Viviane : le cinéma au théâtre

Ayant lu avec beaucoup de passion Vivian Elisabeth Fauville et en ayant été très marquée, je m’en étais fait une idée différente de l’interprétation théâtrale et cinématographique qu’en a fait Mélanie Leray. Dans mon souvenir, la chronologie n’était pas si claire ni si fixée que les images sublimes en noir et blanc qui nous narrent le film de cette pièce de théâtre, la plupart du temps images nocturnes. Il existait, selon moi, une part de superposition et de porosité de l’inconscient et du conscient qui rendait l’interprétation incertaine jusqu’au bout et un ensemble de plateaux ou de plans sur lesquels oscillaient Viviane.
Or, Mélanie Leray prend un parti : cette femme, Viviane Elisabeth Fauville, fait une psychose puerpérale et les images que nous donnent à voir le film en très gros plan à travers Paris seraient une espèce de reconstitution fragmentaire de ce qui se serait réellement déroulé ou du moins de ce que Viviane et la mémoire de Viviane peut reconstituer. Elle imagine des dialogues là où dans le livre n’existe que du monologue intérieur à la deuxième personne du pluriel, comme un juge, une injonction, un regard extérieur qui relaterait un moment de l’histoire de cette femme. Et, là encore, le parti pris de nous montrer les interlocuteurs de Viviane change l’incertitude factuelle et temporelle de la narration et s’inscrit dans l’affirmation.

Sur scène, la Viviane de chair, Marie Denarnaud, est souvent nue ou presque, souvent couchée sur son lit, amorphe et abêtie. Elle nous parait toute petite dans sa réalité de chair tandis que les images du film prennent toute la place. Des images qui rappellent le cinéma des années 50, qui pourraient correspondre à la jeunesse de la mère de Viviane. Parce qu’autre chose que la naissance de son enfant, la séparation d’avec son mari et ses relations infectes avec son psy est en jeu dans la tête de Vivian, c’est sa mère, qui ne la quitte pas, qui la hante en quelque sorte.
Cette femme, quittée par son mari, aurait tué son psy, personnage cynique avec lequel il lui semble perdre son temps. Comme dans la majeure partie des livres de Julia Deck, l’autrice a un regard acerbe voire carrément négatif envers la psychanalyse et les psychanalystes. Ce sont eux qui rendent « fous » les patients qui les consultent. Et Viviane Elisabeth Fauville n’échappe pas à la règle, elle demande de l’aide, son psychanalyste-psychiatre lui prescrit des médicaments, mais ne soulage en rien ses douleurs psychiques et ne lui permet pas de fonctionner, d’élever son enfant en bas âge, avec lequel elle est maintenant seule. Il la renvoie à sa solitude sans compassion.

Je me demande ce que pense Julia Deck de cette adaptation, si elle en est contente, si elle se sent trahie, si le théâtre est capable de restituer toute la dimension de ce livre, difficile de poser sur le plateau toutes les strates inconscientes qu’un livre peut rendre.
Quoi qu’il en soit, Mélanie Leray et Marie Denarnaud portent leur interprétation avec puissance et une subjectivité tout à fait respectable et innovante.

Isabelle Buisson

 

VIVIANE
Adapté du roman de Julia Deck « Viviane Elisabeth Fauville », éditions de Minuit, par Mélanie Leray.
Avec Marie Denarnaud
Au Montfort théâtre, jusqu’au 9 avril à 19h30
Photos © Younn Durand

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