Elles vivent : puissance des mots, choc des images, une joyeuse et vivifiante performance performative !

 

« Ne me confondez pas ! »

Descendons dans les tréfonds du 104, à Paris XIXe, pour déboucher dans une clairière aussi réaliste que synthétique, spectaculaire que poétique…
Imaginez d’invraisembablement hauts panneaux tombant des cintres en une futaie de nylon, un sol imprimé « sous-bois », un faux tronc informe en guise de banc mou, une table de mixage en retrait vaguement camouflée par des arbustes en plastique (Arnaud Boulogne aux manettes). Une « médiatrice fictionnelle » (accorte Sofia Teillet) s’engage à faciliter nos rapports à la fiction qui va bientôt démarrer, mais aussi ceux de la fiction aux spectateurs, car « on n’y pense pas, mais la fiction aussi peut avoir du mal à entrer en contact avec les spectateurs ». Sofia Teillet nous avertit : nous la retrouverons plus tard, dans la fiction, en Rita. Elle ne portera plus de lunettes : « ne me confondez pas ! ».
Nous voici donc officiellement en plein artifice…
 

Dans un futur proche, deux amis se retrouvent dans la forêt. Michel (lunaire Alexandre Le Nours), adepte de la deep mindfullness poussée à son paroxysme (car on peut sans doute appeler « paroxysme » deux ans en transe hypnotique dans un caisson d’isolation sensorielle), a perdu le fil de l’actualité. Taylor (Antoine Defoort himself, malicieux clown blanc) s’empresse donc de lui retracer son histoire au sein de la « Plateforme Contexte et Modalité », sorte de parti politique artisanal qui s’est, contre toute attente, retrouvé aux portes du pouvoir.
S’enchâssent donc parallèlement les aventures passées de la-dite P.C.M. et les péripéties pseudo-présentes de sa narration, impliquant quelques barres de Bounty (deux ans de jeûne, ça creuse) et l’usage d’un petit appareil bien pratique, le mnémoprojecteur, qui, comme son nom l’indique, permet de projeter ses souvenirs devant soi, sous forme de powerpoint dessiné à main levée, d’hologramme, de filtres oreilles de chat, etc, selon le degré de réalisme souhaité,la fidélité du souvenir ou l’état d’esprit du locuteur.
 

La fameuse P.C.M. s’était jetée dans la bataille politique (ou plutôt avait glissé dedans presque par mégarde) avec pour objectif avoué de « questionner les modalités du débat », s’interrogeant sur l’impact des conditions du dialogue sur le développement des Idées. Car les Idées, « pokémons logomorphes », subissent, comme tout être vivant, l’influence du Contexte (et des Modalités). On parlera donc beaucoup de langage, dans ce spectacle très « méta », qui nous offrira même une balade dans le Monde des Idées (autant dire que Platon ne voyait sûrement pas ça comme ça – encore que…)…

 

« On vous raconte une histoire,
et vous allez secréter de l’efferalgan »

Antoine Deloort et ses acolytes interrogent notre société contemporaine, ses richesses et ses travers, avec une grande acuité, une grande culture et un sens réjouissant de l’absurde !
C’est aussi joyeux que conceptuel, foutraque que documenté.
On aime leur côté universitairo-bricolo, ambitieux sans prétention, cultivé sans arrogance, traitant la fantaisie avec sérieux et le sérieux avec décalage.

Elles vivent : tentative jouissive, aristotélicienne et utopique, de revendiquer une réconciliation des sophistes et des philosophes, d’appeler à l’écoute plutôt qu’au fracassage de mâchoires… Et surtout de saluer la puissance des histoires et des mots, de mettre en majesté la fonction performative du langage.
Puisque l’imagerie médicale atteste l’effet placebo, puisque les histoires sécrètent de la matière, puisque notre esprit est aussi fort que la chimie : allons donc doper notre réel à la fantaisie fertile d’Antoine Defoort !

Marie-Hélène Guérin

 

ELLES VIVENT (ex-FEU DE TOUT BOIS)
Au 104, jusqu’au 27 janvier 2022
Un spectacle de l’Amicale
conçu par Antoine Defoort
Collaboration artistique : Lorette Moreau
Avec Sofia Teillet, Alexandre Le Nours, Antoine Defoort et Arnaud Boulogne
Régie générale : Simon Stenmans | Création sonore : Mélodie Souquet | Création musicale : Lieven Dousselaere | Scénographie : Marie Szersnovicz | Production : Alice Broyelle et Thomas Riou | Regard extérieur : Stephanie Brotchie | Bricolage : Sebastien Vial et Vincent Tandonnet | Conception des robots : Kevin Matagne | Conseiller logomorphe : Esprit de la Forêt
Photos : Mathieu Edet

À RETROUVER EN TOURNÉE :
24 et 25 mars 2022 : Le Bateau Feu – Dunkerque
du 6 au 8 avril 2022 : Carré-Colonnes – Saint-Médard-en-Jalles
les 16 et 17 juin 2022 : Kaai Theater – Bruxelles
et tournée à venir en 22-23

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