Jan Karski, son nom est immortel

Plutôt que « Jan Karski, mon nom est une fiction » Arthur Nauzyciel aurait pu intituler sa pièce  « Jan Karski, mon nom est personne ». Car lorsque ce résistant polonais, évadé plusieurs fois, parvient à rejoindre les Etats-Unis et à rencontrer Roosevelt le 28 juillet 1943, il se présente au Président sous le nom de NOBODY. Pourquoi ce pied de nez, cette pirouette qui le surprend lui-même ? Se nomme-t-il “nobody” parce que Jan Karski n’est pas son vrai nom, mais un nom de couverture, son nom de résistant ? Ou plus vraisemblablement, se rebaptise-t-il “nobody”  parce qu’il a le sentiment de n’être plus rien ni personne…

Jan Karski (mon nom est une fiction), Théâtre de la Colline, Arthur Nauzyciel, Laurent Poitrenaux, Pianopanier@Frédéric Nauzyciel 

“Je sais quand je suis mort”

Car Jan Karski se souvient précisément du jour où il a cessé de vivre : ce jour de 1942 où il a accepté, après avoir arpenté les rues du ghetto de Varsovie, de pénétrer au sein d’Izbica Lubelska, l’un des premiers camps de la mort construits en Pologne. À partir de ce jour, son destin, sa vie ont consisté en une seule mission : témoigner auprès des Alliés – car lui savait, lui avait vu (“sans doute ne sait-on rien tant qu’on n’a pas vu“).

En véritable héros, il traverse l’Europe en guerre pour gagner Londres et remettre au Gouvernement polonais en exil un compte-rendu sur l’extermination des juifs en Pologne occupée. L’année suivante, c’est aux Etats-Unis qu’il part délivrer son message… Hélas, aussi déconcertant et scandaleux que cela puisse paraître aujourd’hui, sa parole n’est pas entendue. Parce qu’on ne veut pas l’entendre. “Plus encore que de ces images, je voudrais me défaire de l’idée que ces choses ont eu lieu”. Ces choses qu’évoque Jan Karski, ce sont évidemment les atrocités des camps de la mort, mais aussi, très certainement, l’inimaginable réaction des autorités anglo-saxonnes -“la surdité n’est qu’une ruse du mal”.

Jan Karski (mon nom est une fiction), Théâtre de la Colline, Arthur Nauzyciel, Laurent Poitrenaux, Pianopanier

“Des êtres humains qui n’ont plus l’air vivant mais qui ne sont pas morts, qu’est-ce que c’est ?”

Pour nous raconter cette histoire, cette vie hors du commun, Arthur Nauzyciel a choisi d’adapter le roman de Yannick Haenel : son spectacle en forme de triptyque fut acclamé lors de sa création à Avignon en 2011. Dans la première partie, c’est le metteur en scène lui-même qui nous retrace la vie de Jan Karski. Tout en sobriété et retenue, Nauzyciel fait référence au film de Claude Lanzmann, SHOAH, dans lequel témoigne largement Jan Karski. Dans la deuxième partie, on entend une nouvelle fois, mais différemment, l’histoire du résistant polonais, par la voix si caractéristique de Marthe Keller, tandis que sont projetés sur un écran les plans du ghetto de Varsovie. Dernière partie, la plus poignante : Jan Karski apparait sous les traits, dans le corps, les gestes et la posture Laurent Poitrenaux…

On le savait immense comédien, mais ce qu’il fait dans ce spectacle est inouï. Plus d’une heure sur le plateau, dans le magnifique décor de Riccardo Hernandez, comme suspendu dans les airs, il redonne vie au héros, à ses fantômes, à ses peurs et cauchemars. Chaque geste, chaque intonation de voix a un pouvoir hypnotique. Alors, on le suit, on embarque, on plonge avec lui… Jusqu’à ce bouleversant final dans lequel il nous invite à une danse de mort dont on ne sort pas indemne… Il est primordial que Jan Karski reste vivant en chacun de nous : merci à Arthur Nauzyciel et Laurent Poitrenaux d’y contribuer aussi violemment.

JAN KARSKI (MON NOM EST UNE FICTION)
À l’affiche du Théâtre de la Colline du 8 au 18 juin 2017 (20h30 du mercredi au samedi, mardi à 19h30, dimanche à 15h30)
D’après le roman de : Yannick Haenel
Mise en scène : Arthur Nauzyciel
Avec : Manon Greiner, Arthur Nauzyciel et Laurent Poitrenaux

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