Revue de presse du 25 janvier : Le Temps et la Chambre, Karamazov, Mon Traître, Elvira
@ Michel Corbou
1. Alain Françon plonge et entraîne avec lui les spectateurs dans l’étrange Temps et la Chambre de Botho Strauss :
– “Une pléiade de comédiens puissants sert avec jubilation un monde où tout peut advenir.” – Figaro
– “On est dans un univers insaisissable, un temps impossible à déchiffrer faute de cheminement chronologique. Dans ces conditions, on pourrait redouter une pièce obscure, extérieure, insaisissable. Il n’en est rien tant les situations évoquées sont en prise sur l’humaine condition. Botho Strauss a l’art de jouer avec les personnages comme un joueur avec ses cartes. Il le fait avec humour et sens de la tension.” – Marianne
– “Une expérience théâtrale à part. Sa structure est particulière, et le terme de fragmentaire ne saurait suffire à la définir, même s’il est en partie approprié. Les personnages sont comme en suspension, entre le néant et l’infini. On pense à Pascal, à Beckett, à Sarraute. La traduction de Michel Vinaver semble magnifier le texte. L’absurde et la comédie se mêlent.” – La Terrasse
– “La pièce de Botho Strauss ne date pas d’hier mais de près de trente ans. Alain Françon s’en empare à son tour avec une jubilation juvénile. Françon ne craint pas ce qu’il y a de cocasse dans cette plongée perturbante au cœur d’un monde où les règles logiques de l’espace-temps n’ont pas cours. Il y a de la magie…” – Figaroscope
– em>“Une distribution éblouissante. La pièce de Botho Strauss (traduite par Michel Vinaver) est un objet théâtral fascinant par son étrangeté, sa construction fragmentaire, ses personnages fantomatiques quoique bien réels, son croisement des solitudes. Mystérieuse, abstraite, elle peut déconcerter. La mise en scène d’Alain Françon illumine et rend perceptible cette traversée du temps et des lieux. De grands comédiens investissent l’espace-temps dessiné par Jacques Gabel et les lumières de Joël Hourbeigt… Tous habitent intensément la chambre, et le temps.” – Le Journal du dimanche
– “La pièce de Botho Strauss est difficile. Aucune histoire, seulement des bribes d’histoires d’amour ou de querelles. Un espace, un feuilleté de temps et des mots qui constituent le tissu censé prendre vie devant nous. Sauf que là, non. Alain Françon n’arrive pas à nous intéresser. Il nous fait rire un peu en proposant une mise en scène ironique. Dans ce temps « suspendu », il manque peut-être un cœur vivant… Le spectacle est froid et assez vain.” – Télérama Sortir
– “Alain Françon monte la très énigmatique pièce de Botho Strauss « Le Temps et la chambre » en relevant ses vertiges et son comique. Dans un beau décor à la Hopper, les acteurs se prêtent avec facilité à ce double jeu.” – Rue du théâtre
– “Relevant les défis de la rationalité et de la représentation de l’étrangeté, et instillant quelques échappées burlesques et presque vaudevillesques, Alain Françon orchestre cette ronde évocatoire avec des comédiens émérites… Jacques Weber et Gilles Privat sont magistraux dans l’excellent duo d’hommes en gris qui ouvrent et referment la porte du temps.” – Froggy’s delight
– “La thèse est faible, la poésie en retrait, mais Françon et ses comédiens ont su magnifier un texte jusqu’à un plaisir non prévu par son auteur. Une pièce aussi étrange qu’envoûtante… cette pièce est une parade du théâtre français, de ses talents. Des talents exceptionnels.” – Toute la culture
– “On rit souvent pendant cette représentation qui aborde avec légèreté des drames existentiels. Alain Françon met en scène une histoire éclatée du sentiment plutôt qu’une histoire sentimentale. Les comédiens entre thème et variations sont pris dans le bonheur du jeu et se rient des situations. Le travail du rythme de la pièce rappelle que le spectacle se joue toujours au présent pour le plaisir du spectateur autant que son étonnement.” – Théâtrorama
@ C. Raynaud de Lage
2. Jean Bellorini s’empare avec lyrisme du Karamazov de Dostoievski, en une fresque énergique :
– “Du toit de la datcha, calée devant la pierre qui surplombe la scène, les acteurs s’adressent aux étoiles et leurs ombres agrandies se projettent sur le mur. Devant, sur un double rail, des plateaux vont et viennent avec les personnages en situation, comme manipulés par la main d’un auteur invisible au gré de son inspiration. Dans ce canevas complexe, tissé de haines familiales et d’interrogations existentielles, on parvient à suivre la ligne claire bellorinienne de bout en bout.” – Libération
– “Un spectacle palpitant et dense. Toute la place est laissée aux acteurs, en contact permanent avec le public. Le prenant généreusement par la main, pour le conduire à travers les arcanes abyssaux du roman, pour lui en faire vivre, en même temps que les questionnements, les émotions. En homme de troupe, Jean Bellorini a réuni une distribution composée de comédiens fidèles… Tous s’emparant avec une belle énergie communicative de leurs personnages, en épousant les affres, les contradictions, les tourments. Offrant au public, avec une vérité rare, leur humanité.” – La Croix
