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Je suis un lac gelé : emmener les enfants rêver

Les toujours vivaces et ouverts Plateaux sauvages accueillent pour la première fois un spectacle destiné au très jeune public. Laëtitia Guédon et Mathieu Roy avaient envie de porter à la scène un spectacle de texte, forme encore peu développée pour ce public dès 3 ans. Ils ont fait appel à Sophie Merceron : Matthieu Roy avait déjà travaillé sur un de ses textes Manger un phoque (lors de la Brigade de lecture de la Maison Casarès en 2020) et « avait été profondément ému par son univers à la lisière du fantastique et de la réalité…»

Au centre, une malle couverte d’une couverture en patchwork, au ciel des grands oiseaux de bric et de broc, un peu brinquebalants.
La malle se fait lit, sur lequel Göshka, 5 ans, dort, lové autour de son violon… le lit et son dormeur se mettent à glisser, glisser, s’échapper, jusqu’à un lac gelé… Parents et enfants aussi sont installés sur la glace de ce lac, en cercles concentriques faisant nid autour de la scène nue.
 

Dans la chambre de Göshka, dans la tête de Göshka, il y a des oiseaux, qu’il sait nommer, et qu’il brise pourtant, parfois.
Göshka casse ses jouets, cache des spaghettis sous son oreiller, aime l’odeur de sa maman, et celle d’Olga qui sent le yaourt à l’abricot. Göshka aime danser, enrage contre sa mère qui le traite comme un enfant et une fois même il l’a mordu, pour lui apprendre. Göshka connaît le nom des oiseaux migrateurs.
Göshka a de la colère au cœur car il voudrait que le printemps arrive. Parce qu’avec le printemps, reviennent les oiseaux migrateurs. Parce que son père est un oiseau parti avec l’hiver et qu’il s’inquiète qu’il ne revienne pas avec le printemps…
Göshka n’est pas triste, paraît-il. Göshka ne pleure jamais, dit-il.

Göshka a un ami, Anatole le violon alto, qui sait lui murmurer quelques paroles réconfortantes, ou traduire ses tempêtes intérieures. Sous le lac gelé sur lequel glisse le lit, dort un garçon-glaçon, un petit fantôme tombé là il y a mille ans, il s’appelle Milan-sous-la-glace, et s’ennuie, s’ennuie… Mille ans c’est long, et rencontrer enfin un ami, c’est bon ! Milan le fantôme reste invisible, sa voix (voix off facétieuse et tendre de Théophile Sclavis), se déplace autour des spectateurs (espaces sonores habiles de Grégoire Leymarie), titille son nouvel ami Göshka, invente avec lui des jeux et des joutes – on joue à « de quoi tu es le roi », à « ce qui te réchauffe l’intérieur », pour s’amuser et pour s’explorer.
 

Sophie Merceron a composé une jolie et farouche partition, n’oubliant pas que les enfants ont de la légèreté et de la sauvagerie, qu’ils ont le goût du jeu autant que d’intenses profondeurs. Et qu’ils savent inventer le monde. Mathieu Roy a construit un espace simple, chaleureux, propice aux déambulations physiques et mentales.

C’est Iris Parizot qui est Göshka. Alex Costantino l’a vêtue de frusques poétiquement rapiécées, à la façon du kintsugi, cet art japonais de la réparation qui ne dissimule pas les cassures, plaies et bosses mais les montre et les embellit – comme Sophie Merceron le fait des failles et brisures de son petit héros…
Iris Parizot a une petite bouille enfantine, un regard pétillant, l’élocution limpide. C’est avec son violon alto qu’elle a l’expressivité la plus naturelle, la plus spontanée, peut-être à l’image de Göshka, qui se sert du langage de la musique pour dire les paroles les plus intimes, ses tourments et ses émotions.
 

Avec une grande délicatesse, sans aucune mièvrerie, faisant confiance à la puissance de l’imagination des enfants, à la richesse de leur intériorité, à l’évidence de leur empathie, ces artistes emmènent Göshka et ses spectateurs dans un onirique et apaisant voyage initiatique. Il sera doux et âpre, on y découvre la tristesse pour mieux retrouver la joie, on y explore le manque pour mieux célébrer les retrouvailles – car, n’ayez crainte, on entendra chanter la glace, lorsque le printemps reviendra !
Les plus petits, emportés dans cette bulle rêveuse et joueuse, à la durée parfaitement adaptée, restent captivés, et les plus grands, charmés par la finesse de ce spectacle gracieux.

Marie-Hélène Guérin

 

JE SUIS UN LAC GELÉ
Vu aux Plateaux sauvages
Un spectacle de la compagnie Veilleur©
Texte Sophie Merceron
Mise en scène et dispositif scénique Matthieu Roy
Avec Iris Parizot et la voix de Théophile Sclavis et Johanna Silbertsein
Collaboration artistique Johanna Silberstein
Costumes Alex Costantino
Espaces sonores Grégoire Leymarie
Régie générale Thomas Elsendoorn
Photos © Reynaud de Lage

À retrouver en séances scolaires ou tout public :
31 janvier et 1er février
 – Théâtre de Chelles – Festival Solo
6 au 10 mars – 
Glob Théâtre, Bordeaux
4 au 7 avril
 – Théâtre des Bergeries, Noisy-le-Sec