Terrible
Alors bien sûr, en première ligne, l’auteur (Jean-Claude Grumberg) nous parle du racisme ordinaire, terrible, de la bêtise humaine, mais en profondeur, l’auteur nous parle d’une forme encore plus pernicieuse de totalitarisme, celle du noyau familial, de la cruauté et de la terreur qui se passe au sein des familles.
Le metteur en scène (Jean-Louis Benoit) a rassemblé ici quatre courtes pièces, des saynètes, dont il a su créer une unité à travers cet univers familial et plus particulièrement par le biais du personnage central, le père, Riton (Philippe Duquesne), qu’on suit dans son délire et le malaxage de sa haine.
Ici parle ce qui ne sort pas en société, ce qui est muselé à l’intérieur de quatre murs (murs d’appartement, murs de salle de restaurant, mur de la famille), car toutes les scènes sont des scènes d’intérieur où s’étale et s’imprègne la crasse ignare du prolo populiste dans toute sa splendeur.
Une première saynète -« Michu »- montre l’Autre qui persécute celui qui essaie de dormir et sera poussé dans ses retranchements dont l’Autre l’assure. Il endossera pour une nuit toutes les minorités bafouées, du pédéraste au juif en passant par le communiste et le franc-maçon, avec un traitement de la lumière fait d’ombres comme celles qui écrasent ce pauvre Michu, comme l’ombre de Dieu.
@Bohumil Kostohryz
Une deuxième saynète « Les vacances », met en situation des prolos en vacances à l’étranger. S’y révèlent tantôt l’exécration de l’Autre, celui qui pourtant reçoit avec chaleur (Antony Cochin), tantôt l’autosatisfaction d’être le touriste parfait qui sait s’intégrer et apprécier les différences, où l’on frôle d’ailleurs un peu trop longtemps la nausée, où toute la famille n’aura que des griefs contre la nourriture forcément infâme, qui sera servie dans ce restaurant, où il aura fallu prendre l’avion et le bateau pour s’y rendre.
Dans la troisième saynète, « Rixe », on est pris dans le fort familial, la tour d’ivoire de cette toujours même famille de Français de souche vivant au milieu d’une cité pleine de mixité sociale. On y assiste à la narration délirante, emplie de préjugés, de mauvaise foi et de sentiment de supériorité, d’un petit cadre qui fait mine de ne pas y toucher, d’être le parfait gentleman, alors qu’il est l’odieux provocateur raciste. Il raconte la manière dont il a embouti la voiture d’un bougnoule et comment une course poursuite s’engagera dans la ville, pour échapper à la victime de ses injures et de son emboutissement, qui le fera arriver très en retard au diner familial. Chez lui, il ira jusqu’à tirer à vue sur un bicot de son quartier, qui, de toute façon faisait partie du lot de ceux qui ne sont pas de vrais Français. Tout cela soutenu par les interventions de sa femme (Nicole Max), qui en toute raison devrait s’opposer à sa folie galopante, mais qui encore une fois se laisse gagner par la peur, le discours xénophobe de son mari, à qui elle espère qu’il n’arrivera rien de fâcheux.
La place de la femme d’ailleurs n’est pas sans importance. Soumise, inféodée à son mari, infantile, lâche, c’est aussi malheureusement une femme d’aujourd’hui, de celles qui s’enferment chez elles et n’ont du monde que la vision du discours de leur mari. Et la globalisation ne change rien à l’affaire. Si elle avait eu internet, on l’aurait imaginée passant sa journée à jouer à Tétris plus qu’à lire Wikipédia.
Quant à la dernière saynète « La vocation », elle montre un père autoritaire et sympa qui demande à son fils ce qu’il veut faire dans la vie, l’assurant de son soutien inconditionnel quelque soit son choix. Et pourtant, cela ne se passera pas comme ça.
On pourra être d’ailleurs déçu par la fin. On aurait davantage apprécié le respect du texte qui aurait amené une dimension encore supplémentaire dans la folie et la bêtise, celle d’une police délinquante.
Dans cette pièce, plus que rire, on jubile, et le mot n’est pas exagéré, de la puissance d’écriture extrêmement bien ficelée et implacable, du vocabulaire, de la dérision avec laquelle l’auteur la traite et la manière dont il montre le processus de haine en marche.
Le père, Henri Michu, archétype du beauf parfait, avec sa chemise presque hawaïenne, son machisme et son racisme, performe de scène en scène, avec un jeu égal et puissant, où Philippe Duquesne enfile le costume avec tout ce qu’il sait déjà de la bêtise transmise de génération en génération.
Mais pour revenir au texte et à sa force, partout l’on rencontre l’ambivalence et l’oxymore comme dans la dernière saynète où le père est à la fois sympa et autoritaire. On est dans du grand art d’écrire, à cette frontière, cet intervalle, où il est difficile de trancher pour savoir où se situe exactement le bien et le mal, une écriture qui nous implique, nous renvoie à nous-même, même si bien sûr, la pièce traite du racisme dans tout son sans-gêne et qu’on est bien sûr profondément affligé.
On regrettera la quasi absence de parole des jeunes comédiens (Pierre Cuq et Stéphane Robles) qui devront s’en tenir à des postures, alors qu’on aurait aimé les entendre davantage s’opposer au père, comme dans la dernière saynète.
La vastitude du plateau, le minimalisme du décor et le gigantisme des panneaux peuvent évoquer par métaphores toute l’immensité de la bêtise des personnages. Seul l’un d’eux sera sauvé… ou plutôt se sauvera.
Amateurs de beaux textes, aventurez-vous dans ce huis-clos infernal.
LES AUTRES – de Jean-Claude Grumberg
Du 23 novembre au 23 décembre 2017 au Théâtre de l’Épée de Bois
Mise en scène : Jean-Louis Benoît
Avec : Philippe Duquesne, Nicole Max, Pierre Cuq, Stéphane Robles, Antony Cochin
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