“Moi, Caravage” par Lui, Cesare Capitani

C’est l’histoire du peintre Michelangelo Merisi, dit Caravage (d’où vient ce nom ? réponse dans le spectacle, parmi de nombreuses autres anecdotes passionnantes). L’histoire de sa vie, depuis sa naissance jusqu’à sa mort. Comme elle fut passionnante et survoltée cette vie ! Personnage incroyablement romanesque, Caravage était un rebelle, une sorte d’écorché vif, un homme fougueux, toujours passionné, parfois violent, jamais paisible. Sa vie trépidante fut jalonnée d’aventures amoureuses avec des femmes, des hommes, des prostituées, des voyous…qui souvent lui servirent de modèles. L’existence du Caravage prit fin brusquement, dans des conditions qui demeurent obscures, à l’image de ses toiles qui marquèrent un tournant dans la peinture du XVIIè siècle.

Moi, Caravage, une pièce de et avec Cesare Capitani, d'après le roman de Dominique Fernandez mise en scène Stanislas Grassian critique coup de coeur Pianopanier ©B.Cruveiller©B.Cruveiller 

“Je ne veux pas de silence dans mes tableaux : je veux du bruit !”

Car c’est aussi et surtout de peinture dont nous parle Cesare Capitani dans son spectacle. Au fil de l’épopée qu’il nous relate, les célèbres tableaux se reconstituent dans notre esprit. De “Corbeille de fruits” à “David et Goliath” en passant par “Méduse”, les œuvres défilent sous nos yeux grâce à une scénographie qui reconstitue subtilement le clair-obscur du Caravage.
Mis en lumière tantôt par de simples bougies, tantôt par le jeu des projecteurs, les visages de Cesare Capitani et de sa partenaire de scène se détachent avec précision, finesse, réalisme.

Moi, Caravage, une pièce de et avec Cesare Capitani, d'après le roman de Dominique Fernandez mise en scène Stanislas Grassian critique coup de coeur Pianopanier ©B.Cruveiller

De mon existence, j’ai fait un précipice…

Laetitia Favart (en alternance avec Marion Leroy) chante a capella des morceaux de Monteverdi et d’autres compositeurs italiens de la Renaissance, donnant un relief supplémentaire au spectacle. On comprend le succès remporté par celui-ci. Depuis 2010, plus de 430 représentations ont permis de ressusciter autant de fois l’immense artiste, le “peintre maudit”. Et c’est assurément de la virtuosité, non plus devant la toile, mais sur les planches qui nous cueille dès les premières minutes. La virtuosité d’un comédien franco-italien aussi bouillonnant, passionné, exalté, véhément, débordant, volcanique que l’était son modèle. Cesare Capitani ne peut laisser indifférent : à peine sorti de salle, le premier réflexe, le premier désir est de “se téléporter” immédiatement devant une toile du Caravage…

MOI CARAVAGE 
Á l’affiche de Lucernaire  – du 11 janvier au 12 mars (18h30 du mardi au samedi, dimanche 16h)
Une pièce de Cesare Capitani, d’après le roman de Dominique Fernandez “La Course à l’abîme
Mise en scène Stanislas Grassian
Avec : Cesare Capitani et Laetitia Favart ou Manon Leroy (en alternance)
Spectacle en italien les mardis

Une Eclipse Totale pour un Julien Alluguette solaire

En 1871, Rimbaud (Julien Alluguette), jeune homme de 17 ans, arrive de Charleville et rencontre, à Paris, Verlaine (Didier Long), et son épouse Mathilde (Jeanne Ruff). Une attraction artistique autant que sexuelle s’opère immédiatement entre les deux hommes. Nous allons assister à un combat passionné qui durera deux années pleines.
La scène du Poche Montparnasse offre un décor magique pour l’expression de cet amour interdit. Face à un Rimbaud, animal, provoquant, rustre et raffiné se dresse un Verlaine, bourgeois, indécis et violent vis-à-vis de son épouse et de son enfant.
Ce qui émeut au plus haut point est l’interprétation offerte par les deux amants : le registre de la suggestion a été préféré à celui du voyeurisme. Mathilde, beauté intemporelle, incarne –en peu de mots mais avec une vraie posture- la délicatesse, la droiture et une forme d’ordre social.

