Ce silence entre nous : Tout pour assurer

Au début, des femmes se parlent comme en secret, des langues se mêlent, un violon aux accents graves intervient et un monologue se fait écho :
« Ta mère a dit un jour
Sois une bonne fille
Sois une bonne épouse
Sois une bonne mère
Pieuse
Patiente
Dévouée
Tout pour assurer
La tranquillité
De ton foyer.
Le jour où ta mère t’a dit ce que sa mère lui avait dit
Tu avais un casque sur les oreilles
Tu écoutais Björk
Mother Heroic
Et tu n’as pas entendu ce que tu étais censée entendre
Et tu n’es pas devenue ce que tu étais censée devenir. »

Trois personnages, vêtues de noires pour mieux rappeler l’austérité de leur vie, incarnés par Katia Pascariu, -en langue roumaine, langue très belle qui chanterait presque comme l’Italien, traduite en simultanée en français par les deux autres comédiennes-, Ysanis Padonou et Iris Parizot (au violon) sont en train de nous raconter, en de multiples scènes de la vie courante, comment elles n’ont pas écouté leur mère, comment elles n’ont pas souscrit au dictat du patriarcat, comment elles ont cherché à devenir libres malgré le joug qui pèse sur leur genre et sur leur sexe.
Envoyer balader l’ange Gabriel ; rater son entrée à l’université et puis recommencer l’année suivante ; sortir jusqu’à point d’heure et se souler alors que les parents attendent à une heure du matin « et pas une minute de plus et pas une minute de plus et pas une minute de plus » ; devenir enceinte et vouloir avorter dans un pays où l’avortement est proscrit et passible de prison ; mettre sa vie en danger ; souffrir en silence ; vouloir divorcer ; accompagner sa mère en fin de vie, « maman, comment je m’appelle… maman qui je suis… »  et à la mère de répondre. « Tu es mon fils ». Déni du genre maudit jusqu’au bout.

© Christophe Raynaud de Lage

C’est tout ça que nous raconte Mihaela Michailov, autrice roumaine, qui universalise les relations entre mère et fille. Même si le père est présent, il a lui, le beau rôle et la capacité de sortir de son genre, de ne pas être que celui qui puni et qui conduit la famille, mais également celui qui couche sa fille le soir ou celui qui vient la chercher à la sortie de l’école sous les regards ahuries des camarades de sa fille, car ici, il n’y a que des mères à la sortie de l’école, le père n’est pas à sa place, la père transgresse les genres et les rôles.
« Ce silence entre nous » montre bien la manière dont la parole est muselée entre les membres de la famille, la manière dont le silence et les non-dits s’emparent de chacun pour « assurer la tranquillité de ton foyer ». Un silence mortel, où tout désir doit combattre pour survivre.

© Christophe Raynaud de Lage

La langue de Mihaela Michailov a la beauté des écritures sans fioritures, qui vont droit au but, qui savent montrer à travers la parole, qui savent mettre en exergue des situations parlantes.
La mise en scène n’a rien de grandiloquent non plus, une installation scénographique faite de panneaux de soie, peint par le plasticien Bruce Clark, où l’on peut lire des mots comme « Pas dupes » et voir des visages, ceux dont on nous parle, comme autant de tableaux, de portraits et tous ces panneaux servent d’espaces, de carrés représentant tantôt la maison, tantôt la maternité, tantôt la maison de retraite, tantôt font office de replis.
Le violon et la lumière sont là aussi pour nous plonger dans l’ambiance et le temps sombre et archaïque desquels veulent s’extirper les protagonistes.
S’agit-il de la même personne de bout en bout dont l’autrice nous raconte l’histoire. Peut-être ou peut-être pas. Mais peu importe, car dans chacune des scènes monologuées, le féminin peut s’engouffrer et trouver matière à se réfléchir que ce soit en Roumanie ou chez nous. Ces monologues ont d’ailleurs été écrits à l’occasion d’une commande d’écriture de Mathieu Roy, le metteur en scène et de la compagnie le Veilleur, dans le cadre du projet « Visage(s) de notre jeunesse en Europe », organisée par l’Institut Français, soutenue par la Région Nouvelle-Aquitaine et la scène Nationale d’Aubusson.
Un spectacle qui touche en profondeur et une écriture à découvrir.

Isabelle Buisson

 

Ce silence entre nous
De Mihaela Michailov
Mise en scène : Matthieu Roy
Avec Ysanis Padonou, Iris Parizot et Katia Pascariu
Par La compagnie du Veilleur

Du 1er au 12 décembre, Théâtre ouvert, Paris
22 janvier, Institut français du Niger, Niamey
27 janvier, Théâtre de Thouars, Thouars

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