Désobéir : la parole aux femmes !
Très emballée par La Tendresse vue aux Bouffes du Nord il y a quelques semaines (chronique à retrouver ici), avec le même trio d’auteurs Julie Berès, Kevin Keiss et Alice Zeniter, qui mettait en scène la parole des jeunes hommes d’aujourd’hui et leur rapport à la sentimentalité, au désir et aux problématiques de leur génération, j’ai été très friande de découvrir Désobéir, qui, sur le même procédé d’enquêtes documentaires sur le terrain, avec des associations telles que L’Association des femmes sans voiles d’Aubervilliers, La Brigade des mères de Sevran, Les élèves de l’option théâtre du lycée Le Corbusier d’Aubervilliers, l’association Mille Visages, le dispositif Premier Acte, ont reconstruit la parole et mis en mouvement le corps des jeunes femmes d’aujourd’hui.
© Axelle de Russe
Cependant, le parti pris est un peu différent que celui de La Tendresse, dans la mesure où les personnages féminins sont tous issus de l’immigration de première, deuxième et troisième génération, à dominante musulmane, sauf pour une, qui est définie comme chrétienne évangéliste, normande, noire et férue de théâtre.
C’est ainsi que le texte modèle des archétypes parcellaires, avec toujours cette pointe de tendresse déjà trouvée dans la pièce vue aux Bouffes du Nord, en montrant une Iranienne sauvée par la danse et en révolte face à sa culture paternelle violente, fondée sur la soumission des femmes, qui aura droit à un petit séjour à l’hôpital psychiatrique quand elle pointera un couteau face à la violence physique de son père ; une Marocaine, qui a suivi sa scolarité dans une école coranique et qui se moque des récitations par cœur des sourates du Coran, dont elle n’a rien retenu et de ce mode d’enseignement d’un autre temps ; d’une Kabyle, contactée sur Facebook, alors qu’elle y livre son ressentiment face à l’injustice du monde, contactée par un certain Assan, qui, charmant dans leurs échanges, attentifs à ses préoccupations, d’abord sur Facebook et ensuite sur WhatsApp, l’amènera peu à peu, au nom de l’Islam, à faire le tri dans ses vêtements pour arrêter de ressembler à une « boule à facettes » et à porter le voile noir de pied en cap, puis à enlever toutes les photos dans sa chambre, celles de sa famille, celle de son chat adoré, à ne plus écouter de musique, à s’isoler du monde pour atteindre la pureté, puis jusqu’à le rejoindre en cachette et découvrir qu’il s’est joué d’elle, qu’il est marié, vieux et exige d’elle le renoncement à sa vie de joie. Heureusement, elle saura s’échapper à temps. Ce témoignage, porté en entrée de spectacle, par une comédienne, sur une simple chaise, d’une voix nue, amène la boule au ventre et les larmes aux yeux et nous interroge sur les risques que prennent nos enfants à surfer sur les réseaux sociaux, un témoignage sans fioriture, dans la simplicité de la parole d’une jeune femme attristée parce qu’on a voulu la réduire à néant.
© Axelle de Russe
Une performance d’actrice est à souligner, celle de la comédienne Julie Grelet, qui a su endosser les rôles du père africain évangéliste réveillant ses enfants la nuit pour les faire prier, de la mère également africaine, qui se lamente comme on imagine une mamma se lamentant à hauts cris et jouant son rôle d’éplorée. Et surtout la manière dont elle revisite et dont les auteurs revisitent également le rôle d’Agnès dans L’Ecole des femmes de Molière, où tout le sens nous parvient, mais dans une langue vernaculaire à ne pas piquer des vers. Et à l’occasion de cette scène, on apprendra que cette jeune femme, pressentie pour le rôle d’Agnès, ne l’obtiendra finalement pas, parce que son appartenance ethnique pourrait amener à d’autres conclusions sur le commerce triangulaire. Les auteurs nous montrent aussi que dans leur milieu, les préjugés peuvent également desservir une jeune femme noire simplement parce qu’elle est noire.
Comme vous l’aurez compris, le thème de la religion est omniprésent, mais pas seulement, le racisme, le machisme, le désir, la représentation féminine sont également portés à voix haute, mais uniquement esquissés et on a un peu l’impression de tourner en boucle sur les questions de religions. Toutefois, ce thème est certainement une préoccupation importante dans la vie des jeunes femmes d’aujourd’hui et notamment dans la vie des jeunes femmes issues de la religion musulmane et peut-être qu’il est vital de souligner à ce point cette problématique pour qu’émerge la voix des jeunes femmes aujourd’hui, opprimées par cette origine. Je ne sais pas si cela peut être reçu sans a priori de part et d’autre. Toujours est-il que le public parisien, de jeunes adultes principalement, a été très sensible à l’ensemble du spectacle et des échos ont semblé se répercuter dans l’assistance tout au long de la pièce.
© Willy Vainqueur
Le corps bien sûr est très présent tout à long du spectacle, avec la danse et la musique, avec parfois des superpositions entre leurs désirs de liberté et les modèles masculins irréductibles auxquels elles sont soumises malgré elles. On pourra penser notamment à se référer au film Mignonne de Maïmounna Doucouré pour un éclairage supplémentaire sur cette question-là.
Et bien évidemment, la bouche des femmes, leur force à parler, évocation universelle de toutes les époques et de toutes les cultures est très bien montrée dans ce spectacle comme arme de leur liberté.
Elles parlent et même si parfois elles peuvent nous sembler naïves, peu importe, elles parlent et touchent notre sensibilité et soulèvent les tabous et les non-dits d’une époque.
Isabelle Buisson
DÉSOBÉIR
A la Grande Halle de la Villette jusqu’au 4 juin 2022.
Au théâtre du Rond-Point du 15 au 26 juin 2022.
Avec Ava Baya en alternance avec Déborah Dozoul, Lou-Adriana Bouziouane en alternance avec Julie Grelet, Charmine Fariborzi en alternance avec Sonia Bel Hadj, Brahim Bénicia Makengele
Texte Julie Berès, Kevin Keiss, Alice Zeniter
Dramaturgie Kevin Keiss
Travail sur le corps Jessica Noita
Scénographie Marc Lainé Et Stephan Zimmerli
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