La mise en scène proposée par Didier Long est d’un esthétisme pur. Seules deux banquettes noires, symétriques se font face et permettent un voyage agité, dans le temps et l’espace : Londres, Bruxelles… Nous accompagnons les deux hommes dans tous les paradis artificiels (alcool, absinthe) jusqu’à leur dernière étreinte, et à la mort de chacun d’eux, à 5 ans d’intervalle.

Au-delà du récit biographique, cette pièce enseigne la puissance de la passion comme acte créateur et destructeur, Rimbaud voulant « tout expérimenter dans sa chair afin de devenir lucide ».
À la sortie de la pièce, et comme dans l’inconscient collectif, ces deux poètes restent liés par un destin commun où la mort ne sépare pas totalement ce qui a été créé.

Magali Rossello

Rimbaud Verlaine, Eclipse totale
Á l’affiche du Théâtre de Poche Montparnasse jusqu’au 6 mai 2017 (mardi au samedi 21h)
Un texte de Christopher Hampton
Adaptation et mise en scène : Didier Long
Avec : Julien Alluguette, Jeanne Ruff, Didier Long

Un fil à la patte très bien ficelé par la Compagnie VIVA

Monter du Feydeau, ça ne pardonne pas. Soit on s’embourbe dans de grossières ficelles comiques, soit on s’évertue à redonner toute la verve du texte et la franche énergie qu’elle requiert. Pari gagnant pour Anthony Magnier et ses comédiens. Beaucoup de fraicheur et de judicieuses idées de mise en scène. De la folie et de la férocité. On rit franchement. Tonus, fermeté et précision chez ces acteurs de la compagnie Viva.

Un Fil à la patte, Georges Feydeau, Compagnie Viva, Anthony Magnier, Théâtre 14, critique Pianopanier© Anthony Magnier

C’est un véritable ballet de quiproquos, de mensonges et de manipulations dans une maison de fous. On connait l’intrigue : Bois d’Enghien sur le point de se marier avec une riche héritière, doit se débarrasser à tout prix de sa maitresse à scandale Lucette Gautier. Autour de lui défilent des personnages tous hauts en couleurs, dépendant les uns des autres autant que d’eux même. C’est comique, c’est absurde. Les délires y sont verbaux et sonores; la mise en scène s’attache particulièrement à cette rythmique d’interjection, de cris, de clac, de boum avec la précision chorale et musicale de la scénographie par l’utilisation originale et millimétrée du mime et des bruitages.

Un Fil à la patte, la pièce de Georges Feydeau mise en scène par la Compagnie Viva, direction Anthony Magnier, reprise Théâtre 14 copyright Anthony Magnier, critique Pianopanier

“Le comique, c’est la réfraction naturelle d’un drame”- Georges Feydeau

Encore une fois on rit beaucoup, mais si l’on rit, c’est de la folie humaine et de sa cruauté.
La pièce a reçu le Grand Prix du Jury et le prix du Jury Jeunes du Festival d’Anjou 2015, et vraiment, elle mérite d’être vue. Courez-y : vous ne serez pas déçus !

UN FIL À LA PATTE, de Georges Feydeau
Du 8 novembre au 31 décembre 2016 au Théâtre 14
Mise en scène Anthony Magnier, Compagnie VIVA
Avec : Marie Le Cam, Stéphane Brel ou Lionel Pascal, Solveig Maupu, Agathe Boudrières,  Eugénie Ravon, Gaspard Fasulo ou Xavier Martel, Xavier Clion, Mikael Taieb, Anthony Magnier ou Julien Jacob

Dates de tournée

La Nuit où le jour s’est levé : une nuit solaire…

“Lancer un caillou sur la carte du monde”

Puis ramasser le caillou tombé sur le Brésil et décider de s’envoler vers ce pays lointain, inconnu, inédit, secret et forcément fascinant.
C’est sur ce coup de tête que Suzanne quitte la France, son frère Gino, et une vie sans doute un peu trop dénuée de sens…
Arrivée à Belo Horizonte – une ville dont le nom même est une invitation au voyage – Suzanne devient bénévole dans un couvent au sein duquel viennent parfois se réfugier des femmes sur le point d’accoucher.
Une nuit – l’une de ces “nuits où même dormir te donne chaud” – Suzanne aide Soeur Maria Luz à mettre au monde un enfant. Cet enfant-là que sa mère sera forcée d’abandonner à peine le premier cri jailli. Cet enfant-là pour lequel Suzanne éprouvera une sorte de coup de foudre. Cet enfant-là qui éveillera à jamais son instinct maternel. Cet enfant-là, Tiago, qu’elle décidera, coûte que coûte, d’adopter et de ramener en France.

