La Tendresse : Ça pulse aux Bouffes du Nord !

Déjà, il me faut vous parler du théâtre des Bouffes du Nord, qui vaut à lui seul le détour, même si vous n’allez pas voir de spectacle. Tout en hauteur baroque, datant de 1876, il est un havre inattendu sur le boulevard de la Chapelle, vieux de plusieurs siècles, on sent à travers la patine de ses murs toute son histoire qui a porté tant de spectacles. Il est un dinosaure inébranlable accroché aux encablures de la gare du Nord.
Mais en plus, quand on assiste à un spectacle tel que La Tendresse, la salle de spectacle en est d’autant plus sublimée.

La Tendresse donc vous en mettra plein la vue dès son ouverture, plein la vue, plein les oreilles et vous fera souvent rire. C’est ce qu’on appelle un spectacle où tout a été pensé de bout en bout et où tout semble millimétré et chronométré comme dans une comédie musicale à l’américaine des temps contemporains.
Huit jeunes d’une banlieue mythifiée se retrouvent en bas de leur cité pour discuter comme ils le font sans doute très souvent. Les corps qui parlent alors à travers le hip hop, les battles et la pantomime, le chant et des paroles dites avec la force de la virilité, où les visages convulsent et rougissent pour exprimer leurs sentiments et où les corps virevoltent et cherchent la confrontation.

Le plateau est constitué de différents niveaux, la scène avec de larges toboggans d’ardoise à chaque extrémité, sur laquelle les corps glissent, patinent, dégringolent et une coursive en hauteur, sur laquelle les corps peuvent se pendre et se laisser choir. On assistera, par exemple, à des reconstitutions exagérées de scènes de films de guerre, avec les musiques en rapport, qui sont comme autant de catharsis comiques et qui donnent le « la » musclé au spectacle.
La musique a une importance phénoménale dans ce spectacle. Elle accompagne les acteurs-danseurs dans les beats pulsés de morceaux qui nous donnent souvent envie de nous lever et de remuer avec les comédiens. Des morceaux isolés seront chantés, parfois anachroniques pour mieux nous faire rire, comme « Je suis malade » de Serge Lama tout à fait décalé dans cet univers de rap et de break.
Tout au long d’une soirée imaginaire, leurs joutes oratoires et physiques défricheront des thèmes de leur intimité et de la société, de leur place en tant qu’hommes vis-à-vis des femmes et de leur famille. La première question sera de savoir quelle aura été leur première fois avec une femme. Ils sauront se livrer un à un avec leur fragilité, où le discours dominant reviendra sur cette époque où les femmes ne se laissent plus faire et mettent à mal les archétypes de la société paternaliste et déboulonnent les acquis des hommes, qui se retrouvent tout chamboulés. C’est ce qui ressortira du texte co-écrit par Kevin Keiss, Lisa Guez et Julie Berès, avec la collaboration d’Alice Zeniter, texte très documenté, avec le portrait de 8 jeunes hommes et leur singularité qui se veut représentative d’une génération et d’un genre.

Peut-être que si des jeunes hommes de banlieue parisienne viennent voir cette pièce, ils ne se reconnaitront pas dans ces portraits peut-être un peu trop propres dans leur langage et un peu trop haut en couleur dans leur attitude vestimentaire et un peu trop souriants dans leur faciès. Mais peu importe, l’objectif d’une restitution d’une parole d’époque genrée semble tout de même atteint, avec le décalage que la littérature et la comédie peuvent apporter et on apprendra, au fil du spectacle, beaucoup de choses sur ceux-ci. On a un peu l’impression de pénétrer dans un univers qui nous est la plupart du temps caché et que l’on craint. Là, on découvre des jeunes avec leur faiblesse et leurs interrogations et en même temps avec toute la puissance de leur âge et de leur sexe.
Un spectacle sans conteste énergisant et intelligent. Une restriction pour les moins de 15 ans eu égard à quelques scènes un peu crues.

Isabelle Buisson

 

La Tendresse
Un spectacle de la Compagnie Les Cambrioleurs
Aux Bouffes du Nord, jusqu’au 22 mai à 20h30.
Avec Bboy Junior (Junior Bosila), Natan Bouzy, Naso Fariborzi, Alexandre Liberati, Tigran Mekhitarian, Djamil Mohamed, Romain Scheiner, Mohamed Seddiki.
Conception et mise en scène : Julie Berès
Écriture et dramaturgie : Kevin Keiss, Lisa Guez et Julie Berès, avec la collaboration d’Alice Zeniter Chorégraphe Jessica Noita
Création lumière : Kélig Le Bars | Création son et musique : Colombine Jacquemont | Assistant à la composition : Martin Leterme | Scénographie : Goury | Création costumes Caroline Tavernier et Marjolaine Mansot | Régie générale : Quentin Maudet | Régie plateau : Dylan Plaincham
Photos © Axelle de Russé
 

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