Bohème, notre jeunesse – pour l’amour de l’art, et de l’amour.

Sortons de nos sentiers battus, et osons une fugue vers l’opéra… C’est la talentueuse metteuse en scène Pauline Bureau dont on a tant aimé Les Bijoux de pacotille ou Mon cœur qui nous y entraîne, nous prenant la main de son délicat talent.

La Bohème, œuvre « maison », a été jouée 1522 fois à l’Opéra-Comique depuis sa création. 113 Mimi, 94 Rodolphe ont défilé sur ses planches… Puccini lui-même avait pris ses quartiers à l’Opéra-Comique pour superviser l’adaptation en français de ces œuvres : c’est dire si cette Bohème se sent chez elle entre ces murs !
On nous propose là une version « légère », 1h30, avec un orchestre réduit, une version voulue plus mobile, plus accessible, resserrée sur l’intimité de ses personnages, « la fragilité de leur condition, la fraîcheur de leurs émotions ». Il y a quelques protagonistes en moins. Des hommes, car des femmes, il n’y en a que deux dans cette œuvre : Pauline Bureau a souhaité préserver l’intégralité de leurs rôles, pour rééquilibrer un peu la présence des femmes dans cet univers si masculin – reflet d’une époque.
 

Il faut redire combien l’harmonie de Puccini est d’une clarté,
d’une transparence et d’une précision sublimes.

Marc-Olivier Dupin, adaptation musicale

 

Une haute façade noire nous fait face, sous les ors de la vénérable salle de l’Opéra-Comique, très minérale, très contemporaine. Elle prend vie en se faisant tableau noir où s’écrit comme à la craie une lettre que Mimi, petite provinciale fraîchement débarquée à Paris, rédige pour rassurer sa mère…
Une belle projection d’immeubles parisiens vient recouvrir ces murailles d’obsidiennes, fenêtres, enseignes, pierres noircies de suie, on y est ! C’est un Paris de la fin du XIXe qui se dessine, un panneau s’estompe, l’appartement de Rodolphe s’ouvre et devient une autre scène, petit théâtre de tréteaux perché au premier étage d’un immeuble qui a perdu de sa superbe. La bohème, ce sont ces jeunes gens d’hier, pas si loin des jeunes gens d’aujourd’hui, étudiants, artistes en devenir, cousettes, grisettes, fauchés, coloc’ et débrouille, un jour on a de quoi becqueter, le lendemain de quoi se payer un verre chez Momus, au gré d’un petit boulot, d’un tableau vendu, d’un « papier » commandé par une revue… des jeunes gens qui se réchauffent d’amitié, d’eau-de-vie, d’un poêle garni de la dernière pièce de l’auteur de la bande et d’amours fiévreuses.
 

C’est le frottement entre hier et aujourd’hui qui crée l’univers de Bohème, notre jeunesse.
Deux époques qui dialoguent et s’éclairent mutuellement.
Pauline Bureau, adaptation et mise en scène

 

La mise en scène est fluide, malicieuse, pleine d’humanité, de légèreté et de poésie. Pauline Bureau comme elle sait le faire utilise avec une grande subtilité la vidéo (belle création de Nathalie Cabrol), jamais redondante, toujours utile et élégante. Elle ne se refuse pourtant pas à offrir au spectateur des images d’un grand lyrisme, où la nature – une neige tombant doucement, une silhouette d’arbre dénudé – s’immisce dans la ville et invente un espace plus irréel, plus affectif.
L’orchestre glisse avec à-propos au milieu de ses sonorités classiques quelques notes d’accordéon, qui apportent une touche de bal populaire, une ombre de nostalgie.
Les chanteurs ont l’âge et la fougue de leurs rôles, la voix bien timbrée et une belle expressivité, sans emphase mais avec une riche sensibilité. Un « parlé-chanté » plus théâtral, plus quotidien, alterne avec des duos flamboyants ou poignants, à la hauteur du drame qui se noue – car il faut bien qu’un drame se noue…
Le final, déchirant, sous une lune gigantesque dans une lumière de crépuscule, laisse les gorges nouées.

Marie-Hélène Guérin

 

BOHÈME, NOTRE JEUNESSE
À l’affiche de l’Opéra-Comique jusqu’au 17 juillet 2018
D’après La Bohême de Giacomo Puccini
Adaptation musicale : Marc-Olivier Dupin
Direction musicale : Alexandra Cravero
Adaptation, traduction et mise en scène : Pauline Bureau
Avec Sandrine Buendia, Kevin Amiel, Marie-Eve Munger, Jean-Christophe Lanièce, Nicolas Legoux, Ronan Debois, Benjamin Alunni et Anthony Roullier
Orchestre : Les Frivolités Parisiennes

Photographies @Pierre Grosbois

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