La nuit où le jour s'est levé Olivier Letellier
© Christophe Raynaud de Lage

“Se perdre pour mieux se retrouver”

Aucun obstacle ne sera assez fort pour empêcher Suzanne de devenir mère. Ni la hargne de la police brésilienne, ni les lourdeurs kafkaïennes de l’administration. Ni même la terreur de se faire enlever Tiago au poste frontière entre l’Espagne et la France. Pour cette femme que le cri d’un enfant a métamorphosée en une seconde, plus rien ne compte que l’amour infini, éternel, illimité… Maternel…
Pour que Suzanne puisse un jour raconter à Tiago “son histoire vraie vivante”, il lui faut aller jusqu’au bout du parcours.
Un parcours initiatique, un parcours de vie qui chavire le spectateur. Lentement, doucement, délicatement. À l’image de la roue Cyr maniée par l’un des trois comédiens mais dans laquelle s’imbriquent si habilement les deux autres. Car ils ne sont que trois sur scène, pour interpréter ce texte écrit à six mains. Trois auteurs, trois comédiens, pour clore la trilogie d’Olivier Letellier “Maintenant que je sais/Je ne veux plus/Me taire”, qui avait été présentée à Chaillot la saison dernière et dans laquelle on croisait déjà certains personnages de La Nuit où le jour s’est levé.

la nuit où le jour s'est levé Olivier letellier

“Je serai un arbre généalogique à moi toute seule”

Trois formidables acteurs (Clément Bertani, Jérome Fauvel et Théo Touvet) passent d’un rôle à l’autre, se les échangent, les font tourner à la manière de cet immense cerceau qui est l’un des seuls accessoires au plateau. Car la scénographie est toute simple, épurée, brillante, pénétrante. Elle fait la part belle aux jeux de lumière signés Sébastien Revel et à la création sonore de Mikael Plunian. Le résultat bouleverse petits et grands, chacun s’appropriant l’histoire de Suzanne par un niveau de lecture différent. Olivier Letellier est un formidable conteur, et lorsqu’il nous raconte l’évidence d’être une mère, tout le monde, absolument tout le monde est touché au cœur.

la nuit où le jour s'est levé Olivier letellier

LA NUIT OÙ LE JOUR S’EST LEVÉ – spectacle vu le 3 Novembre 2016 au Théâtre des Abbesses
Du 3 au 10 Novembre 2016
Texte et co-écriture au plateau : Sylvain Levey, Magali Mougel, Catherine Verlaguet
Mise en scène : Olivier Letellier
Avec : Clément Bertani, Jérôme Fauvel, Théo Touvet

 

Train-Train à la Comédie Bastille : Interzone

Trois femmes aux existences éloignées se retrouvent dans le compartiment d’un train qui les mènera à Destination en passant par Maturité. Il y a Bruna (Gaëlle Lebert), aux longs cheveux noirs, à la féminité impeccable et à la voix des italiennes du Sud dont on se demande parfois si elles sont hommes ou femmes et qui craint la confrontation avec son père à Destination ; il y a Sabine (Sandrine Molaro), dite ça, qui attend un homme qui a « perdu sa mobilité », qui ne viendra pas et préférera se débarrasser d’elle sans même lui parler ; il y a Marie Douceur (Aurélie Boquien), pas si douce que ça, qui, enceinte, peut-être du contrôleur du train, sera hissée dans le compartiment malgré elle. Ces trois-là sont orchestrés par un personnage masculin, Wilhem (David Talbot) tantôt « contrôleur », tantôt « couchettiste », tout dépend de la casquette et du patron.

Train-train e pericoloso spoergersi
@B Basset

On suit, tout au long du voyage, le rapprochement de chaque personnage et leurs conversations, où ils nous livrent peu à peu des pans de leur existence, de leurs failles et de leurs attentes.
L’ambiance parfaitement réussie et maîtrisée, au rythme lent et déstructuré, porte la pièce de bout en bout dans une espèce d’interzone où l’auteur, David Talbot, nous entraîne à travers le fil conducteur de la question du genre. Se mêlent alors les genres et les rôles pour ne plus laisser place qu’à une montée de la cruauté et de la folie des personnages. Tout se mélange dans cette pièce et pourtant le train poursuit son chemin jusqu’à Destination, nous emportant de métaphore en métaphore et de symbolisation en symbolisation.

