Le Périmètre de Denver : combien de folies tiennent dans (et sur) la tête de Vimala Pons ?
Vimala Pons, performeuse protéiforme, qu’on avait aimé dans le fondateur Notes on the circus, puis dans Grande, a décidé de nous embarquer dans une triple enquête.
Qui a tué Stéphane Dosis, intervenant numérique (plus rapidement : troll) ? et comment ?
D’un coup de couteau dans la bibliothèque par le Colonel Moutarde ? par Angela Merkel, par un balnéothérapeute, une petite vieille, un vigile défaillant ? Avec une tasse de café ? de lait ? un éboulement de carrière ? une arme à feu ? un iPad ?
Du jeu de Cluedo distordu qu’elle nous propose, Vimala Pons nous fera basculer dans un hypothétique « périmètre de Denver » – « espace d’incertitude crée par un mensonge; plus précisément une boucle de temps qui se répète en s’adaptant à de nouvelles situations », puis par ricochet dans les mécanismes de la fabrication du factice.
Sept personnages sont convoqués pour une reconstitution policière, sept témoins qui auront chacun leur perception du moment fatidique. Sept témoins : sept réalités, sept déformations du monde. Autant de corps, de voix, d’accents (suisse-argentin, hollandais-américain, allemand, italien, français…) et d’âges, surgissant d’une Vimala Pons caméléon, soutenue dans ses métamorphoses par un travail technique remarquable.
Démarrage en fanfare, avec une Allemande à la silhouette lourde et la voix douce, tellement angelamerkelesque que c’en est elle, qui se dépouillera de sa façade de femme politique en même temps que des dizaines de vêtements qui la recouvrent en un abracadabrant effeuillage, un bloc de fausses roches deux fois plus haut qu’elle juché en équilibre précaire sur sa tête. Hypnotique et saisissant.
Confessions, petites manies, alibis, « emploi du temps le jour du meurtre » (comme on dit dans les séries policières), manipulation d’ « evidence » (comme on dit dans les séries policières américaines), échafaudage de la chose à porter (mission, prison ou passion : carrière, table de réunion, fiat panda…), puis dépose de la chose qui fut portée. Enfin, dépose du visage, des atours et même de la voix du témoin, le tout finissant en tas au pied de son fardeau, tandis que dans un mouvement inverse Vimala Pons offre, elle, la vérité de ses contrefaçons, masques et prothèses déformant son corps à vue.
Chaque protagonistes suivra le même trajet, ou presque. Dans une scénographie très cérébrale, dense et sophistiquée, les rouages du temps (ou plutôt des temps : temps de l’action, de la narration, de la représentation) tournent sur un rythme soutenu, avec quelques grincements et autres grippages qui les font dérailler, comme déraille la notion de réalité dans ce spectacle twinpeaksien.
Avec ce Périmètre de Denvier, Vimala Pons, bousculant nos repères, invente une formidable machine à jouer, où elle se livre à une performance invraisemblable, tandis qu’elle y invite le spectateur à un jeu de piste farfelu. Elle portera, cariatide svelte et tenace, empilements de roches ou de boîtes, table ou voiture, on guettera les répétitions et leurs variations, les indices et les fausses pistes. On découvrira peut-être même qui a commis le crime, allez savoir.
Un spectacle qui se joue avec obstination du réel, mettant à nu les corps comme les mécanismes de construction de la fiction. Intelligent et ludique. Une tonique stimulation de nos « petites cellules grises ».
Marie-Hélène Guérin
LE PÉRIMÈTRE DE DENVER
Au 104 jusqu’au 26 février
en partenariat avec le Centre Pompidou et l’IRCAM, dans le cadre du festival Les Singulier·e·s
Conception, réalisation, texte et création sonore : Vimala Pons
Collaboration artistique : Tsirihaka Harrivel
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