– “Le dispositif scénique foisonne de trouvailles, Bellorini joue sur de petits espaces dans lesquels l’homme apparait démuni face à l’immensité de la nature. L’espace de jeu est autant sur le toit de la datcha que sur des modules de décor qui traversent la scène sur des rails, en portant les comédiens dans de très beaux va-et-vient. L’inventivité de Bellorini nous ménage des moments d’une grande beauté plastique et parfois de burlesque…” – Culture Box
– “Une épopée lyrique et flamboyante, une fresque haute en cris et en excès. Le texte est secoué de soubresauts, traversé par des passions amoureuses, religieuses, philosophiques, politiques et existentielles. Et c’est sans doute pour retrouver cette furieuse véhémence que les comédiens de Jean Bellorini jouent avec une énergie qui confine parfois à l’hystérie. Ce théâtre extraverti a pour lui un tempérament de feu. Pourquoi pas ? Le spectacle est populaire et festif malgré la noirceur du propos. Mais il laisse à quai ceux qui espéraient s’immerger dans ce que Dostoïevski manie si bien : l’introspection, cet abîme vertigineux où plongent des héros totalement minés par le doute.” – France Culture
– “Une vision trop respectueuse… Du récit à tiroirs qui plonge avec fièvre et frénésie aux enfers et monstruosités de chacun d’entre nous, Bellorini a sauvegardé la parfaite lisibilité. Ce n’est pas assez. On attend d’une création théâtrale qu’elle transcende un texte. Pas qu’elle le résume, même au gré d’images fortes, parfois magnifiques et bouleversantes. On aurait préféré que Bellorini soit moins respectueux de l’œuvre, qu’il la fasse ré-entendre pour l’aujourd’hui…” – Télérama
– “Jean Bellorini met en scène le roman de Fiodor Dostoïevski avec une belle simplicité.” – Le Monde
– “Une plongée dans les bouillonnements de l’humain. Un spectacle total. Plutôt que de s’efforcer de rendre compte du texte de Dostoïevski dans son intégralité, Jean Bellorini en a extrait des fragments qui investissent, à travers des jeux de clairs-obscurs, ses principaux mouvements. Comme dans la vie, des espaces de flottement voient le jour, ainsi que des zones de complexité. Des moments de fulgurance, aussi – scènes à dimension lyrique ou poétique qui imposent définitivement la beauté du projet. Peut-être plus escarpé que les précédentes créations de Jean Bellorini, Karamazov donne également l’impression de davantage de liberté. On sort de ce spectacle avec de l’humain plein les yeux. Et des élans métaphysiques au fond de soi.” – La Terrasse
– “Entretien – Jean Bellorini aime raconter des histoires : « Quitte à passer pour un ringard ! L’homme a besoin de se représenter son propre monde, passé, présent et à venir. Privilégier des traversées longues dans ces théâtres où l’on reste ensemble est une forme de résistance. »” – Télérama
@ Stéphane Trapier
3. Emmanuel Meirieu réunit deux textes de Sorj Chalandon dans Mon Traître, spectacle sobre et crépusculaire :
– “On peut faire du beau théâtre avec presque rien – un micro dans la pénombre, un brouillard blanc… – du moment qu’on tient un grand texte, des comédiens habités… et qu’on sait dompter les mots. Aux Bouffes du Nord se produit ce miracle. Les trois comédiens sont admirablement dirigés : cultivant la retenue plutôt que la distanciation, Meirieu se pose en maître de l’émotion. Plus fort encore que « De beaux lendemains », parce que plus concentré, plus politique, « Mon traître » est le frisson théâtral inattendu de cette fin de saison.” – Les Echos
– “L’ambiance sépulcrale, la haute tenue des interprètes créent une tension qui sous-tend la force de l’écriture de Sorj Chalandon, son épure. Pas de mise à distance, un choc frontal, une confrontation directe avec la réalité de l’engagement politique, la violence de la trahison, le chagrin inconsolable. On peut sans doute regretter une musique un peu trop présente, tels détails secondaires, la puissance et la vérité du texte l’emportent, saisissantes.” – Le Journal du dimanche
– “Une bouleversante tragédie. Emmanuel Meirieu a fait de ce double récit littéraire du théâtre. Dans un roulement de tonnerre et une lumière blafarde, on commence par le récit du trahi, celui d’Antoine, le jeune Français, pas journaliste mais luthier, double de Chalandon, joué par Jérôme Derre ; on remonte au fils du héros, qu’incarne Stéphane Balmino, en chanteur à blouson de cuir de combattant ; on débouche sur la confession du traître par le trahi, monologue dont Jean-Marc Avocat, le torse cuivré, à l’indienne, la voix basse, fait un morceau de bravoure. Bouleversant.” – L’Humanité
