Interview : l’art de la rencontre

Traiter de ce thème là au théâtre n’est pas banal. Mais est-il un seul sujet qui ne soit pas théâtral ?
Les interviews font partie de notre quotidien, on nous les sert à toutes les sauces, on peut les affubler de dizaines d’adjectifs, elles nous laissent de plus en plus indifférents. On est saturé … comme dans ces parfumeries où les effluves se font une concurrence acharnée, on ne sent plus rien, on les laisse passer sans réaction; on cherche juste la bonne marque, pour faire le job. Satisfaire les attentes du client final.

Mais l’interview est un art, “un art de la rencontre” comme le dit Nicolas Truong. Parfois une étincelle réussit à faire jaillir la question inattendue, la parole vraie accouche, elle existe et souffle alors sur tous les “éléments de langage” et autres phrases convenues. Le travail de Nicolas Truong et de l’équipe artistique ne reste pas en surface, il explore les multiples facettes et les secrets de l’interview, de “la conversation”, comme préférait la nommer Jacques Chancel.

Pour autant, le résultat est sans complaisance avec les journalistes. Nicolas Truong a-t-il sans doute trop d’amour pour ce métier pour lui faire l’insulte d’être tendre avec ceux qui ne s’intéressent pas au sujet. Ceux qui n’écoutent même pas les réponses aux questions qu’ils posent. Trop à la recherche qu’ils sont du “bon client”, de celui qui, l’espace d’une manif, sera le porte-parole malgré lui de tous les autres, fabriqué de toute pièce par ces chasseurs impatients, pressés par l’horloge de l’audience.

Interview, Nicolas Truong, Nicolas Bouchaud, Judith Henry, Pianopanier, Monfort théâtre@Christophe Raynaud de Lage 

Ce qui est intéressant dans l’interview, “c’est quand tu es curieux de savoir les réponses”. Et pourtant…
Le talent de Nicolas Bouchaud et de Judith Henry les fait sautiller avec virtuosité et facilité sur toute une palette de personnages, sans accessoire superflu, tout en finesse. Un détail, une expression, une attitude et on glisse sur les décennies sans s’en rendre compte. Les histoires sont humaines, les personnages défilent, tous plus passionnants les uns que les autres, les “people” comme les anonymes. Il nous manquerait juste une interview à l’époque du cinéma muet…

On rit aux larmes avec les questions de Max Frisch tirées de son fameux “Questionnaire”, on fond en écoutant Florence Aubenas et puis on aperçoit Marguerite Duras, ressuscitée d’un “Apostrophe” de 1984. Le bouquet final est réservé au binôme Raymond Depardon Claudine Nougaret, qui raconte son travail avec une passion contagieuse, sur fond de malicieux couplet féministe.

Mais un moment très fort de la pièce restera l’histoire de l’écrivain Jean Hatzfeld amené au RWANDA par le génocide. “On ne sait pas faire avec le silence”, confit-il, alors il ira à sa rencontre et y restera des années pour vivre à ses côtés… Pour percer ce silence, tenter de trouver des réponses aux questions qu’il posait.

L’écrivain devient anthropologue, enquêteur, confesseur. En s’interrogeant lui-même avant d’interroger les autres, il exerce son métier de la plus belle et de la plus intelligente des façons, avec empathie. L’empathie, n’est-ce pas là le secret des bonnes questions, celles-là mêmes qui suscitent les réponses intéressantes? Elle est rare. L’empathie c’est quand le journaliste s’intéresse vraiment aux réponses des questions qu’il pose. Quand il se sent interpellé, quand il n’a pas peur de montrer ses failles, de chercher, de prendre son temps … de se parler à lui–même.

Interview, Nicolas Truong, Nicolas Bouchaud, Judith Henry, Pianopanier, Monfort théâtre

Il en faut du temps pour découvrir que “le mensonge des rescapés ou des tueurs est aussi important que la vérité”. C’est fort.

Il n’y a pas de doute, l’interview c’est du théâtre, et c’est aussi un art. On comprend pourquoi il nous fascine, mais aussi comment la profession qui l’incarne peut susciter autant de passion et de haine.

En sortant du théâtre, je repense au début de la pièce: les deux comédiens y jouent les apprentis journalistes, faussement maladroits, à la manière de Marceline Loridan qui haranguait les passants d’un … «Etes-vous heureux ?» pour Chronique d’un été de Jean Rouch et Edgar Morin en 1961 ?

Moi, j’aurais bien voulu qu’ils me demandent “c’est quoi le bonheur?”

Et j’aurais répondu: le bonheur? C’est simple, c’est d’être ici avec vous tous. On écoute, on réfléchit, on s’interroge, on rit, on s’émeut, … et puis on repart, heureux.

INTERVIEW
À l’affiche du Monfort Théâtre du 29 mai au 17 juin 2017 puis en tournée
Conception et mise en scène : Nicolas Truong
Avec : Nicolas Bouchaud et Judith Henry

0 réponses

Répondre

Se joindre à la discussion ?
Vous êtes libre de contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *