Histoires invisibles : de magnifiques marionnettes nous emmènent dans un intrigant et poétique voyage au cœur de la mangrove
Au Grand Parquet, un spectacle intrigant et poétique nous fait voyager au cœur des Sundarbans – la plus grande mangrove du monde – et de ses créatures magiques.
On nous promet une conférence sur l’impact des « évènements invisibles mouvants » (traduire : les fantômes) sur les modalités de circulation automobile (traduire : les embouteillages) à Dhaka, bouillonnante capitale du Bangladesh. Les deux intervenants scientifiques (Laurie Cannac et Md Farhat Ahmed) sont parés des atours officiels de leur fonction, costumes noirs, blouses blanches, mines sérieuses. Sages spectateurs, nous écoutons l’exposé des deux doctes acolytes sur la faune magique bengali – avant qu’un tour de passe-passe nous entraîne au Bangladesh, à la suite du quantique Professeur Ahmed – qui plie l’espace-temps quand il est trop pressé de retrouver Dakha, embarquant avec lui son entourage immédiat.
Nous voilà plongés par un univers littéralement fantasmagorique. En compagnie des deux scientifiques égarés en pleine jungle, raptés et déboussolés par leur propre sujet, nous serons confrontés aux forces de la nature, orages, inondations, tigres – ou même esprits. Ces êtres magiques plongent leurs racines dans une très ancienne proximité avec la nature, pour raconter les peurs et désarrois contemporains face aux dangers liés aux changements climatiques. L’ancestral esprit de l’eau, « source des mers du Bangladesh et de la vie », prend corps, pour réclamer vengeance de la pollution dont on l’empoisonne, tandis que Bonbibi, la jeune fille esprit de la forêt, si l’on va vers elle en paix et sans avidité, « les mains vides et le coeur pur », protège aujourd’hui comme elle protégeait autrefois.
Laurie Cannac, comédienne, metteuse en scène et marionnettiste, nourrie de ses échanges avec Ilka Schönbein, a conçu ce spectacle avec une envie, une nécessité, d’amener sur le plateau le monde naturel, « silencieux et invisible », que l’on efface de nos outils perpétuellement allumés, de notre mépris et de notre ignorance. Swatee Bhadra, qui l’assiste à la création des marionnettes et à la mise en scène, fait aussi le cadeau de sa délicate voix pour un chant bangladais solaire et joyeux. Md Farhat Ahmed apporte sa langue chantante, sa présence de clown blanc et une danse entre contemporain et tradition très évocatrice. Pas de décor sur ce plateau nu où l’on va nous parler du vide et de l’invisible, mais de jolies lumières et une création sonore très réussie.
Le récit, touffu, métissé de légendes anciennes et de préoccupations actuelles, vagabonde au milieu d’animaux et d’êtres invisibles qui prennent vie par la magie des magnifiques « marionnettes de corps », animées par les interprètes. L’esprit de l’eau, immense, mouvant, vert chatoyant, s’étale, se redresse, geint et menace. Un bras-serpent ondule, un crocodile traîne son ventre paléolithique et sa gueule de souche d’arbre, des bras se font jambes pour à un enfant, deux humains emplissent un tigre majestueux. C’est merveilleux à tous les sens du terme, écologique, effrayant, enchanteur.
Des marionnettes spectaculaires, des comédien.nes malicieux, un univers complexe et dense, à découvrir avec des enfants à partir de 9-10 ans, qui, comme les adultes, s’amuseront des péripéties, seront impressionnés par le splendide travail corporel et visuel, et sans doute sauront entendre la leçon d’espoir et de vie que nous donne ce monde invisible si on veut bien l’écouter.
Marie-Hélène Guérin
HISTOIRES INVISIBLES
Au Grand Parquet les jeudi 2 et vendredi 3 octobre 2025
mise en scène, marionnettes Laurie Cannac / jeu Laurie Cannac, Farhad Ahmed / assistanat à la mise en scène, marionnettes Swatee Bhadra / assistanat à la chorégraphie Farhad Ahmed / création lumière Sébastien Choriol, Mukhlesur Rahman / création son Chirls Chowdury / fixing Tanim Sadman / musique originale Srichty Sancharee, Aronno Anupom / voix enregistrées Swatee Bhadra, Farhad Ahmed, Urmila Ashrafee
photos : le tigre © Laurie Cannac – autres photos © Shadab Shahrokh
production Compagnie Graine de Vie, Alliance Française de Dhaka / coproduction FMTM Charleville-Mézières, Alliance Française de Dhaka / soutiens DRAC Bourgogne-Franche-Comté, Institut Français, Ambassade de France au Bangladesh, Région Bourgogne-Franche-Comté, Ville de Besançon / résidences AF Dhaka, AF Chittagong, Théâtre Edwige Feuillère – Vesoul, Mi-Scène – Poligny, Le Strapontin – Pont-Scorff
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