Maguy Marin, BiT : le rythme comme arme de combat
Pour décor, une muraille inclinée, sept pans gris béton. S’avancent dans l’obscurité, petits pas après petits pas, la file des six danseurs, enfantins, main dans la main ; s’élèvent d’intenses nappes électro – envoûtantes, telluriques, comme une onde gonflée de tremblements de terre, d’orages antédiluviens, d’éclairs secs… Une inquiétude pourrait sourdre de ces grondements sans âge, mais elle est rompue par les sourires francs qui bientôt illuminent les visages des danseurs : leur farandole n’est pas procession macabre mais fête.
“Taper dans les mains, les percussions, les subtilités du jeu d’un batteur, tout ça c’est du plaisir pour moi. Le rythme, c’est ce que l’on voit tout le temps dans la rue, comment une vie est scandée par des évènements très rapides à certains moments, ou plus lents à d’autres. …La danse peut être une forme d’oubli de soi, le corps est pris dans un inconscient, dans une folie, il prend le pouvoir.” Maguy Marin
@ Hervé Deroo
Trois hommes, trois femmes, silhouettes juvéniles ou plus mûres, sèches ou souples, jolies robes, costumes et chapeaux noirs, tenues et corps individués, mais rôles indistincts. Quelques pas de danses populaires – une façon pinabauschienne de danser la danse, de s’accorder le plaisir des sardanes d’hier, une esquisse de tango, un rond de jambe, un demi-plié… Sous un déluge de musique métallique, composée par Charlie Aubry, sonorités d’aujourd’hui, techno sans concession, c’est la joie d’une ronde échevelée. L’immuable enchaînement de pas s’affole et s’accélère, en jubilation sans bornes. La chaîne rompt, s’interrompt, se désorganise pour un slam ou un pogo joueurs, on escalade les pans inclinés : les six danseurs à l’énergie sans faille bravent la gravité à tous les sens du terme !
Maguy Marin n’y va pas par quatre chemins : l’exultation est brutalement rompue quand le pacte est brisé. Cet homme contant fleurette qui nie le refus de la femme convoitée, la violence ancestrale d’un homme sur une femme, c’est la fin du jeu et de la bienveillance, c’est la dévoration du plus faible par le plus vorace.
Une lente chute de corps dénudés au visage figé le long d’une pente rouge sang : la puissante beauté de l’image et sa charge d’effroi saisissent. C’est le premier pas en enfer, la plongée dans le versant obscur des pulsions humaines, là où elles se font bestiales, là où l’appétit de vie tourne à la curée. Reptations d’animaux archaïques, lézards ou cobras. Sexe à la fois cru et pudique. Dans ce monde-ci, hommes et femmes ne font plus « ensemble », les uns et les autres s’affrontent… Des femmes-fileuses, inexorables Parques, brandissent d’anodins et menaçants petits ciseaux ; des hommes-moines – poupées sans visages effrayantes et lubriques – condamnent et violent, reprenant les pas de la précédente farandole, qui était si fantasque et vive aux temps légers, en une pantomime grossière et funèbre; des couples en habit de soirées tournoient, monsieur menant la danse sans élan, madame suivant le mouvement sans gourmandise, précautionneux, guindés, en équilibre précaire sur le pan si incliné : on a mis ses beaux habits, mais l’ambiance n’est pas à la fête…
@ Hervé Deroo
Le manifeste est à larges traits, mais d’une tonicité réjouissante. Maguy Marin a le regard sombre mais gorgé de vitalité. Avec une rageuse et contagieuse fougue, elle oppose à l’acide destructeur de l’indifférence, de l’hypocrisie, de l’avidité ou du pouvoir, la gaieté de la liberté, le goût intense du bonheur, la force de la danse et du plaisir partagé. Une heure dense, brutale et revigorante.
@ Christian Ganet
BiT
Un spectacle du Théâtre de la Ville au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 11 février 2017, puis en tournée
Conception : Maguy Marin
Avec Ulises Alvarez, Kaïs Chouibi, Laura Frigato, Daphné Koutsafti, Françoise Leick, Cathy Polo, Ennio Sammarco, Marcelo Sepulveda
Musique : Charlie Aubry
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