L’homme est seul sur un banc, sous une couverture de survie, ses pieds nus dépassent, ses quelques vêtements sales et déchirés sont tassés par le poids du temps.
L’homme est seul, les spectateurs sont devant lui, nombreux, attentifs; voyeurs et curieux aussi, mais ne le sommes-nous pas tous un peu? C’est qu’elle a quelque chose de beau et de fascinant cette misère. C’est son paradoxe.
Nous ne la voyons pas, elle nous fait peur, et pourtant elle nous attire comme un aimant. N’est elle pas la muse des réalisateurs, des documentaristes, des photographes?
Derrière son masque de crasse, elle est riche la misère, riche de ce que les riches ont perdu, l’humanité.
Le texte de Seb Lanz nourri de maraudes dans les nuits lyonnaises, de recherches et d’interviews, nous rappelle que l’autre paradoxe, c’est que l’homme de la rue, le SDF, le clochard d’aujourd’hui, celui que notre époque ne veut plus voir, a été jadis ce mendiant, jouissant d’une certaine popularité au moyen âge. Malgré la violence de l’époque, on l’appelle alors un “demeurant partout”, on ne le laisse pas dormir dans la rue.
On a tous entendu nos ancêtres évoquer avec fierté “la place du pauvre” autour de la table, l’assiette qui sera servie, au cas où. Et puis peu à peu avec les années, on a commencé à s’en méfier. La peur est servie à la place de la soupe, et elle dévore notre générosité. La modernité aura raison du mendiant, avec une cruauté sans égal.
Dehors sur un banc, l’homme seul tient sa canette, elle est toujours à portée de mains, la bière est sans doute chaude, peu importe. Elle est sa seule compagne, sa béquille, son exutoire.
L’homme seul nous parle, nous parle beaucoup. “C’est la poésie qui l’a sauvé dans la rue”. Sa boulimie de mots est sans doute le reflet de son besoin d’amour insatiable, c’est tout ce qu’il lui reste pour panser un peu ses maux. Il nous raconte sa vie, sa vie d’avant, quand il existait pour les autres, quand il était encore le “roi du monde pour Maria” … avant de devenir ce qu’il est maintenant.
L’homme seul a trébuché sur les cailloux de la vie. Ce qui lui est arrivé, aurait pu arriver à n’importe qui. Lui ne voulait pas devenir ce qu’il est devenu, il voulait juste reprendre une vie normale. Mais voilà, il n’a pas pu ou pas voulu, ou pas trouvé la force, ou en tout cas, pas sans sa canette.
L’homme seul est seul, même Dieu n’est pas là.
L’Homme Seul est un spectacle vrai, Fred Guittet est vrai, et bouleversant.
Au moment des saluts, l’homme seul s’en est allé, on le voit disparaître au loin, nous laissant sur nos chaises … seuls.
On nait seul, on meurt seul, et entre les deux … il y a des histoires de vies sur scène, comme des éclats de nous-mêmes.
– Jean-Philippe Renaud –
L’HOMME SEUL
Théâtre des Carmes du 5 au 24juillet, 10h
Texte et mise en scène Seb Lanz
Avec Fred Guittet