– “Un spectacle halluciné que l’on écoute le souffle suspendu et le cœur chahuté. Le metteur en scène-adaptateur parvient en outre à nouer un spectacle hypnotique irrigué par une réflexion subtile sur la puissance des secrets. Dépouillée mais implacable, sa mise en scène laisse place à une forme de recueillement extatique pour dire l’amitié bafouée et le deuil impossible. C’est suffocant d’humanité, intellectuellement et esthétiquement passionnant. A ne manquer sous aucun prétexte.” – A nous Paris
– “Selon l’affreuse formule consacrée, personne ne sortira indemne de cette longue description clinique de ces jeunes gens idéalistes noyés dans leurs excréments par l’intransigeance de Mme Thatcher. Qu’on se le dise d’emblée : Emmanuel Meirieu n’a aucune pitié pour son spectateur. Il ne sera pas question d’édulcorer ce qui s’est réellement passé. En tout cas, c’est ce qui donne cette force inouïe au travail d’Emmanuel Meirieu, parfaitement dans la lignée des “romans” de Sorj Chalandon. Ici, la violence n’est pas exhibée avec complaisance. Les mots sont forts pour qu’au terme du bout de la noirceur, l’humain puisse survivre. “Mon Traître” est paradoxalement une œuvre pleine d’espoir.” – Froggy’s delight
– “Emmanuel Meirieu réunit les deux textes de Chalandon avec intelligence; le destin tragique de cet homme apparaît discrètement, plus le texte résonne moins il est aisé de juger cet homme déclaré coupable de trahison. Mais la scénographie pourtant très sobre ne parvient pas à aller à l’essentiel. L’usage de la vidéo, de la fumée qui envahit le plateau et de la ligne musicale en fond sonore, apparaît plutôt comme décorum et n’apporte rien à la beauté du texte. Le jeu des comédiens est assez inégal et on le regrette beaucoup. Emmanuel Meirieu fait le pari avec raison, d’un spectacle dans lequel tout repose sur le jeu, sur l’incarnation du verbe ; il est dommage que l’écriture de Chalandon ne prenne pas toujours corps chez les trois comédiens.” – Un fauteuil pour l’orchestre
– “Dans cette pénombre à peine éclairée de brume, sur une scène de théâtre, c’est toute la guerre fratricide, infigurable, innommable, qui nous rend visite… Le texte est dur, sublime, l’interprétation grandiose. Mais ne subsiste aucune lumière…” – Toute la culture
@ Fabio Esposito
4. Au théâtre de l’Athénée, Elvira (Elvire Jouvet 40), une leçon de théâtre portée par Toni Servillo et ses partenaires :
– “Dans le costume du professeur, l’immense acteur et metteur en scène Toni Servillo… Cet art du comédien est magistralement incarné par Toni Servillo qui, se démarquant de la personnalité de Jouvet et de son phrasé particulier, impose sa formidable présence et sa passion du théâtre et du répertoire. Petra Valentini assume avec beaucoup de finesse le double rôle de la jeune Claudia et d’Elvire, dans les moindres directions de jeu indiquées par le maître pour qu’advienne la rencontre entre l’élève comédienne et son personnage. La quête passionnera les apprentis comédiens. Mais Elvire Jouvet 40 ne se réduit pas au seul enseignement, l’arrière-plan, indiqué par les seules dates, de février à septembre 1940, est omniprésent. L’intérieur du Conservatoire où maître et élèves perpétuent un art ancestral devient un enclos de résistance face à la barbarie extérieure.” – Le Journal du dimanche
– “Entretien « Pourquoi choisir cette pièce ?
Toni Servillo : Surtout parce que j’ai un grand respect, une grande admiration pour Louis Jouvet. Son travail et sa réflexion sur le théâtre en font un des grands réformateurs du théâtre en Europe, à l’instar de Copeau, ou d’Artaud, ces grands hommes qui ont donné une dimension nouvelle à l’interprétation et à la mise en scène.” – La Terrasse
– “Toni Servillo donne un maximum d’intensité au personnage de Jouvet. Le spectacle ne souffre pas de la traduction ni du surtitrage tant l’interprétation de Servillo est habitée par la passion du théâtre et l’amour de la transmission.” – Rue du théâtre
– “On assiste à un exercice complexe passionnant, au fil duquel les mots de Jouvet dialoguent avec ceux de Molière, une mise en abyme du théâtre. Jouvet revu par Servillo c’est un homme passionné capable d’emportements, qui parle avec les mains. Cette version très italienne ne nuit en rien au spectacle qui garde sa densité et reste une célébration du théâtre.” – Webthéâtre
– “La première sensation, photographique, avant que Servillo ne prenne la parole est dans une élégance sobre. Et Toni Servillo va prendre la parole pour ne plus la rendre; il va prendre la répétition en main et lentement effacer Jouvet tout en l’honorant. Nous assistons à une magnifique leçon de théâtre. Toni Servillo est charismatique, Petra Valentini envoûtante. L’élégance des jeux discrets de Francesco Marino (Dom Juan) et de Davide Cirri (Sganarelle) vient habiller un peu plus l’éblouissant enseignement.” – Toute la culture
Répondre
Se joindre à la discussion ?Vous êtes libre de contribuer !