L’homme qui dormait sous mon lit, réjouissante « dystopie joyeuse »

Dans un temps d’un futur tellement proche qu’il a des airs de présent, une jeune femme, dite « l’hôtesse », car on n’est jamais trop courtois, accueille un réfugié, dit « l’invité », car on n’est jamais trop hypocrite.
L’espace est restreint, les deux se partagent un trop petit studio, une chaise pour deux, le dessus du lit pour elle, et le dessous pour lui. Une modératrice, pseudo-neutralité qui sait que charité bien ordonnée commence par soi-même, Suisse de poche, tente de réguler les relations entre le continent accueillant (dit « l’hôtesse ») et la vague migratoire (dit « l’invité).
 

« — On ne pousse pas les gens par la fenêtre.
On les incite – nuance. »

Ne nous faisons pas d’illusion, l’hôtesse n’a pas le cœur plus grand que son minuscule studio : nous sommes dans un monde où l’on accorde aux bienveillants hôtes une honnête allocation pour héberger un « invité », et une coquette prime si le-dit invité en arrive à avoir la bonne idée de se suicider de son propre chef, en toute liberté, et en dégageant les institutions nationales et supranationales de toute responsabilité dans son arrangeante disparition.
Le jeune homme n’a de place nulle part, ni ailleurs d’où la vie l’a chassé ni ici où on lui concède du bout des doigts un recoin sans ressource. Misère pour misère, la jeune femme ne peut payer son loyer que grâce aux allocations, et la prime l’arrangerait bien, la libérant de la présence de son invité aussi bien que de maints tracas financiers. (Et ne négligeons pas le fait que la Suisse, pardon, la modératrice, empoche un joli pourcentage au passage).
 

Pierre Notte, qui connaît la valeur de l’effort d’être spectateur, sait proposer au public l’espace nécessaire à son imagination. Une création lumière rigoureuse et quelques lignes noires suffisent pour que du plan s’élève le volume, et que se dessinent avec netteté cette prison miniature et banale. Le plateau est nu, pour seul accessoire un tabouret, pour seul décor des marquages au sol qui délimitent surface du lit, meuble de cuisine, placard à merdouilles, ouvertures de la porte et de la fenêtre – issues possibles et bien différentes… – : une allure de Dogville (Lars van Triers) domestique.

Muriel Gaudin et Silvie Laguna sont familières du travail de Pierre Notte (PianoPanier avait aimé Muriel Gaudin dans L’Histoire d’une femme, et Silvie Laguna dans C’est Noël, tant pis). Clyde Yeguette est nouveau venu dans son univers. Les trois acteurs sont dirigés avec précision, trouvant un équilibre efficace entre un jeu très formel, très construit, anti-réaliste, et une évidence d’incarnation et une justesse remarquables.

Pierre Notte, pour sa première pièce politique, a choisi d’aiguiser ses couteaux et livre une fable compacte, brève et incisive. La satire est sans pitié, le regard acéré, mais le ton est alerte et allègre. On retrouve sa malice crépitante, son sens du rythme, son goût paradoxal pour l’épure et le baroque. Le texte ciselé et vif s’allège de brèves parenthèses chorégraphiques, aussi décalées que pertinentes.
Et l’humour mordant et lucide de Pierre Notte ne cache ni ne gâche la tendresse qu’il éprouve pour ses frères humains. Il donne à leurs guerres intestines un écrin plein de fantaisie, de poésie et d’élégance, et les sauve du désastre avec grâce, leur accordant la possibilité d’une danse, d’un sourire, l’hypothèse d’une douceur. Et offre aux spectateurs un rire acide autant que plein de légèreté. Un cadeau précieux ! Réjouissant.

Marie-Hélène Guérin

 

L’HOMME QUI DORMAIT SOUS MON LIT
Au Théâtre du Rond-Point, jusqu’au 30 janvier
Texte, musiques et mise en scène : Pierre Notte,
Avec Muriel Gaudin, Silvie Laguna, Clyde Yeguete
Création lumières Éric Schoenzetter
Arrangements musicaux Clément Walker-Viry
Photos © Pierre Notte (photos de répétition)
 

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