Soyez-vous même, les autres sont déjà pris
Tout commence par une sorte d’incantation psalmodiée par une étrange bonne femme, toute de noir vêtue. Une sorte d’Olive de Popeye qui aurait soudainement perdu la vue. Bien que totalement aveugle, cette directrice d’une importante entreprise de javel reçoit des candidats en entretien de recrutement. Très vite, on est dans l’ambiance, car cette dirigeante n’est pas à cours d’arguments lorsqu’il s’agit de vanter les mérites de sa société : “Il n’y a pas de vrai bonheur sans javel”, “En plus d’être efficace, la javel est morale”… On a l’impression de se trouver face à un gourou plus qu’à un chef d’entreprise. Et il ne s’agit que de l’intermède. Car à côté de Madame la Directrice, une candidate est en scène, prête à tout (vraiment à tout) pour décrocher le job de ses rêves (“la javel c’est fait pour moi”).
©Pauline Le Goff
“Il faut que vous vous dépossédiez de votre carapace. Vous me dressez un portrait tellement triste et tellement convenu. Je m’ennuie, je m’ennuie !”
Jusqu’où est-on prêt à aller, à se compromettre, à n’être précisément plus du tout soi-même pour être retenu, sélectionné, choisi, recruté, embauché ? La jeune postulante ira très loin, trop loin, jusqu’à un dénouement qu’on ne dévoilera pas mais qui pourrait (devrait) faire frémir plus d’un recruteur…
La mise en scène de Côme de Bellescize, bien plus épurée que celle de ses précédents spectacles (Amédée, Eugénie…) laisse le champ libre à l’interprétation remarquable des deux comédiennes. Avec tout le talent qu’on lui connait, Eléonore Joncquez campe cette directrice bien plus cabossée par la vie qu’elle n’ose l’avouer (“je me suis lavé les yeux à la javel par amour”). Face à elle, Fannie Outeiro dégage la même dose folle d’énergie, la même puissante audace.
“Danser nue et seule devant une aveugle, c’est quelque chose, non…”
Certaines scènes tellement réussies assurent à elles seules la promotion du spectacle. Eléonore Joncquez swinguant sur un air chantonné par Fannie Outeiro. Fannie Outeiro acceptant de se dévêtir et d’improviser, dans un élan de pudeur, “une danse de la chaise”. Fannie se lançant dans une scène de séduction et amenant Eléonore au paroxysme de l’excitation.
Elles nous font rire, et nous touchent au plus profond, parce qu’elles osent tout. Elles se dévoilent, semblent n’avoir aucune limite dans leur jeu. Pas de doute, ces deux-là sont elles-mêmes et c’est tellement réjouissant !
SOYEZ VOUS-MÊME
Á l’affiche du Grenier à Sel – Ardenome – du 6 au 28 juillet, 18h05
Texte et mise en scène : Côme de Bellescize
Avec Eléonore Jonquez et Fannie Outeiro
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