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3 annonciations, la prophétie selon Pascal Rambert

3 annonciations est un spectacle rescapé de la période de pandémie que les théâtres ont particulièrement subi. Créé au TNB en 2020, il retrouve désormais un public dans les murs de Chaillot. Au sortir de ces temps étranges dont nous vivons encore les conséquences, il est étonnant de découvrir cette forme et d’entendre ce texte prophétique. Miroir parlant et lumineux sur notre époque et les réflexions qui occupent aujourd’hui l’espace public, intime et politique. Les mots jaillissent comme des éclats de vérité, une prise de conscience des enjeux essentiels qui se posent lorsque l’humanité se trouve à la croisée des chemins et des ruptures irrémédiables.
Pascal Rambert nous donne à écouter trois figures féminines puissantes qui portent une parole dense, exaltée, mystérieuse et chargée de symboles. Cette trilogie puise dans le thème de l’Annonciation faite à la Vierge Marie pour questionner notre modernité, notre modèle de civilisation et notre société.
 

 
Trois monologues se succèdent. Italien, espagnol et français. Trois langues méditerranéennes, latines, plongeant aux sources de notre culture occidentale, de notre imaginaire et de nos récits fondateurs. Trois musicalités qui se répondent en écho dans cette grande fresque peignant à grands traits la trajectoire d’un monde suspendu au bord du gouffre.
Les comédiennes incarnent chacune une figure annonciatrice, détentrice d’un discours qu’elles délivrent, comme des apparitions au cœur d’un dispositif scénique qui happe les spectateurs. Plongés dans une obscurité totale et dans un état d’écoute intense, libérés de toute distraction visuelle, leurs voix enveloppantes nous guident. Elles sont notre unique point de repère. Puis, dans une douce lumière, comme le premier matin du monde, apparaît une première figure. L’Ange. L’image est forte, inspirée des représentations de l’Annonciation de la Renaissance italienne. Ancrée dans le sol, déployant un jeu d’une rare intensité, dans une économie de mouvements chorégraphiés avec précision, c’est une statue qui prend vie sous nos yeux et qui, d’un geste de la main et par le verbe, donne naissance au monde entier, neuf, vierge. Elle nous confie une responsabilité.

Chacun des récits s’imprègne de la langue de l’interprète, convoque un imaginaire et développe une réflexion sur notre humanité et notre rapport au monde. Comme souvent avec Pascal Rambert, la parole est au centre, elle se répand jusqu’à occuper tout l’espace. L’avalanche des mots, le débit et la présence des comédiennes sur le plateau projettent à la face des spectateurs un message puissant, intriguant et poétique. Le dramaturge puise dans un registre collectif, celui des paraboles bibliques, des œuvres du Quattrocento, des vierges noires portées en cortège en Andalousie au cours de la semaine Sainte, des fictions d’anticipation et des théâtres d’apocalypse.
 

 
Silvia Costa apparaît en ange-guerrier, allégorie de l’Amazone conquérante. Son monologue est le plus énigmatique, le plus dense. Au-delà du sens littéral ou d’une recherche de rationalité, il provoque un trouble des sensations, un sentiment d’abandon, de lavement comme une nouvelle virginité.
L’apparition d’Itsaso Arana est un choc. Son immobilité, son enracinement tel un colosse, image tout à la fois christique et apocalyptique, déclame une parole hypnotisante, dure, violente et percutante. Le discours se fait plus contemporain, abordant une dimension politique. Les bras grand ouverts, elle embrasse le monde.
Enfin, Audrey Bonnet, fidèle collaboratrice et inépuisable source d’inspiration de Pascal Rambert, entre en scène. Tout en douceur. En apesanteur. La langue française comme un souffle, une brise légère, un poème. L’Ange se transforme en figure maternelle. Dans sa combinaison de cosmonaute, elle revient pour nous conter l’avenir, un lendemain sans espoir, détruit. Le monde a disparu mais nos récits perdurent. Nous nous y accrochons comme une ultime bouée de sauvetage.

Trois figures, trois langues et trois temporalités. La naissance, le temps présent et notre futur. Nous sommes les destinataires de ces annonciations contemporaines, poétiques et métaphysiques. Annonciations comme des lettres de mission.

Alban Wal de Tarlé

 

3 ANNONCIATIONS
Vu au théâtre de Chaillot
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Texte et mise en scène Pascal Rambert
avec Audrey Bonnet (FR), Silvia Costa (IT), Barbara Lennie, en alternance avec Itsaso Arana (ES)
espace Pascal Rambert et Yves Godin | lumière Yves Godin | costumes Anaïs Romand | musique Alexandre Meyer | collaboration artistique Pauline Roussille
photos © Marc Domage