L’étoffe des rêves
« We are such stuff as dreams are made on, and our little life is rounded with a sleep. » – William Shakespeare.
A Pantin, au 49 de la rue des Sept Arpents, à quelques pas du métro Hoche, il y a une porte magique. Une porte qui ouvre sur le rêve, sur l’imaginaire, un lieu qui vous emporte loin de Paris, loin de votre vie, loin de tout.
Peut-être plus près de vous-même.
Entre les supérettes exotiques improbables et les réparateurs de téléphone portable, il y a une brèche. Il ne faut pas la manquer, il faut s’y enfoncer. Sans précaution. C’est la porte du Théâtre. Un théâtre pauvre et riche à millions, riche de ses folies et de ses costumes imprégnés de la sueur des comédiens, aux doublures teintes de maquillage, auréolés de sel, mais aussi brillants de vieil or, bruissants du poids des étoffes sur les parquets de chêne, un théâtre riche de son humanité, de ses humanités, de l’infini de l’humain, de ses pluriels.
Dans cette brèche, Shakespeare s’engouffre avec vous.
La Tempête.
Des êtres humains s’agitent sur le sable, s’ébrouent derrière l’immense voile écru. On entrevoit des miracles, des mirages. Shakespeare accompagne la folie des hommes, la dépèce, la fait tournoyer avec brio dans son moulin de flammes verbales, parfois tempérées d’amour, ou attisées de troubles et de colères.
Des clochettes retentissent, les bâtons de pluie font trembler l’air, les tambours immobilisent le silence, les flammes teintent l’espace, s’éteignent dans le sable. L’homme s’y vautre, s’y enterre, s’y noie, et en ressort. La tempête du théâtre transforme les hommes, les fait voir à eux-mêmes dans un miroir joyeusement déformant, leurs bassesses, leurs miraculeuses beautés, leurs désirs, des plus purs aux plus vils, leurs colères profondes et légères, l’ignominie de leurs vices comme la candeur de leurs espoirs.
© Nourdine Mefsel
Une plaque de métal tremble et nos coeurs s’agitent, le navire est là, derrière un voile de brume, peuplé de mille silhouettes. La machine du théâtre se met en branle, dans la lueur des projecteurs et des bougies. Du sable, des bambous, des canisses, l’élégante silhouette d’un tronc de bois flotté, des voiles qui se hissent, se tordent, qui recèlent en leurs noeuds des princes, des songes, des mystères, des comédiens qui livrent leurs corps et leurs âmes pour emplir l’instant d’émerveillement.
Comme les naufragés du navire shakespearien, nous sommes des enfants, éblouis par un banquet de fruits miraculeux présenté dans une conque botticellienne, attirés par l’apparat des atours de velours galonnés d’or suspendus hors de portée, estomaqués par le surgissement de la beauté.
Des hommes enchevêtrés, empêtrés les uns dans les autres, débrouillant comme il le peuvent, l’écheveau de la vie. Joie du ridicule. Rires. Rires.
Et la musique de la beauté qui flotte, apparaît, disparaît, nous caresse, et nous réveille en sursaut.
Nous sommes les jouets dociles de cette marée de théâtre, et nous échouons sur le sable à la fin de la représentation, l’esprit bruissant de toutes les images qui nous ont transportées.
Et nous voilà, sur le bitume luisant de pluie, à nous diriger vers le métro. Était-ce un rêve?
– Agnès T. –
« La Tempête »
De William Shakespeare
Au Théâtre des Loges – Pantin
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