Train-Train Sandrine Molaro

La mise en scène, très ingénieuse, pleine de trouvailles, avec une bande sonore qui fait quasi un quatrième personnage, mêle, elle aussi, les genres et les registres et ne laisse rien au hasard. C’est une mise en scène du détail et de l’infinitésimal.
Le jeu des comédiens, très travaillé, frôle l’excellence et nous embarque ailleurs.
Enfin une pièce innovante à l’humour subtil d’où, même si on ne rit pas à gorge déployée, on sort époustouflé et grandi.

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TRAIN-TRAIN è pericoloso sporgersi – Une pièce de David Talbot
Mise en scène : La Compagnie C’est bien agréable
Avec : Aurélie BOQUIEN, David TALBOT, Gaëlle LEBERT, Sandrine MOLARO
Jusqu’au 26 décembre à la Comédie Bastille  – les dimanche et lundi à 20 h

La Pluie, qui reste après la poussière…

“Je ne sais pas où ils allaient, je sais seulement que les gens ne revenaient jamais.”

Plus qu’un spectacle “de” marionnettes, ce spectacle à l’affiche du Lucernaire est un spectacle “avec” des marionnettes. Alexandre Haslé donne vie à celles qu’il a fabriquées. Leur prêtant une partie de son corps. Il n’est donc pas seul en scène, mais accompagné par dix-sept personnages, dont le principal, la narratrice Hanna, est une femme très âgée qui va bientôt mourir et qui se souvient… Elle était jeune, elle habitait près d’une voie ferrée, elle voyait monter des tas de gens dans des trains. Et ces voyageurs mystérieux, ces inconnus furtivement aperçus lui confiaient des objets personnels avant de monter dans ces trains…

la pluie Lucernaire
@D Guyomar

“Aujourd’hui,je ne peux plus rien faire d’autre que me souvenir.”

Peu à peu, Hanna parvient à remonter au plus loin de sa mémoire, à faire revivre les objets que tous ces gens lui ont confiés avant de s’évanouir à jamais… Le spectateur a un avantage sur Hanna : il sait que ces gens ne reviendront pas. Il sait que les objets entassés au fur et à mesure des déportations ne seront jamais réclamés. Qu’ils demeureront dans la maison d’Hanna, passant de l’état d’orphelins à celui de poussière. L’ampleur de la catastrophe qui se bâtit sous les yeux d’Hanna est proportionnelle au nombre d’objets qu’on lui donne : ils seront un jour tellement nombreux qu’elle sera forcée d’aller dormir dehors. Devenant ainsi, à force de tant recevoir, une exilée de plus. Comme exilée d’elle-même.

la pluie Lucernaire

Les objets étant devenus poussière, toutes ces vies croisées et jamais revenues n’existent plus désormais que dans le souvenir d’Hanna. Et Hanna va mourir… La femme en noir et au bouquet de fleurs jaunes, le gros homme à la pomme, le violoniste et le saltimbanque, la très jeune femme, sorte de réminiscence de la jeunesse d’Hanna : tous défilent sous nos yeux chavirés.
Et parmi tous ces gens qui lui ont remis des objets, une personne a marqué Hanna plus que les autres. Un petit garçon qui lui a donné la seule chose qu’il avait : de la pluie dans une bouteille.
Avoir le courage d’évoquer tous ces objets. Parler des gens qui les lui confièrent. Ranimer l’ombre du petit garçon. Se libérer de son fantôme avant de mourir. C’est bien de cela dont nous parle le magnifique texte de Keene.
En donnant vie à cette pièce troublante de poésie, les marionnettes d’Alexandre Haslé la transcendent et la subliment. Le résultat est bouleversant, poignant, troublant, captivant, hypnotique. Un spectacle dont on ne ressort pas indemne. Un spectacle essentiel, indispensable, fondamental, presque vital…

La Pluie – Une pièce de Daniel Keene
Vu au Lucernaire le 12 octobre 2016
Fabrication, mise en scène et jeu : Alexandre Haslé
Avec la complicité de Manon Choserot
Jusqu’au 26 novembre 2016 – 19 h mardi au samedi

