Angels in America : le triomphe de la vie

Nouvelle directrice du Théâtre de l’Union, CDN de Limoges, Aurélie Van den Daele ouvre sa première programmation avec la reprise d’une de ses créations phare montée en 2015 au Théâtre de l’Aquarium, le fameux Angels in America de l’américain Tony Kushner.

Dès l’entrée dans le théâtre, nous sommes immergés dans l’atmosphère du spectacle qui se prépare. A la lumière des néons roses et bleus, le public est accueilli par l’équipe du lieu qui a adopté le dress code des années 80 et se déplace au rythme de la playlist endiablée composée tout spécialement. Les étudiants de l’Ecole de théâtre du Limousin sont présents, installés dans les canapés. Éclats de rire, toasts et embrassades, la convivialité est de retour entre ces murs où il semble faire bon vivre, comme dans une grande maison.

L’ambitieux projet d’Aurélie Van den Daele de mettre en scène ce texte mythique et dense est riche de promesses. A l’issue de ce marathon de cinq heures dans lequel sont plongés les spectateurs, le résultat est à la hauteur des espérances grâce à un travail collectif extrêmement intelligent. Six ans après la création, la metteuse en scène a réussi à réunir la distribution d’origine pour une série de représentations et une tournée encore en construction. On sent immédiatement la joie de cette troupe de se retrouver sur le plateau et la complicité qui les lie, condition requise tant la pièce demande un investissement total et une force de la part de chacun des comédiens. Car il s’agit bien ici de célébrer la vie, flamboyante, intense, brûlante.
Le texte de Tony Kushner place les personnages dans l’Amérique de Reagan touchée de plein fouet par l’épidémie de Sida que les médecins peinent encore à soigner. On y suit deux couples qui se fissurent en prise aux doutes dans une période où les repères sont ébranlés ainsi que la figure forte et imposante d’un homme de pouvoir détestable, l’avocat Roy Cohn, qui doit faire face à ses contradictions devant la mort. En ce début des années 2020, le texte résonne étonnement tant il demeure pertinent et en phase avec les enjeux de nos sociétés contemporaines (individualisme, émergence de nouveaux modèles, place des minorités…).

Car si l’on contemple une spirale destructrice, la mise en scène d’Aurélie Van den Daele insuffle une énergie folle avec des personnages en quête qui cherchent à vivre à tout prix. Dès l’entrée dans la salle, nous découvrons les comédiens, joyeux lurons, en train de s’amuser, de s’esclaffer et de commencer une partie de bowling sans prêter attention aux spectateurs qui prennent place. Puis, dès la première scène, le rythme de la pièce, haletant, puissant, vibrant, s’installe et nous embarque tout du long.
Un décor unique permet de représenter les divers lieux de l’intrigue. On saute alors d’une situation à l’autre soit de manière abrupte, par un effet de son ou de lumière dans une ambiance saturée, soit grâce à un processus de glissement qui voit se mélanger, parfois de manière poreuse parfois plus hermétique, les personnages et les dialogues. Tout résonne, tout fait sens et corps. C’est un théâtre incarné auquel on assiste, la vie qui s’accroche malgré tout. Le spectacle se divise en deux tableaux, l’un lumineux, l’autre plus sombre, l’un réaliste et terrien, l’autre symbolique et philosophique.

La scénographie et la rythmique du spectacle reposent sur des effets scéniques assez simples, puisant dans des codes et un vocabulaire artistique désormais assez courants, qui rappellent le travail d’autres metteurs en scène qui n’ont pas peur de s’attaquer à des pièces fleuves comme Julien Gosselin ou Guy Cassiers. On retrouve l’utilisation des micros, les transitions franches avec de la lumière blanche, l’utilisation fréquente de la fumée sur scène ou la musique électronique qui vient remplir l’espace jusqu’à prendre toute la place pour souligner l’intensité dramatique, comme un emballement des pulsations, à certains moments clés. Cette esthétique très contemporaine, brute et brutale, métallique et tout en rupture, sans offrir de nouvelles propositions, fonctionne parfaitement.

Mais le plus admirable, en dehors de l’œuvre en elle-même, réside dans la distribution et la magistrale direction d’acteur. Tout fonctionne dans une clarté impressionnante rendant le spectacle très audible. Toute la subtilité des personnages est parfaitement soulignée tout en évitant l’écueil des stéréotypes. Emilie Cazenave dans le rôle de Harper dévoile une réelle complexité sous-couvert d’une fantaisie drôlesque. Antoine Caubet qui interprète l’avocat Roy Cohn est impressionnant de charisme et remplit le plateau de sa présence et de sa voix. Chacun des comédiens se passe la balle comme dans une finale de handball plongeant le spectateur dans les affres des destinées des protagonistes. Et parfois le temps se suspend, chargé et intense, comme lors de l’apparition de l’ange, mystérieuse pythie dans sa cage enfumée qui déborde.

Le spectacle d’Aurélie Van den Daele est une véritable réussite démontrant une parfaite compréhension de l’œuvre, extrêmement sensible et moderne. Elle maîtrise les codes du théâtre et le travail de troupe. Une résurrection, six ans après la création, comme un élan de vie sur le plateau.

Alban Wal de Tarlé

 

ANGELS IN AMERICA
Au Théâtre de l’Union (CDN de Limoges)
Du 16 au 18 décembre 2021
De Tony Kushner
Mise en scène Aurélie Van Den Daele
Avec Antoine Caubet, Emilie Cazenave, Gregory Fernandes, Julie Le Lagadec, Alexandre Lenours, Sidney Ali Mehelleb, Pascal Neyron, Marie Quiquempois
Dramaturgie de la traduction Ophélie Cuvinot-Germain – Assistanat à la mise en scène Mara Bijeljac – Lumières/vidéo – Son-Scénographie Collectif INVIVO Julien Dubuc-Grégoire Durrande-Chloé Dumas – Costumes Laetitia Letourneau

Production DEUG DOEN GROUP
Coproduction Théâtre de l’Aquarium, Théâtre de Rungis, La Ferme de Bel Ebat-Théâtre de Guyancourt, Groupe des 20 théâtres en Ile de France.
Avec l’aide d’ARCADI dans le cadre du dispositif d’accompagnement, de l’ADAMI, de la SPEDIDAM, et avec le soutien de la Mairie de Paris. Le spectacle a été créé en novembre 2015 à la Ferme de Bel Ebat-Théâtre de Guyancourt.

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