Wonnangatta : un road-movie âpre porté par deux magnifiques interprètes

C’est un fait-divers réel qui nourrit le texte d’Angus Cerini, dont la percutante traduction de Dominique Hollier nous transmet la langue sèche et rocailleuse, la poésie abrupte et sauvage des descriptions de la nature, l’envoûtement des litanies, les ellipses qui compressent ou diluent le temps.
Wonnangatta aux sonorités lointaines est le nom d’une bourgade au fin fond du bush où s’est déroulé le crime non élucidé le plus célèbre d’Australie.
1917. Harry rend une visite chaque mois à son ami Jim Barclay, pour lui amener son courrier. Ce jour-là, Jim a laissé un mot « Serais là ce soir ». Le mois suivant, le mot est toujours là. Rien n’a bougé. Jim a disparu. Le garçon de ferme a disparu. Deux qui manquent, le compte est vite fait pour Harry, une victime, un coupable.
Le chien de Jim mènera Harry et son comparse Riggall jusqu’au lit de la rivière, où affleure le crâne du cadavre de Jim, enterré jusqu’au cou. Harry et Riggall débutent alors un périple à la recherche du garçon de ferme.
Le fait-divers réel se mue en road-movie déréalisé, aux limites du fantastique, dans un espace abstrait créé par le metteur en scène Jacques Vincey lui-même et Caty Olive, qui signe aussi une création lumière qui fait elle-même décor.

Le chemin vers la cabane du garçon de ferme est long, tout est loin de tout dans le bush, les distances se comptent en heures, en jours de route à cheval, en errements et en divagations.

Vincent Winterhalter et Serge Hazanavicius vont parcourir ce trajet côte à côte, dans ce décor de briques anthracites – noir goudron, gris poussière – avec lesquelles ils creusent la berge de la rivière, montent des colonnes de pierre, bricolent des sièges, formant eux-mêmes le paysage au gré de leur avancée, et c’est une belle et intelligente idée que cela, ce paysage métamorphosé, modelé, par les voyageurs, par leurs besoins et leurs peurs. Le chaos gagne en même temps que la colère d’Harry gonfle, et que Riggall doute.

L’espace abstrait se charge de menus gestes concrets, on tient des rênes, on creuse une fosse, on tapote la tête d’un chien, on trébuche dans des broussailles, on renoue un lacet.
Dialogues et narration circulent de l’un à l’autre, d’une langue rustique mais heureusement d’un jeu sans pittoresque. Vincent Winterhalter et Serge Hazanavicius, fringues fatiguées aux couleurs éteintes, debout au milieu de la roche et du vent, offrent leurs corps solides et leurs voix râpées à Harry et Riggal – l’un tenu par la rage l’autre retenu par la peur, deux solitudes marchant à l’aveugle au bord d’un précipice.

D’une séduction aride, dans une remarquable économie de gestes et d’images, soutenu par une création sonore riche, pleine de textures musicales ou concrètes, se déploie ce road-movie âpre et brumeux. Le spectacle se dissout finalement dans l’irrésolu de l’enquête et le brouillard des hauts plateaux. Il en restera le charnel de la langue roulant comme cailloux au fond d’une rivière, et surtout une magnifique incarnation, dense, précise, des deux acteurs, « deux hommes à cheval et un chien debout tout au sommet de la terre, et de tous côtés l’univers qui se déploie ». Sobres et puissants.

Marie-Hélène Guérin

 

WONNANGATTA
Un spectacle de La compagnie Sirènes
Aux Plateaux sauvages jusqu’au 24 mai 2025
Texte Angus Cerini
Traduction Dominique Hollier
Mise en scène Jacques Vincey
Avec Serge Hazanavicius et Vincent Winterhalter

À partir de 15 ans

Collaboration artistique Céline Gaudier | Scénographie Caty Olive et Jacques Vincey | Création lumière Caty Olive | Création musicale Alexandre Meyer | Costumes Anaïs Romand | Regard chorégraphique Stefany Ganachaud
Régie générale Sébastien Mathé | Régie son Maël Fusillier | Régie lumière Thomas Cany
Photographies © Christophe Raynaud de Lage

Production Compagnie Sirènes | Coproduction Centre dramatique national de Tours – Théâtre Olympia et Halle aux grains – Scène nationale de Blois | Coréalisation Les Plateaux Sauvages | Avec le soutien et l’accompagnement technique des Plateaux Sauvages
Le texte a reçu le soutien à la traduction de la Maison Antoine Vitez et d’Artcena.
La Compagnie Sirènes est conventionnée par le Ministère de la Culture. Jacques Vincey est artiste associé à la Maison de la Culture de Bourges.
Wonnangatta a été produit pour la première fois par la Sydney Theatre Company le 21 septembre 2020 au Roslyn Packer Theatre.

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