Fêu : des femmes puissantes
Dans l’obscurité, les silhouettes des danseuses se précisent, doublées de leurs ombres géantes; elles instaurent une ronde magnétique et rigoureuse autour d’une minuscule bougie rougeoyante, dans un grondement de basses à la limite de l’infrabasse, plus vibratoires que sonores. On reconnaît l’intensité tellurique des compositions de François Caffenne, dont l’électro puissante avait contribuer au saisissement des spectateurs de Tragédie d’Olivier Dubois.
Fouad Boussouf, directeur du Centre Chorégraphique national du Havre Normandie, prolongeant l’envoûtement du geste cyclique inauguré en 2022 dans l’installation vidéo Burn to shine, réalisée avec le plasticien Ugo Rondinone au Petit Palais à Paris, explore à nouveau dans ce Fêu palpitant la force vitale du mouvement perpétuel. Il lance les danseuses en une course incessante, tel un sac et ressac battant la rive, une contraction-relâchement du muscle cardiaque, leurs jambes cisaillant l’espace-temps de leurs longues enjambées.
C’est d’abord une mathématique qui captive, une circumambulation, une sorcellerie où l’on dessine au sol des formes géométriques pour y piéger le surnaturel et le dompter, ou s’en approprier les principes.
Il y a dans cette première partie comme une joliesse qui enchante, mais qui, à l’instar du tulle qui entoure l’arène des danseuses, peut faire écran à l’émotion, à l’échange entre le plateau et le public. Pourtant, brutalement le tulle tombe et avec lui la mathématique. On entre dans le biologique, algues dans le courant, herbes agitées par le vent, incendie consumant, escarbilles bondissant, corps en transe. On y devine aussi des images de son enfance marocaine, longues chevelures des femmes, costumes et lumières couleurs de henné, ondulations des danses de fête.
Dans cette spirale aussi irrépressible que la pulsion de vie, Fouad Boussouf offre à ses danseuses un temps de suspens, elles sont dos à nous, toute frénésie momentanément retenue, et dans cette apnée, dans cette économie de gestes peut naître une condensation de l’énergie, une intensification de l’émotion inattendues.
Elles sont dix, les interprètes de ce Fêu, diverses – d’âges, de tailles, de rondeurs et de couleurs de peau, d’expériences aussi, puisqu’elles viennent du hip-hop, de la battle, du ballet, même du cirque.
Dix monades, unités sans mélange ni échange avec les autres, et pourtant formant un tout qui est lui aussi une unité en soi.
Quelques solos fiévreux, brefs, explosifs, souvent saccadés, presque brutaux, laissent surgir la personnalité de ces interprètes. Et quand le cercle reprend, semblable au cercle initial, il s’est enrichi de leur singularité.
Un spectacle puissant, martial, lumineux, paradoxalement joyeux, à l’image de ses interprètes.
Marie-Hélène Guérin
FÊU
Vu au Théâtre du Rond-Point
Direction artistique et chorégraphie : Fouad Boussouf
Avec : Serena Bottet, Filipa Correia Lescuyer, Léa Deschaintres, Rose Edjaga, Lola Lefevre, Fiona Pitz, Charlène Pons, Manon Prapotnich, Valentina Rigo, Justine Tourillon
Composition : François Caffenne
Costumes : Gwladys Duthil
| Scénographie : Aurélie Thomas
| Création lumière : Lucas Baccini
Photographies © Antoine Triboulet
Mentions de production
Production Le Phare – Centre chorégraphique national du Havre Normandie Coproductions Biennale de la danse de Lyon, Le Quartz – Scène nationale de Brest, Le Volcan – Scène nationale du Havre, Maison de la Musique de Nanterre — Scène conventionnée d’intérêt national — art et création — pour la musique, Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines – Scène nationale, Équinoxe — Scène nationale de Châteauroux Soutien en résidence Le Volcan — Scène nationale du Havre Le Phare – CCN du Havre Normandie est subventionné par le ministère de la Culture – DRAC Normandie, la Région Normandie, la ville du Havre et le département de la Seine-Maritime.
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