FESTEN : l’horreur est humaine
L’esthétique glacée d’une grande maison bourgeoise occupe tout le plateau quand le rideau s’ouvre. C’est le premier choc qui cueille le spectateur de FESTEN, la nouvelle création de Cyril Teste et de son collectif MxM. Le décor incroyablement soigné de Valérie Grall suggère une famille très aisée. Une grande table est dressée au centre, attendant ses convives. La cheminée, à cour, crépite et appelle aux confidences feutrées. À jardin, une toile champêtre, face à nous, sur le mur gris, surplombant un élégant piano noir, invite à l’escapade rêveuse. On devine d’autres pièces, derrière ce dispositif : une salle de bain, des couloirs, les cuisines… Tout est en place pour accueillir les personnages de ce grand drame qu’est FESTEN.
@Simon Gosselin
Ceux qui se souviennent avec émotion du séisme ressenti à la sortie du film de Thomas Winterberg – Prix du Jury au Festival de Cannes 1998 – ne seront pas dépaysés. Les autres vont prendre en pleine face l’un des spectacles les plus forts de cette saison 2017/2018. C’est jour de fête dans cette grande maison. On célèbre les 60 ans du maître du lieu, Helge. Les invités arrivent un à un : le premier fils, Michael, l’aîné, le plus instable, et sa femme. Son jeune frère Christian les rejoint vite. Il a l’apparence du fils préféré, du garçon sage, de celui dont on est fier. Sa grande sœur Linda est là aussi, ainsi que quelques amis. Ne manque que sa sœur jumelle, absente de ce repas d’anniversaire.
Le maître d’hôtel fait les présentations et règle avec tact l’installation de chaque invité. On appelle même, chaque soir, quatre spectateurs qui auront le privilège de vivre de l’intérieur ce dîner un peu particulier. Celui dont on va célébrer l’anniversaire accueille avec chaleur tous les invités avec son épouse. Il a l’assurance de la maturité, du chef de famille respecté, de celui qui rassemble l’affection de tous. On s’embrasse, on s’étreint, on est visiblement heureux d’être là. Mais on devine vite que l’air est chargé de lourds secrets et de drames enfouis. Il ne faut pas plus en dire, pour laisser à chacun le plaisir de (re)vivre l’irruption du volcan endormi, le fracas des masques qui tombent, la sidération de la révélation glaçante.
« J’aime redonner de la marge au regard, re-questionner sa place » – Cyril Teste
Devant nous, c’est à la fois une pièce qui se joue et un film qui se fait : deux cameramen captent les scènes, montées en direct et projetées sur un grand écran. Ce dispositif incroyablement virtuose, loin d’être une contrainte pour le spectateur, lui offre, au contraire, de nouvelles façons de voir l’action qui se déroule sous ses yeux, de jongler avec les points de vues qui s’enrichissent mutuellement, de saisir les nuances qui se révèlent quand la caméra change la focale. Les images sont souvent très belles, et toujours au service du propos.
Cyril Teste est passé maître dans l’utilisation de cette double technique et dans l’utilisation unique de l’espace mis à sa disposition. On songe, rêveur, à tous les talents et à tout le travail qu’il a fallu rassembler pour produire un tel spectacle, où chaque pas est compté, où chaque regard est scruté, où chaque soupir témoigne d’une émotion précise. Il y a là, devant nous, un paradoxe constant : ce spectacle est d’une stupéfiante beauté, mais celle qu’il donne à voir a l’élégance de l’horreur qui éclate, et qui se cache sous le tapis, dans les faux-semblants d’une famille.
Les comédiens du collectif MxM se meuvent avec aisance dans cette mécanique de précision. Mathias Labelle (Christian) est saisissant de colère rentrée et de souffrance enfouie. Sophie Cattani, sa sœur (Linda), est parfaite dans l’empathie douloureuse. Il y a des moments assez vertigineux, mais, au-delà des images et de la mise en scène, on est aussi submergé par la force de ce texte, déjà saisi au cinéma, et qui, par la grâce du théâtre, éclate au grand jour, comme la bombe à retardement qu’il raconte.
Cyril Teste s’inscrit résolument aujourd’hui dans la lignée des grands créateurs contemporains, comme Ivo Van Hove, Pascal Rambert, Roméo Castellucci, Thomas Ostermeier et Joël Pommerat. Son FESTEN est incontestablement l’un des spectacles les plus marquants de cette saison 2017/2018, de ceux que l’on ne peut malheureusement que rater si l’on n’a pas pris soin de prendre une place car c’est bondé tous les soirs, souvent d’ailleurs par un public jeune et enthousiaste.
Mais ce spectacle va beaucoup tourner, succès oblige. Alors n’hésitez pas à venir vous asseoir à la table de FESTEN…
FESTEN de Thomas Vinterberg et Mogens Rukov, adaptation théâtrale Bo Hr. Hansen
Du 24 novembre au 22 décembre 2017 à l’ Odéon Théâtre de l’Europe
Mise en scène : Cyril Teste
Avec : Estelle André, Vincent Berger, Hervé Blanc, Sandy Boizard ou Marion Pellissier, Sophie Cattani, Bénédicte Guilbert, Mathias Labelle, Danièle Léon, Xavier Maly, Lou Martin-Fernet, Ludovic Molière, Catherine Morlot, Anthony Paliotti, Pierre Timaitre, Gérald Weingand et la participation de Laureline Le Bris-Cep
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