La (complètement folle) Cantatrice chauve comme vous ne l’avez jamais vue

” La vérité ne se trouve d’ailleurs pas dans les livres, mais dans la vie.”
La Cantatrice chauve : un spectacle qu’on a déjà vu et revu, un classique. Pas facile de s’emparer de ce texte de 1950 et de le faire entendre aujourd’hui en lui donnant un nouveau souffle. C’est pourtant ce que fait la Compagnie Cybele qui se réapproprie la pièce de Ionesco avec culot et panache.

la cantatrice chauve Lucernaire
@Antoine Denis

” Il y a une chose que je ne comprends pas. Pourquoi à la rubrique de l’état civil dans le journal, donne-t-on toujours l’âge des personnes décédées et jamais celui des nouveaux-nés? “

Deux couples, les Smith et les Martin, un pompier, et la bonne. Tous ces personnages ont le visage maquillé de blanc, un peu comme s’ils étaient figés dans leur propre carcan et dans leurs absurdes farandoles de mots. Ils sont mi-marionnettes, mi-clowns tristes, mi-mélancoliques, mi-effrayants. Effrayants par l’absurdité de leurs propos, de leurs inquiétudes et de leurs préoccupations. Drôles aussi, parce qu’ils sont tous déjantés.

la cantatrice chauve Lucernaire Lire la suite

Les brillantes Pyrénées de Victor Hugo

Entrer au Lucernaire, c’est à chaque fois une petite fête. Dans ce théâtre composé de plusieurs salles de moins de 120 places chacune, d’un cinéma, d’une librairie, d’un restaurant et d’un café squatté par les étudiants du 6ème arrondissement, il règne un désordre empreint d’un charme sans pareil et d’une certaine nostalgie. C’est une accumulation de livres en éditions originales, de spectacles sans gros budgets mais sélectionnés avec exigence, de films qu’on a ratés dans les grands cinémas, de spectateurs hétéroclites ouverts à l’inconnu et sensibles à la tradition des salles d’art et d’essai.

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©Fabienne Rappeneau

“Voyager, c’est naitre et mourir à chaque instant.” – Victor Hugo

Dans la file d’attente pour le spectacle « Pyrénées, le voyage de l’été 1843 », il y a des vieux, des jeunes, des bobos, des petits ménages tout propres, des curieux et des profs amoureux de Victor Hugo. Tous viennent écouter le compte-rendu élégant que l’écrivain de 41 ans a fait de son voyage d’un mois en 1843, un voyage qui nous entraîne jusqu’au pays basque français et espagnol. Le comédien Julien Rochefort se promène dans une jolie lumière, avec pour seul décor un tabouret, un petit carnet et une gourde d’eau fraîche. Il nous sert avec malice et quelques manières de précieux le texte d’Hugo, magnifique, plein d’allant, brillant, drôle.

pyrenees ou le voyage de l'été 1843 Lucernaire

Ce qui fait tout le génie de ce récit qui pourrait nous assommer au bout de 10 minutes, c’est qu’Hugo ne s’attache finalement pas du tout à ce que l’on pourrait appeler « la carte postale » des différentes villes et villages traversés. Il se plonge avec délice dans des détails proustiens, le souvenir d’une amourette platonique vécue à Bayonne par exemple, dans la description lapidaire de l’embarcation vers l’île d’Oléron qu’il trouve apparemment affreuse, ou dans le scrupuleux inventaire de ses repas en villes de province. On est heureux d’assister à ce petit miracle du théâtre, le public oscille entre rires et sourires devant un Julien Rochefort souvent lunaire, toujours sensible, qui dévoile avec gravité à la dernière minute la blessure et le remord indélébiles du grand Victor Hugo.

Pyrénées ou le voyage de l'été 1843

Pyrénées ou le voyage de l’été 1843 – spectacle vu le 17 septembre 2016 au Lucernaire
Un texte de Victor Hugo
Adaptation et mise en scène : Sylvie Blotnikas
Avec : Julien Rochefort

Le Voyage en Uruguay : un road-trip un peu spécial

Et oui, ça y est ! C’est la rentrée… Les vacances sont finies, Paris est de nouveau bondé. Ceux qui ont eu la chance de partir se consolent à coups de photos et souvenirs. Les autres rêvent de grands espaces et attendent leur tour…. Il est un lieu où les uns et les autres peuvent se retrouver et poursuivre leur quête d’évasion. Ce lieu au nom prédestiné, c’est la salle Paradis du Lucernaire. Tout en haut du théâtre perchée, elle accueille un spectacle savoureux, touchant, tendre et délicat.

