègre, parfois même d’un esprit de farce très joueur, Matthieu et Sidney se livrent, mettant à nu leurs peurs, la panique qui recrée le monde, qui rétrécit la pensée, cherchant ces « bonnes raisons » qu’ils ont d’ensemble frôler et éviter le péril, interrogeant leur désir d’aventure et le désir d’affronter la vie, donc la mort qui s’y cache.

On parle beaucoup, dans De bonnes raisons. On y apprend cette chose troublante, qu’on pourrait appeler le paradoxe de la perche ? : en allant plus haut, on augmente le danger, mais on réduit les risques (en donnant plus d’amplitude au porteur pour réagir). On parle, on réfléchit, on rit beaucoup.
On parle mais on ne discourt pas. À mille lieux d’une conférence, plutôt au cœur d’une pensée en mouvement, dans la construction physique du déséquilibre et de la complicité, dans ce lieu où on éprouve son corps, où on partage une expérience.
Et quand les mots cessent, naît l’émotion. Car Matthieu et Sidney savent aussi nous saisir par surprise ou nous amener pas à pas à ce point où l’on a le souffle coupé, le cœur un peu battant d’appréhension et l’âme émerveillée. Ils nous offrent, en un art du cirque très nu, au plus simple, de ces instants gracieux où la virtuosité crée la poésie.
 

 
Une forme légère : deux artistes, un régisseur polymorphe, deux agrès des plus simples – la perche, la bascule, 200 paires d’yeux aux aguets, une once de requiem, un souffle de philosophie, beaucoup d’agilité technique et mentale : c’est peu, ça tient dans 10 mètres de diamètre, mais avec une vive intelligence et un rythme implacable, il n’en faut pas plus pour faire naître rires et frissons : un spectacle pertinent, drôle et tonique, à voir en famille !

Marie-Hélène Guérin

 

DE BONNES RAISONS
Un spectacle de la compagnie La Volte-Cirque
Au Monfort Théâtre, jusqu’au 19 novembre
Ecriture et jeu : Matthieu Gary et Sidney Pin
 

0 réponses

Répondre

Se joindre à la discussion ?
Vous êtes libre de contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.