Heka, tout n’est qu’un faux-semblant : jonglerie 2.0

La compagnie Gandini Juggling – britannique mais très internationale puisque sur scène se côtoient des artistes taiwanaise, franco-vietnamienne, italienne, finnois.e, anglais d’origine éthiopienne et anglais d’ascendance italo-irlandaise – est depuis les années 90’ une figure majeure du renouvellement de la jonglerie contemporaine.
Elle propose aujourd’hui avec Heka un élégant spectacle à la croisée de la magie, du jonglage et de la danse contemporaine. Heka est la divinité personnifiant la magie dans le panthéon égyptien – et c’est sur les murs d’un tombeau égyptien qu’on trouve les plus anciennes traces de jonglerie, 3 femmes manipulant des balles. Titre en guise de salutation aux origines de la part des lointains descendants.

Sous l’inspiration des consultants en magie, le merveilleux clown Yann Frisch et le plasticien finlandais Kalle Nio, les balles, les anneaux, les foulards, les mains, les bras, les jambes apparaissent, disparaissent, ressurgissent où on ne les attend pas, s’évanouissent dans l’air ou y restent flottants, défiant les lois de la gravité, tandis qu’une jeune femme extrait d’elle-même des mètres de cordelette tout en ingérant une quantité anormale de balles. L’espace et le temps semblent se distordre pour rendre possible ces phénomènes. Dans un spectacle de magie, rappelle le prolixe Sean Gandini, il y a « les choses qu’on sait », « les choses qu’on sait qu’on ne sait pas », et… « les choses qu’on ne sait pas qu’on ne sait pas » : l’endroit indispensable pour la supercherie, là où l’on peut faire advenir l’impossible. Du bon équilibre des trois naissent le trouble, la surprise, et l’enchantement !

Les numéros s’enchaînent avec une belle fluidité soutenue par l’impeccable création lumière de Guy Hoare. Jonglerie, prestidigitation et danse paraissent n’être plus qu’un même geste. La création musicale sort des sentiers battus, créant des ambiances prenantes, parfois inquiétantes, toujours poétiques. Les costumes, qu’on pourrait qualifier d’épicènes (« dont la forme ne varie pas selon le genre »), sont très réussis, intelligents, graphiques, avec une pointe de malice.

Le spectacle se fait aussi méta-spectacle, discourant sur son propre objet, mais avec un humour très gai, taquinant le spectateur sur ses propres doutes face à la supercherie de la magie, rappelant ce goût contestable des magiciens au XXe siècle pour découper/transpercer/lancer des couteaux/enfermer dans des boîtes/ficeler des femmes leur tenant lieu de partenaires – pour ne pas dire souffre-douleur, et se servant de phrases-mantras slammées (en français, en finnois, en mandarin) comme pulsation pour rythmer d’épatantes jongleries.

Dans un univers noir et blanc où les accessoires rouges tranchent vif, un spectacle tout à la fois minimaliste, raffiné, virtuose et cocasse. À voir en famille, à partir de 8 ans.

Marie-Hélène Guérin

 

HEKA, tout n’est qu’un faux-semblant
de la compagnie Gandini Juggling
Au Théâtre de la ville / Abbesses jusqu’au 29 déembre 2024
Mise en scène Sean Gandini et Kati Ylä-Hokkala
Collaboration à la magie Yann Frisch, Kalle Nio
Costumes Georgina Spencer | Lumières Guy Hoare | Musique Andy Cowton

Jonglage Kate Boschetti, Sean Gandini, Tedros Girmaye, Kim Huynh, Sakari Männistö, Yu-Hsien Wu, Kati Ylä-Hokkalabi

Photos © Kalle Nio

Production Gandini Juggling
Coproduction Maison des Jonglages, scène conventionnée – Théâtre d’Orléans, scène nationale. Résidences La Batoude, Beauvais – La Garance, Cavaillon – The Place, Londres – The Point, Eastleigh (GB) – 101 Outdoor Arts, National Centre for Arts in Public Space (GB).

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