Le Champs des possibles : l’épopée tendre et drôle d’une vraie fille d’aujourd’hui

Nous avions laissé Elise à treize ans et demi dans Pour que tu m’aimes encore, deuxième volet d’un triptyque autofictionnel initié avec La Banane américaine. PianoPanier l’avait interviewée alors (entretien ici). Après son enfance et son adolescence, la voici donc à dix-neuf ans, dans cet espace flou où le passage à l’âge adulte semble encore loin, en même temps que les questions autour de ce « champ des possibles », qui s’ouvre à elle, la percutent de plein fouet. Car comme Elise le démontre pendant tout le spectacle, ce nouvel horizon s’avère aussi grisant que vertigineux. À elle maintenant de décider du cours de sa vie et de la personne qu’elle veut devenir. La jeune bachelière prend donc la décision de quitter sa Poitou-Charentes natale pour débarquer à Paris et commencer des études de lettres.

Seule en scène, Elise Noiraud interprète brillamment toute la galerie de personnages venus traverser la nouvelle vie de l’héroïne : de la professeure de théâtre enthousiaste à l’excès, au président de l’association humanitaire étudiante qu’elle intègre – chèche en tissu recyclé et corps en chewing-gum –, en passant par la maman bobo-hautaine du petit Agamemnon qui l’emploie comme baby-sitter ou encore un ami québécois apprenti prêcheur au sein d’un groupe de prière pour le moins exalté. Au-delà de l’imitation, c’est un véritable talent d’incarnation que la comédienne déploie, basculant en quelques secondes d’une corporalité à une autre, dans une dynamique aussi maîtrisée que jouissive. Reposant sur un merveilleux sens des dialogues et des situations, le texte – édité, comme les deux autres volets, chez Actes Sud sous le titre ELISE – transfigure le quotidien de la jeune fille en une véritable épopée, à la fois (très) drôle et tendre.

Pour autant, l’autrice et comédienne n’en oublie pas les parts d’ombres et de difficultés qui sont le lot de cet âge. Parmi tous les rites de passage qui attendent en effet la jeune Elise, il en est un qui va prendre plus de temps et de difficultés que d’autres : la séparation avec ses parents et notamment sa mère, avec laquelle une relation aussi fusionnelle qu’asphyxiante a été tissée au fil des années. Les repères bougent, les modèles aussi. Simone de Beauvoir ou la parfaite Tiphaine rencontrée en amphi… A qui faudrait-il plus ressembler ?

La sobriété de la scénographie – une chaise et quelques accessoires – laisse toute la place à la mémoire d’une jeune fille pas très rangée, et même un peu foutraque, de se déployer. Elise c’est moi, c’est nous, ce sont toutes les jeunes filles qu’on a croisées ou avec lesquelles on a grandi. Une vraie fille d’aujourd’hui.

Constance Trautsolt


LE CHAMPS DES POSSIBLES
Au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 18 décembre 2021
Écriture, interprétation et mise en scène : Élise Noiraud
Collaboration artistique et photos : Baptiste Ribrault
Création lumière : François Duguest

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