VANIA ou la théorie des planètes alignées

D’abord, il y a un texte.

Et un grand texte. Celui d’Anton Tchekhov, qui a écrit ce chef d’œuvre à l’âge de 36 ans. On connaît l’argument, simplissime, de la pièce : un professeur à la retraite vient séjourner avec sa nouvelle femme chez Vania, le frère de sa première épouse disparue. Sa présence, ainsi que celle d’un médecin, viendra bouleverser l’équilibre fragile des âmes de cette petite société russe de campagne.

Un texte qu’on a souvent vu joué dans des versions ultra classiques, où les patronymes slaves des personnages étaient assénés avec une vigueur qui frôlait parfois le ridicule. Un texte qu’on a vu également représenté dans de prétentieuses tentatives de transpositions modernes. Point d’afféteries de ce type ici.

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© Simon Gosselin coll. Comédie-Française

Ensuite, il y a une mise en scène et une relecture épatantes.

Car on vient voir ici « Vania, d’aprés Oncle Vania ». Et c’est toute l’intelligence et le savoir-faire de la jeune mais déjà très remarquée Julie Deliquet. Le travail au plateau de cette talentueuse metteuse en scène offre aux comédiens la liberté d’ajouter quelques plages improvisées au texte du grand auteur russe. Ce n’est jamais gratuit, c’est toujours à son service. Et le résultat est absolument formidable. Rarement le texte de Tchekhov avait été aussi audible, clair, atteignant directement nos âmes de spectateurs. Rarement nous avions eu ce sentiment d’une totale vérité dans le jeu. Rarement nous avions eu l’impression d’assister au jaillissement en direct d’une création de très grande valeur, de subir un entrechoc d’émotions au sein d’un dispositif bi-frontal qui est ici totalement légitime. Devant nous, il y a la vie, tout simplement.

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Il y a, enfin, une troupe exceptionnelle.

On l’a dit, on le redit, on le crie à nouveau haut et fort : la troupe actuelle du Français est absolument exceptionnelle.
Sept comédiens défendent ici leurs personnages avec force et passion, que ce soit pour quelques répliques (Noam Morgensztern, Dominique Blanc) ou des moments de bravoure qu’on imagine extrêmement jouissifs à incarner (Florence Viala, Hervé Pierre).
Stéphane Varupenne confirme de pièce en pièce qu’il est comme le très grand vin : il vieillit bien mais il est à consommer, lui, sans modération.
Laurent Stocker est un prodigieux Vania. Il réalise le tour de force de faire de cet attachant désespéré un terrien et un aérien à la fois. Sa fantaisie naturelle se mêle habilement à sa sombre dépression. Il passe de l’ivresse à l’émotion en un centième de seconde. Le désespoir qu’il incarne, celui de l’implacable certitude d’avoir raté sa vie, est absolument déchirant. Il est à couper le souffle.
Enfin, Anna Cervinka compose une Sonia inoubliable, fragile, touchante, entre rires et larmes. Son célèbre  monologue de fin (« …nous nous reposerons »), au milieu du silence incroyable d’une salle, et de ses trois partenaires restés sur scène, littéralement suspendus à tant de talent, est un de ces grands moments de théâtre qu’on n’oubliera pas de sitôt.
Il y a ainsi des moments dans la vie d’un spectateur de théâtre où les planètes sont parfaitement alignées. C’est ce délicieux prodige qu’est arrivé à réaliser Julie Deliquet, au Vieux-Colombier, pendant quelques jours de cet automne 2016.

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VANIA (D’APRÉS ONCLE VANIA)
Reprise au Théâtre du Vieux Colombier du 4 octobre au 12 novembre 2017 (mardi 19h, mercredi au samedi 20h30, dimanche 15h)
Mise en scène et scénographie : Julie Deliquet
Avec : Florence Viala, Laurent Stocker, Hervé Pierre, Stéphane Varupenne, Noam Morgensztern, Anna Cervinka et Dominique Blanc.

 

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