Merci d’être passée : un double portrait tout en demi-teintes
Une belle femme un peu lasse, élégante prof d’histoire de l’art et peintre – sa palette est accrochée au mur ; une jeune étudiante en lettres, au langage curieusement apprêté, le genre qui peut répondre « certes » sans la moindre once d’ironie. La première, Hortense, est la femme du professeur de chant, la seconde, Axelle, l’élève.
L’une oubliera un jour un carnet sur le coin du piano, l’autre le lui rendra, voilà déjà de quoi faire naître une rencontre. L’une s’oubliera un jour dans les bras du professeur, l’autre les surprendra, voilà de quoi faire naître une histoire.
“Sur quoi travaillez-vous ?
– Le regard.
– Ça doit être joli.”
Dans la proximité propice de la salle, on s’approche à petits pas d’Hortense, encore mariée, encore presque heureuse. Elle se fatigue du défilé des apprenties chanteuses, gamines qui se rêvent nouvelles stars et vocalisent dans le bureau de son mari, pourtant « il y en a quand même qui sont agréables à entendre, ça fait de l’animation, ça habille l’appartement » ; elle se dorlote de la tendre routine d’une vie de couple plutôt harmonieuse – mais rongée par le chagrin de son « ventre vide » : « je suis encore assez belle pour faire un enfant », rêve-t-elle…
“J’arrêterai de fumer quand je serai enceinte, sinon ça va me stresser, je me jetterais sur la nourriture, je n’aurais plus envie de Richard, et ça, ça compliquerait encore les choses.”
Des notes de Satie s’égrènent. La jeune autrice, Danièle Mahaut, surprend par la maturité et la justesse avec lesquelles elle brosse le portrait sensible d’une femme de 40 ans, ses interrogations, ses envies, ses souvenirs, ses conquêtes et ses blessures.
Axelle, le grain de sable, celle qui a fait déraillé la mécanique du couple, veut parler, mais c’est « trop tard » – ou peut-être est-ce trop tôt ?
Rapports de méfiance, d’un côté culpabilité, bienveillance, curiosité, de l’autre, rancœur, dureté, curiosité aussi…
La mise en scène de Cécile Carrère, pudique et sobre, laisse la part belle aux comédiennes : Anne Mano, actrice vive au jeu sûr et fin – une Hortense dense de sa vie passée et de sa vie à venir et Sandra Gaugué, mêlant légèreté et gravité – une Axelle à la fraîche présence, et au texte, qui dose avec équilibre répliques acérées et chronique douce-amère.
La mise en scène s’accorde quelques respirations, qui permettent au récit de s’affranchir du naturalisme, et gagner en intimité : hors-champs où se déploient les habitudes tranquilles et complices du couple, puis la rupture sèche et brutale ; silences qui rythment le temps ; parenthèses où dans une lumière plus basse on regarde Hortense vivre d’infimes et touchantes bribes de quotidien, un chignon qu’on rajuste devant un miroir, un corps épuisé qui s’allonge, un fond de bouteille qu’on vide seule, un bouquet qu’on rafraîchit – un soliflore, fleurs changées de scène en scène, un hortensia pour Hortense, un arum impudique comme une photo de Mapplethorpe, des délicates fleurs mauves – qui finissent sur le sol au pied du vase, recomposant au fil du temps un bouquet couché…
“Je garde la fierté d’être non pas la première femme de ta vie,
mais la première que tu auras osé aimer ”
Une soirée prolongée fera naître l’heure des confidences, l’internat de l’enfance d’Hortense, ses amours contrariées d’adolescente, le désir d’enfant… tandis que pour Axelle la timide et fougueuse « y’a pas de place pour deux en moi, les enfants c’est pour les couples qui s’aiment pas assez pour rester à deux »… Si la vérité sort de la bouche de enfants, Axelle, petite femme en quête de vie, peut être une enfant impitoyable.
Là se dessine avec une pudeur joliment teintée de malice, et beaucoup de finesse, la naissance d’un sentiment. Si l’on peut trouver déroutant le geste qui fait revenir Axelle auprès d’Hortense, le mouvement qui les rapproche au contraire s’écoule comme une évidence, avec grâce. De griffures en apaisements, de doutes en tendresses, l’autrice mène avec délicatesse la danse de cet amour tâtonnant. Les deux comédiennes apportent leur belle justesse à ces deux femmes entières et multiples qui, passant l’une par l’autre, vont arriver à elles-mêmes. Nous assistons avec émotion à leur apprentissage de la liberté et à l’éclosion de leurs possibles.
Merci d’être passée
À l’affiche de La Folie Théâtre du 8 décembre 2017 au 3 mars 2018, vendredi et samedi à 19h30.
Une pièce de Danièle Mahaut
Mise en scène : Cécile Carrère
Avec Anne Mano et Sandra Gaugué
À noter : des nominations aux P’tits Molières : meilleure comédienne dans un première rôle pour Anne Mano, meilleure comédienne dans un second rôle pour Sandra Gaugué et Danièle Mahaut récompensée par le P’tit Molière du meilleur auteur vivant !
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