Cellule grise

Jean Genet écrit cette pièce en prison en 1942. Il ne cessera de la remanier jusqu’à sa mort…
Les trois protagonistes ont l’âge qu’il avait lorsqu’il l’a composée, une vingtaine d’années. Peut-être ne la trouvait-il pas assez aboutie ? Cédric Gourmelon a relevé le défi et l’a montée cette saison avec quatre comédiens du Français au Studio-Théâtre.
Dans une cellule, trois jeunes prisonniers se disputent au sujet de l’épouse de l’un deux : Yeux verts (Sébastien Pouderoux) qui a tué une femme et va être exécuté. Les deux autres sont emprisonnés pour des délits mineurs. Seul Yeux Verts a tué, ce qui lui confère une aura : il est d’autant plus intéressant qu’il va mourir. Les deux autres le respectent et lui demandent de raconter encore et encore comment il a commis son crime. Yeux verts condamné à mort est un héros.

Il est fort, costaud et le jeune Maurice (Christophe Montenez) l’admire ; Lefranc (Jérémy Lopez) également. Mais ce dernier est aussi amoureux de sa femme, à qui il écrit des lettres (Yeux Verts est analphabète ). Yeux Verts a d’ailleurs une confiance toute relative en Lefranc. En prison, il est une vedette, au même titre que Boule de Neige dont on parle beaucoup mais qu’on ne voit jamais. Lefranc envie tant Yeux Verts que pour le rejoindre et partager son sort – la mort – il étrangle Maurice. Les acteurs interprètent avec brio ces personnages de désespérés, « suicidaires ». Yeux Verts se fait une gloire  d’avoir tué. Dans cet enfer carcéral, Lefranc veut, à l’instar de Yeux Verts se sauver en s’anéantissant. Son crime est gratuit. Le crime et la trahison sont exaltés. Il n’y a aucune morale. Seulement du désespoir. L’écriture de Genet est sans concession.

Les acteurs sont tous les quatre parfaits dans les rôles respectifs de ces voyous provocateurs. Ni regret ni remords pour Yeux Verts, exaltation pour Lefranc, admiration mêlée d’angoisse pour Maurice. Seul le gardien (Pierre-Louis Calixte) manifeste de l’empathie. Les acteurs suggèrent très bien à la fois la quête d’identité, la recherche voire la sublimation de la mort et l’intérêt plus ou moins grand pour la femme d’Yeux Verts. Maurice se sacrifie en quelque sorte et semble accepter que Lefranc le tue pour devenir l’égal d’Yeux Verts. La mise en scène est en phase avec ce texte dénué de véritable tristesse et de regret, rempli de haine et de révolte froide. L’absence totale de décor renforce cette impression. Cette pièce de Jean Genet n’a pas été jouée souvent ; c’est pourquoi il faut remercier Cédric Gourmelon d’avoir tenté et réussi cette expérience avec ces quatre immenses comédiens.

Marie-Christine Fasquelle

HAUTE SURVEILLANCE
À l’affiche du Studio-Théâtre de la Comédie-Française du 16 septembre au 29 octobre 2017 (mercredi au dimanche 18h30)
Texte : Jean Genêt
Mise en scène : Cédric Gourmelon
Avec : Pierre-Louis Calixte, Jérémy Lopez, Christophe Montenez, Sébastien Pouderoux,

 

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