Même : métaphysique fantaisie
Un gigantesque tapis de sol blanc se continuant vers les cintres en un cyclo tout aussi immaculé, 9 micros bien sagement alignés en fond de scène, des flights cases, guitare, basse, batterie : quelques griffures noires, quelques taches de couleur, sur une belle page blanche déployée devant nous. Vierge et prête à accueillir les griffonnages fous de Pierre Rigal et sa joyeuse troupe.
Athlète de haut niveau en quatre cents mètres haies, passé par des études d’économie mathématique, devenu danseur sur le tard, riche de ce passé multiple et friand d’expériences scéniques insolites, Pierre Rigal propose avec Même un spectacle mêlant intimement théâtre, danse et musique autour d’une variation échevelée sur l’identité, l’altérité et la vérité.
Fausse répèt, vrai spectacle, Même joue du même et du faux, du même qui est faux, du faux qui devient vrai.
Les interprètes face au public se dépouillent de leurs vêtements « de ville », fringues informelles, confortables, no style : dessous, ils portent leur tenue de scène, strictement identique à la première. Les premiers salves de rire fusent, le ton est donné, on part dans le burlesque, les interprètes sont imperturbables et les yeux des spectateurs pétillent.
La troupe est réunie dans ce studio pour travailler une chorégraphie minimaliste, petite boucle insidieusement répétitive et divergente. Du 12/8, donc 12 croches par mesure, ces danseurs-ci sont en 3, ceux-là en 4, ou l’inverse ? La mise en place est un vrai casse-tête, sans compter qu’un grain de sable se glisse dans l’engrenage, un des danseurs est en retard, et l’air de rien, le moment difficilement calé dérape, dérive, part en quenouille, la chorégraphie s’échappe, la répétition même se tord, chacun s’y perd et le public jubile !
Certains sont des fidèles de Pierre Rigal, d’autres viennent d’autres horizons, tous ne sont pas danseurs, mais tous dansent, et tous jouent, avec un engagement appréciable. À la fantaisie se mêlent aussi de beaux moments chorégraphiques, empreints d’un certain lyrisme contemporain – un « porté » de la chanteuse, spectaculaire, poétique et décalé, d’hypnotiques mouvements d’ensemble menés par la musique « transrock », pop parfois sombre et envoûtante interprétée sur scène par le groupe Microréalité.
Les boucles sonores, chorégraphiques ou relationnelles s’organisent et se déstructurent, des accélérations ou des ralentis cartoonesques télescopent le déroulement « normal » des choses… De distorsions en bugs, de piratages en démultiplications, « tout est relatif », surtout le temps, surtout la perception du temps, les souvenirs, la perception des choses…
Pierre Rigal et ses comparses nous plongent dans des méandres existentiels avec une évidente et communicative jubilation. Un spectacle troublant et joyeux, qui dégage une énergie folle. Ragaillardissant !
Marie-Hélène Guérin
MÊME
Au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 19 février
Comédie musicale déjantée de Pierre Rigal
Musique en direct : Microréalité
Avec Pierre Cartonnet, Mélanie Chartreux, Antonin Chaumet, Gwenaël Drapeau, Sébastien Forrester, Pierre Rigal, Denis Robert, Juliette Roudet, Crystal Shepherd-Cross
Collaboration artistique : Roy Genty – Collaboration à l’écriture des textes : Serge Kribus
Lumière : Frédéric Stoll – Sonorisation : George Dyson – Assistanat artistique : Christian Vialaret
Photos : Giovanni Cittadinicesi et Pierre Grosbois
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