Olivier Marchal en olibrius
Alors voilà, entrer au Déjazet, seul théâtre rescapé du « boulevard du crime », c’est tout un programme. Des couloirs, des escaliers dans tous les sens, des tapis rouges, des parquets qui grincent, des portes capitonnées, une très belle salle avec balcons et corbeille et des fresques au plafond et aux murs d’Honoré Daumier. Déjà, on se sent ailleurs, dans un monde à part, celui du théâtre où se produisirent ici tant Mozart que Coluche.
Ensuite, aller voir “Nénesse”, c’est une aventure. Nénesse (Olivier Marchal), c’est un type paumé qui se croit dur et qui passe ses journées à picoler et à construire des discours xénophobes. Nénesse est “un mec de culture populaire”, qui défend sa race, qui croit au clan, au jambon-beurre, au pinard et aux jeux à gratter dans lesquels il dépense le peu d’argent qu’il n’a pas laissé à des prostituées.
Seulement voilà, Nénesse a fait deux AVC ces douze derniers mois. Il a beau être entretenu par sa femme Gina (Christine Citti) qui s’éreinte à faire des ménages et qui a été élue “Meilleure travailleuse de sa région”, l’argent manque à la maison, d’autant qu’il refuse de faire valoir ses droits et d’aller chercher ses allocations. Parce que Nénesse ne veut rien devoir à personne, il ne veut pas “faire de la lèche”. Lui vient alors une idée : sous-louer une pièce de son appartement – une espèce de bunker sans fenêtres ni toilettes ni aération – à des sans-papiers. Y vivent Aurélien (Geoffroy Thiebaut), un Français de deuxième génération, d’origine russe, lettré, cultivé, qui a perdu sa nationalité française en l’absence d’un papier indispensable ; et Goran (Hammou Graïa), un Syrien, quasi analphabète, qui s’exprime sans utiliser d’articles devant les noms communs. Musulman comme dans les fables, rêvant du paradis et des 72 vierges qui l’y attendent, Goran a connu DAESH : il y a été entraineur pendant un moment, jusqu’à être dégoûté par l’exploitation des “jeunes vierges, blondes, yeux verts, 15 ans et tout” prostituées jusqu’à l’épuisement à 1€ la passe.
Tout ce petit monde cohabite, avec des heures de sorties pour Aurélien et Goran, qui peuvent jouir des toilettes et d’un peu plus d’espace. Nénesse projette de placer d’autres sans-papiers dans son bunker pour améliorer ses gains, atteindre 5000€ par mois, pour enfin dépenser autant qu’il le veut dans ses jeux à gratter.
L’auteur, Aziz Chouaki, au parcours déjà éblouissant, dresse ici les portraits pathétiques et décalés, dans une langue gouailleuse, où se télescope la syntaxe. Il nous fait rire parfois, mais d’un rire jaune. On rit davantage de la virtuosité de la langue et des situations exagérées que d’un vrai rire franc. Car ici on aurait plutôt affaire à un drame qui nous montre la bêtise dans toute sa splendeur et dans tout son débraillé de langue comme d’allure. On ne vous raconte pas la fin qui surprend et vous glacera.
Olivier Marchal interprète Nénesse avec la force de sa nature qui le caractérise. Tout en nuances de jeu, passant de l’extrême violence à la douceur du petit enfant, il hurle, il nous emporte dans sa folie. Même si l’on s’attache à lui par bien des côtés, on manque un peu d’empathie pour ce personnage odieux. On pourra se demander si les personnages d’Aurélien et de Goran, qui ne sont que faire valoir au discours de Nénesse, n’auraient pas pu être évoqués plutôt qu’incarnés, car celui qui tient le pavé et qui ne le lâche pas, c’est bien Nénesse. Gina, plantureuse et malmenée, n’a pourtant rien d’une femme soumise. Elle se rebelle, elle se révolte, mais restera jusqu’au bout avec cet olibrius de Nénesse… par amour ou pour des raisons plus obscures. Une mise en scène et un décor qui pourraient rappeler le classique des vaudevilles, des pièces de boulevards (et on y est !), avec un fauteuil roulant en guest star et une musique de fond perpétuelle comme dans les westerns. Une pièce qui fait la part belle aux personnages et au texte, où l’on pourra regretter la faiblesse de l’intrigue, il n’y a pas vraiment d’histoire, l’auteur nous livre plutôt une succession de monologues qui font mouche.
À voir, dans l’air du temps…
À l’affiche du Théâtre Déjazet du 9 janvier au 3 mars 2018 (mardi au samedi 20h30, samedi 16h)
Texte : Aziz Chouaki
Mise en scène : Jean-Louis Martinelli
Avec : Christine Citti, Olivier Marchal, Hammou Graia et Geoffroy Thibaut
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