Roméo et Juliette : le couple inattendu et incandescent d’Eric Ruf
Pour assister à ce Romeo et Juliette, il faut avant tout se départir de tout cliché, tout poncif entourant cette tragédie romantique. L’un des mythes les plus connus, et paradoxalement l’une des pièces les moins jouées de ce cher William. Sans doute les metteurs en scène craignent-ils de se trouver embourbés sous les couches successives de ces fameux clichés.
La vraie bonne surprise : Eric Ruf réussit à donner une lecture totalement nouvelle de cette histoire “archi-connue”. Le parti pris de déplacer l’intrigue dans la Sicile des années 30 fonctionne à merveille. Dès les premiers instants, on est saisi par la chaleur, la langueur, la douce apesanteur de cette contrée. Et surtout, on plonge pendant toute la première partie dans une infinie légèreté. Comme par magie, Eric Ruf nous fait oublier l’imminence du drame.
Tout d’abord on écoute, charmé, une voix : celle qui nous permet de reconnaître un Serge Bagdassarian physiquement transformé, au jeu toujours aussi brillant. Puis on assiste, ravi, à la préparation de la fête chez le couple Capulet formé d’une facétieuse Danièle Lebrun et d’un formidable Didier Sandre. Et puis, au plus fort de la fête, au détour d’une réjouissante farandole, on assiste médusé au coup de foudre qui conduira Roméo et Juliette au tombeau. Les scènes entre ces deux-là sont d’une justesse, d’une simplicité, d’une évidence, d’une sobriété qui les rendent d’autant plus émouvantes. A l’image de ce premier rendez-vous que nous propose Eric Ruf : la lumineuse, solaire, aérienne, lyrique, sublime Suliane Brahim est à quelques mètres au-dessus d’un Jérémy Lopez troublant de vérité, authentique et captivant.
Puis vient le drame, d’autant plus brutal que la grâce des scènes précédentes l’avait gommé de nos mémoires. Le sang appelle le sang, la vengeance et la haine reprennent leurs droits, et l’histoire, hélas, se termine telle qu’elle a toujours été contée…
Eric Ruf fait souffler sur le plateau un vent de légèreté qui balaye toutes les images d’Epinal et nous transporte dans “son” Roméo et Juliette :
1 – Il est somme toute assez rare de pouvoir rencontrer ce couple mythique sur les planches : la pièce n’avait pas été jouée depuis 60 ans au Français !…
2 – Le duo formé par Suliane Brahim et Jérémy Lopez nous enflamme, nous chavire et nous charme.
3 – La scénographie, la lumière, les costumes, les chorégraphies, les arrangements musicaux : tout concourt à créer un spectacle d’une bienfaisante et absolue beauté.
Le patron de la Comédie-Française parvient à nous “désapprendre” la légende pour nous conter une tragique et belle histoire d’amour…
Roméo et Juliette – Spectacle vu le 10 janvier 2016
Reprise à la Comédie-Française du 30 septembre 2016 au 1er février 2017
De William Shakespeare, mise en scène Eric Ruf