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Shahara : les enfants, la Lune et la vie !

Sarah Tick est chirurgienne ophtalmologiste, metteuse en scène, autrice…
« Aujourd’hui, dit-elle, je peux utiliser ma connaissance des soins pour être au plus près de la réalité dans la fiction – je peux utiliser l’expérience théâtrale pour continuer à alimenter mon imaginaire, quand je soigne. »

Elle tresse à nouveau les fils de ses vies variées pour porter à la scène le beau texte, sensible et vif, de Caroline Stella. Ensemble, l’autrice et la metteuse en scène avaient déjà fait se télescoper le théâtre et l’hôpital pédiatrique lors d’un projet précédent Allô toi, ici la lune !

Shahara, c’est le beau prénom, évoquant en langue arabe le clair de lune, d’une jeune fille atteinte de Xeroderma Pigmentosum, maladie dévastatrice plus connue sous le nom rêveur de « maladie de la Lune ». Les « enfants de la Lune » ne supportent pas les rayons ultra-violets. Il y a encore quelques décennies, le sort était inéluctable, il n’existait que des « enfants de la Lune » car aucun ne devenait adulte, tous étaient rongés par les cancers. Désormais une combinaison protectrice, cocon pesant mais salvateur, leur permet de trouver le chemin vers le jour sans y laisser leur peau.

 

 
Dans le service d’onco-dermatologie pédiatrique dont elle arpente les couloirs trop familiers en tenue de cosmonaute, Shahara croise Mélie, gamine venue se faire opérer d’un grain de beauté qui fait son malin. Entre ennui, inquiétude et revendication au droit à ne pas être courageuses, les deux vaillantes demoiselles vont s’apprivoiser. Et vont préparer Shahara à son opération avec l’enthousiasme et la méthode d’une préparation à une mission Apollo.

« MELIE – Plus je regarde plus je trouve ça beau. Plein de petits points comme un ciel étoilé.
SHAHARA – Plein de petits points comme autant de galères.
MELIE s’approche de Shahara – Ça fait quoi ? Ça fait mal ?
SHAHARA – Ça fait qu’un de ces quatre je vais disparaître sous mes tâches. Ces grains de saleté me rappellent que je ne vais pas faire long feu. Mais sinon ça va.»

La langue est concrète, pudique et franche. L’autrice ne fait pas l’impasse sur la dureté de la maladie, sur la possibilité de la mort, sur la colère et la frustration des petites malades, et pour faire front face à tout cela offre à ses héroïnes les armes de l’humour et de l’amitié.

Nadia Roz (Shahara) et Barbara Bolotner (Mélie) ont de la spontanéité, elles donnent du bagout, de la lucidité, de la gravité et de la gaieté aux deux amies. Les interprètes, au jeu énergique et souple, savent nous faire croire à l’enfance de leurs personnages.
Elles sont joliment accompagnées par Julien Crepin et Guillaume Mika, qui se partagent les rôles des adultes, notamment du corps médical. Julien Crepin se fait aussi régisseur lumière et cosmonaute de fantaisie pour guider Shahara dans son exploration lunaire, et Guillaume Mika, homme-Lune à la redingote miroitante, crée en direct bruitages et musique : si vous ne le saviez pas déjà, je vous l’apprends, la Lune chante des chansons délicieusement farfelues d’une voix d’outre-tombe trouée d’envolées de haute-contre, et joue de merveilleux airs mélancoliques au saxophone.
 

 
Un cercle de sable blanc au sol, un amphithéâtre de tulles noirs autour, des lumières précises et élégantes, des costumes malicieux : avec son équipe de création technique, Sarah Tick a inventé un espace de jeu magique où l’hôpital avec ses bipbip et ses tuuitit, ses couloirs froids et ses néons clignotants se métamorphose dans l’imaginaire de Shahara et Mélie et sous nos yeux en centre d’entraînement spatial, en vaisseau, en voyage, en sol lunaire… Nourries des créations vidéos très gracieuses de Renaud Rubiano et Pierric Sud et de la belle matière sonore de Pierre Tanguy, des images d’une grande poésie nous font glisser de la réalité hospitalière aux fantaisies des jeux d’enfants et aux hallucinations qui animent Shahara sous anesthésie.

Ce spectacle rend un hommage sensible et plein de drôlerie à la force de tous ces petits combattants que sont les enfants grands malades, mais aussi aux (super-) pouvoirs de l’imaginaire et du cœur, qui permettent de réinventer le monde et de doper la vie ! Surtout, c’est un spectacle qui parle aux enfants avec une fraîcheur, des mots et un rythme qui leurs ressemblent, et la maturité qu’ils méritent. C’est intelligent, beau, lumineux et vivifiant.

Marie-Hélène Guérin

 

SHAHARA
Vu aux Plateaux Sauvages
Texte de Caroline Stella
Mise en scène de Sarah Tick – Cie JimOe
Avec Barbara Bolotner, Nadia Roz, Julien Crepin et Guillaume Mika

Dramaturgie Morgane Lory | Scénographie Anne Lezervant | Création vidéo Renaud Rubiano, Pierric Sud | Création et régie lumière Julien Crépin | Création et régie son Pierre Tanguy | Costumes Charlotte Coffinet | Création musicale Guillaume Mika et Nicolas Cloche
Photos Pauline Le Goff

Production Compagnie JimOe | Coproduction Les Plateaux Sauvages et La Manekine – Scène intermédiaire des Hauts-de-France | Coréalisation Les Plateaux Sauvages

À VOIR EN TOURNÉE
• les 6 et 7 avril 2023 au Théâtre du Chevalet, Noyon (60)
• du 23 au 26 mai 2023 à L’Étoile du Nord, Paris