Saigon : larmes d’exil
La première sensation lorsque le rideau dévoile le prodigieux décor imaginé par Caroline Guiela Nguyen, c’est un mélange de respect, d’admiration, presque d’engouement. On est directement projeté dans ce restaurant vietnamien du 12ème arrondissement parisien, cadre unique de toutes les histoires qui s’enchevêtreront au fil du spectacle. L’un de ces restaurants typiques, reconnaissables, un brin kitsch, fleurs en papier aux couleurs vives et mobilier en métal. Ce type d’établissements qui semblent intemporels, à tel point que rien ne parait moins étonnant que de voir ce même décor traverser 40 années et plusieurs continents au cours du spectacle.
40 ans qui séparent le Saigon de 1956 du Paris de 1996. 40 ans d’histoires sur fond d’Histoire. Des histoires d’amour, de séparations. Des histoires emplies de larmes… Avec en toile de fond la guerre du Vietnam, l’indépendance de l’Indochine, l’exil, le retour au pays, le manque de sa patrie…
@Jean-Louis Fernandez
“ Vous étiez au bord des larmes, vous avez parlé pendant 40 minutes, vous parliez de quoi ?“
En fond sonore, la voix off de Lam (Thi Thanh Thu Tô) qui n’est pas sans rappeler le ton de la narratrice du Cendrillon de Joël Pommerat nous rappelle ce contexte particulier de 1996 : la fin de l’embargo sur le Vietnam autorise le retour des Viet-kieus (Vietnamiens d’outre-mer) au pays. Cette question du retour, du départ, des adieux et retrouvailles est le fil conducteur du spectacle. Nous sommes dans le restaurant parisien de Marie-Antoinette (poignante Anh Tran Nghia), qui a émigré à Paris en 1956. Ce restaurant qui est donc la copie conforme de celui qu’elle tenait à Saigon en 1956 est le lieu de rencontre de plusieurs personnages. Il ya Hao (troublant Hoàng Son Lê) et sa fiancée Mai, qui le quittera parce qu’il chante pour les Français. Et puis Linh (la déchirante Phu Hau Nguyen), qui s’apprête à partir pour la France avec un soldat dont elle est tombée amoureuse (excellent Dan Artus) mais qui angoisse de quitter les siens. On retrouvera tout ce petit monde à Paris en 1956. Puis, au même endroit, 40 ans plus tard : Linh et son fils qui la presse de s’envoler vers le Vietnam sur les traces de son passé, et le vieux Hao (très émouvant Hiep Tran Nghia) qui le fera, lui le voyage, et ne comprendra plus la langue parlée par les jeunes Vietnamiens.
“Saïgon ne concerne pas les Vietnamiens, ni même les Français qui seraient partis en Indochine, elle concerne notre mémoire collective et s’est déposée dans le rhizome de nos affects et de nos imaginaires. Saïgon appartient à tous.” – Caroline Guiela NGyuen
C’est bien de langue qu’il est question aussi, et c’est la langue qui ajoute tant de beauté au spectacle. Onze acteurs sur le plateau, des Vietnamiens, des Français, des professionnels, des amateurs qui parlent français et vietnamien.
Certaines scènes semblent tout droit sorties d’un film de Wong Kar Waï, dans leur lenteur, leur infinie délicatesse, leur majesté quasi hypnotique.
On comprend le succès immédiat que recueillit Saigon au dernier Festival d’Avignon. Car au travers de ces destins croisés, Caroline Guiela Nguyen nous parle d’exil, d’amour, de nostalgie, de douleur… Saigon appartient à tous, Saigon est le réceptacle de nos larmes d’exil…
-Sabine Aznar-
À l’affiche de L’Odéon-Théâtre de l’Europe – Berthier du 12 janvier au 18 février 2018 (mardi au samedi 19h30, dimanche 15h)
Texte et mise en scène : Caroline Guiela Nguyen – Les Hommes Approximatifs
Avec : Caroline Arrouas, Dan Artus, Adeline Guillot, Thi Truc Ly Huynh, Hoàng Son Lê, Phú Hau Nguyen, My Chau Nguyen Thi, Pierric Plathier, Thi Thanh Thu Tô, Anh Tran Nghia, Hiep Tran Nghia
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