LeVoyageEnUruguay
©Juliette Parisot

Laissez-vous convier à un double voyage. Voyage vers l’autre bout du monde, précisément l’Uruguay. Et voyage à travers la mémoire d’un petit garçon d’une dizaine d’années. Le garçonnet en question, c’est Clément Hervieu-Léger, et l’histoire qu’il nous raconte, il l’a entendue des dizaines et des dizaines de fois. Car l’un des héros du récit n’est autre que son grand-père, qui fut un éleveur normand réputé. En 1950, un riche propriétaire uruguayen rendit visite à sa Ferme Neuve et lui acheta trois taureaux et deux vaches. L’odyssée venait de débuter…

Le voyage en Uruguay

Depuis des années, je ne sais plus très bien ce qui est la vérité. Je sais simplement que c’est une belle histoire intitulée Le Voyage en Uruguay – Clément Hervieu-Léger.

En 1950, les expéditions sont forcément au long cours et c’est tant mieux. Aux côtés de Philippe, un jeune cousin du grand-père chargé d’acheminer les bêtes de Beaumontel – Normandie à Montevideo – Uruguay, nous voici entrainés à bord d’un train puis d’un paquebot, pour une sorte de “road-trip maritime”. Au gré de la traversée, on s’attache à Philippe, incarné par un Guillaume Ravoire chaleureux, poétique, lumineux, pénétrant, sensible et éloquent. S’appuyant sur un texte précis, tendre et pittoresque, Daniel San Pedro  nous offre un spectacle totalement dépaysant, véritable parenthèse enchantée. Grâce à l’empathie immédiate que provoque en nous son comédien – ces deux-là se connaissent bien, et leur complicité plane sur le plateau – on se laisse volontiers et totalement embarquer outre-Atlantique.

Cette histoire à deux voix, entre songe et réalité, nous fait immédiatement partir ou repartir : en vacances, en enfance, dans une contrée où l’on se sent définitivement libre et serein.

Le voyage en Uruguay – spectacle vu le 3 septembre 2016 au Lucernaire
Un texte de Clément Hervieu-Léger
Mise en scène : Daniel San Pedro
Avec : Guillaume Ravoire

DON QUICHOTTE ou DON QUICHOTTE de la Mancha…

Qui n’a pas une image de Don Quichotte, le chevalier errant… ?

Jean-Laurent Silvi nous invite à revisiter ce mythe par un original et audacieux choix de découpage scénique. En effet, il intercale parmi les principaux épisodes de la vie de Don Quichotte (Sylvain Mossot) et de son écuyer Sancho Pança (Axel Blind) des interviews de chacun des héros par une journaliste (Barbara Castin) directement échappée d’une émission de télé-réalité …
La mise en scène efficace et dépouillée (trois cubes noirs) met les comédiens en pleine lumière et rend les tableaux irrésistibles :
Don Quichotte, chevauchant Rossinante, livre bataille contre les moulins à vent qu’il prend pour des géants !
La scène avec Cardénio dans la forêt est mémorable.

Tout en respectant l’essence du texte de Cervantès (1200 pages), Jean-Laurent Silvi parvient à toucher le spectateur grâce à un niveau de dérision admirable.
Sylvain Mossot et Axel Blind incarnent les héros mythiques avec toute la puissance physique décrite dans le roman, sans gommer la finesse et la sensibilité des caractères. Le flamboyant et fou Don Quichotte évolue dans un monde parallèle, tandis que Sancho nous interpelle par sa lucidité, son sens de l’amitié et son intelligence de la vie.
La parfaite diction des comédiens, le rythme trépidant des répliques et des confrontations physiques nous transportent dans un voyage onirique. À ne pas manquer lors, d’une future programmation parisienne…

Magali Rossello

«DON QUICHOTTE, FARCE EPIQUE» d’après Cervantès, avec Sylvain Mossot, Axel Blind, Barbara Castin et Anthony Henrot – spectacle vu le 18 août 2016 / par Magali
A l’affiche du Lucernaire, jusqu’au 20 août
Mise en scène : Jean-Laurent Silvi