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Richard III, quand Guillaume Séverac-Schmitz rencontre Shakespeare

Guillaume Séverac-Schmitz est un jeune metteur en scène attaché aux textes du répertoire. Molière, John Webster, Maxime Gorki, Jean-Luc Lagarce. Et Shakespeare. Richard III, présenté à la Maison des Arts et de la Culture de Créteil, est l’une des dernières pièces du cycle historique du dramaturge, dont la première, Richard II, a été montée par sa compagnie en 2015. Ce goût du metteur en scène pour les pièces de répertoire rejoint celui de la transmission, qu’il exprime notamment dans sa participation au sein de la Troupe Éphémère du CDN de Toulouse avec qui il a créé Tartuffe, actuellement en tournée. Cela se traduit aussi dans sa volonté de créer, à partir des grands textes, un théâtre tout à la fois spectaculaire, exigeant et populaire. À Créteil, la grande salle est remplie à moitié de lycéens et d’étudiants, premiers destinataires du travail de Guillaume Séverac-Schmitz, artiste associé. C’est à eux qu’il va s’adresser en cherchant à partager à la fois la richesse d’un chef d’œuvre dans une forme grandiose et son caractère infiniment contemporain et accessible. L’intention est honnête et ambitieuse, l’objectif est immense.
 

 
Guillaume Séverac-Schmitz nous réjouit en s’attaquant à un monument du théâtre et en convoquant sur scène pas moins de dix comédiens. Sur un plateau épuré, dans une ambiance rock et intimiste, ces derniers vont enchaîner les rôles, déployant une rare énergie. Un large rideau de chaînettes en fond de scène et des structures métalliques mobiles, évoquant tour à tour un tournoi, une tribune ou une tour d’assaut, viennent structurer l’espace. La présence continue d’une brume, d’où surgissent les personnages pour s’affronter ou dans laquelle ils préfèrent disparaître, noyés de colère ou de douleur, produit une atmosphère étrange et interlope.
Guillaume Séverac-Schmitz dresse un portrait de Richard III plus sensible, plus humain, plus fragile que l’image commune qui est véhiculée. Il n’élude pas son handicap, l’intégrant comme un élément de jeu à part entière. Simple boiteux dans le premier acte, il est de plus en plus empêché avec l’ajout d’attelles, de corsets, minerves ou vissé sur un fauteuil roulant jusqu’à le faire apparaître en homme ligoté, empêché, étouffé par ses propres désirs et pulsions. Tantôt monstre sanguinaire, tantôt marionnette intrigante aux allures de bouffon de cour, tantôt homme blessé qui cherche dans le pouvoir une attention et un amour qui lui ont fait défaut, cette évolution physique souligne intelligemment la dramaturgie du personnage.

Dès le début de la pièce, un dialogue parallèle se tisse avec la salle et se poursuit tout au long du spectacle à travers des adresses, des allusions, un rythme induisant un certain humour et jusqu’à l’intervention des spectateurs sur le plateau. Les personnages cherchent à créer une complicité avec le public, conscients qu’ils sont en train de jouer leur propre drame et qu’ils sont les pièces d’une machinerie. Cette métathéâtralité est au cœur du projet de mise en scène de Guillaume Séverac-Schmitz. Elle permet aux personnages de prendre du recul sur l’horreur de la situation et de leurs intentions mais aussi aux spectateurs de se rappeler qu’il s’agit là d’un jeu. C’est dans cette distance aussi que viennent résonner les grands thèmes de la pièce, apparaissant comme éminemment contemporains. Le pouvoir. La tromperie. Les stratégies de l’information.
 

 
Le public adolescent est particulièrement réceptif à ce parti pris de mise en scène inclusif. Mais c’est aussi là que le propos dramaturgique manque de clarté. Guillaume Séverac-Schmitz défend “un théâtre populaire et exigeant, spectaculaire et intimiste qui place au centre les actrices et les acteurs […] pour proposer un spectacle total”. La frontière entre la grande fresque dramatique déployant grandeur et puissance tant dans le dispositif scénique que dans le jeu et l’adaptation parfois un peu superficielle et grotesque est floue. Un choix plus tranché sera fait dans la très réussie dernière partie nous offrant une magistrale joute entre un Richard III désespéré plongeant au plus profond de la folie noire et Elisabeth, reine déchue et mère dévastée remarquablement interprétée par Anne-Laure Tondu, jusqu’à la déchirante et, ici, très émouvante scène finale d’un roi profondément humain et incarné, souffrant et malheureux.

Alban Wal de Tarlé

 

RICHARD III
de William Shakespeare
Un spectacle de la compagnie Eudaimonia
Vu à la MAC Créteil jusqu’au 10 février
Conception et mise en scène Guillaume Séverac-Schmitz
Traduction et adaptation Clément Camar-Mercier
Avec Jean Alibert, Louis Atlan, Martin Campestre, Sébastien Mignard, Aurore Paris, Thibault Perrenoud, Nicolas Pirson, Julie Recoing, Anne-Laure Tondu, Gonzague Van Bervesselès
Scénographie Emmanuel Clolus | Création lumière Philippe Berthomé | Créatrice son Géraldine Belin | Conseillère artistique Hortense Girard | Créatrice costumes Emmanuelle Thomas
Photos © Erik Damiano ou Vincent Schmitz

Création du 19 au 21 janvier 2023 au Théâtre du Château Rouge, Annemasse
Durée du spectacle : 3h20 entracte compris

À voir prochainement :
Théâtre Jean-Arp – Clamart du 16 au 18 février
Théâtre-Cinéma – Narbonne les 8 et 9 mars 2023
Théâtre Jacques Cœur – Lattes le 23 mars 2023
Théâtre Montansier – Versailles du 18 au 21 avril 2023
Théâtre de Caen les 1er et 2 juin 2023
Théâtre de la Cité, CDN Toulouse-Occitanie du 8 au 14 novembre 2023 
Théâtre de Nîmes les 22 et 23 novembre 2023
Le Cratère – Scène nationale d’Alès les 28 et 29 novembre 2023
Théâtre Molière-Sète – Scène nationale archipel de Thau – les 5 et 6 décembre 2023