La tragédie du Roi Christophe… un Annapurna tropical

Le Roi Christophe, libérateur aux côtés de Toussaint l’Ouverture, est un jeune monarque visionnaire et charismatique qui prend le pouvoir en 1804 en Haïti, là “où la négritude s’est mise debout pour la première fois…à la face du monde, debout et libre”. Aimé Césaire n’a pas voulu seulement confier à cette pièce publiée en 1963, une immense portée politique, il l’a aussi dotée d’une résonance humaine et métaphysique qui puise toute sa force dans l’âme haïtienne.
Ce n’est sans doute pas un hasard si Haïti inspire des auteurs de génie, et ces auteurs ne doivent-ils pas une part de leur “génialité” à cette source infinie d’inspiration qu’est Haïti ?

Vouloir porter seul le destin de cette nation si singulière est sans doute un fardeau trop lourd pour le Roi Christophe, comme pour ceux qui lui ont succédé. La tragédie s’installe dès le commencement, profondément humaine, “une marche à la mort, à travers la solitude qui s’installe progressivement autour de lui…”. Il n’aura de cesse de la provoquer.
Christophe est l’incarnation du Dieu Shango, brutal, tyrannique, tout à la fois visionnaire et bienfaisant, destructeur et fertile… De façon indissociable, il est accompagné par Hugonin, son bouffon, son oxygène, son contradicteur. Lui est Edshou, le Dieu malin.

La Tragédie du Roi Christophe, Aimé Césaire, Christian Schiaretti, Théâtre des Gémeaux de Sceaux, critique PIanopanier@Michel Cavalca

Tous les deux, chantres des contrastes et des “contradictions qui sont notre espoir” (pour citer Brecht), avancent dans une dualité sans âge, dessinant peu à peu le contour du Haïti d’aujourd’hui, paré de magie, habité par cette résilience particulière qui suscite notre fascination.

Le texte d’Aimé Césaire est un véritable Annapurna Tropical : il faut bien du talent ou une certaine inconscience pour s’y attaquer. L’interprétation de Marc Zinga en Roi Christophe, est colossale; son personnage ne résistera pas à l’ascension, trop pressé qu’il est par l’Histoire. Mais l’acteur, lui, ne chutera pas. Il luttera sang et sueur jusqu’à son dernier souffle, pour nous laisser entrevoir une dernière fois la flamme de renaissance qui l’a porté depuis le début.

La Tragédie du Roi Christophe, Aimé Césaire, Christian Schiaretti, Théâtre des Gémeaux de Sceaux, critique PIanopanier

La performance des deux principaux personnages est forte, prenante, étouffante même. Elle est très généreusement soulignée par une troupe d’une quarantaine d’acteurs et musiciens, qui se donnent avec le plaisir contagieux de nous conter une part de leur histoire, une histoire d’hier, une histoire d’aujourd’hui.
La mise en scène est colorée, riche, orchestrée, mais on se surprend malgré tout à regretter un certain manque d’audace et de modernité, un quelque chose qui pourrait apporter un supplément de lumière à ce dialogue entre un passé de fer inoubliable et un présent mou qu’il ne faut cesser de provoquer … mais la pièce d’Aimé Césaire en a-t-elle seulement besoin?

Haïti reste le symbole très contemporain du difficile devenir des nations africaines au temps des indépendances. La Tragédie du Roi Christophe aux Gémeaux de Sceaux en est une belle et intelligente incarnation.

LA TRAGEDIE DU ROI CHRISTOPHE– Une pièce d’Aimé Césaire
Mise en scène : Christian Schiaretti / Théâtre National Populaire Villeurbanne
Avec : Marc Zinga, Stéphane Bernard, Yaya Mbile Bitang*, Olivier Borle, Paterne Boghasin,
Mwanza Goutier, Safourata Kaboré*, Marcel Mankita, Bwanga Pilipili, Emmanuel Rotoubam
Mbaide*, Halimata Nikiema* Aristide Tarnagda*, Mahamadou Tindano*, Julien Tiphaine, Charles
Wattara*, Rémi Yameogo*, Marius Yelolo, Paul Zoungrana*, et des figurants
*collectif Béneeré
Du 22 février au 12 mars 2017 au Théâtre des Gémeaux de Sceaux – du mercredi au samedi à 20h45, le dimanche à 17h

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