Là : folie douce
Il y a de la sauvagerie, de la fantaisie et de la délicatesse dans cette « Pièce en blanc et noir pour deux humains et un corbeau-pie ».
Tandis que le public s’installe, une note tenue emplit l’espace, vibrante. Un « la », suggère mon petit bonhomme de 5 ans. Ce serait un judicieux « jeu de mot » musical, bien en harmonie avec la synesthésie du spectacle, où images et sons se génèrent les uns les autres (mais je n’ai pas l’oreille juste, et ne saurai le confirmer).
Un triptyque de hauts panneaux blancs masquent les murs patinés des Bouffes du Nord, matrice immaculée qui verra la naissance d’un étrange hybride, fascinant, drôle et beau.
Un être à trois têtes – celle d’un homme d’abord (Blaï Mateu Trias, souple, busterkeatonien), puis d’une femme (Camille Decourtye, ancrée, expressive), enfin d’un animal (Gus, lui-même oiseau hybride, corbeau pie, ailes et bec de charbon, poitrail de neige) -, lui donnera vie et mouvement, abolissant les frontières entre cirque et danse, entre théâtre et chant, humour et métaphysique, graphie et rythme. Rien ne se confronte, tout se mêle et s’enrichit, pour créer un spectacle intense et poétique.
Dans une scénographie épurée, enrichie d’un magnifique travail de création sonore, on va de surprises en sourires, on retient son souffle devant quelque acrobatie haut perchée, on s’amuse de duos physiques ou verbaux à la folie douce, on a le cœur qui chavire d’émotion bousculé par la voix chaude et ample de Camille Decourtye ou le timbre baroque de Blaï Mateu Trias, interprète d’un fragile et infiniment troublant air de Purcell.
Les deux artistes, accompagnés de leur corbeau-pie, avec une complicité palpable, usent de leur corps élastiques pour créer situations, gestes, interrogations, sens et sons.
Ça pulse et ça rêve, c’est charnel et spirituel.
Cultivant l’art de la joie, ils inventent d’étranges résolutions à de curieux problèmes, retournent à l’origine du monde et font jaillir la lumière de déchirures… Petit à petit, ils zèbrent la page autrefois vierge du décor d’empreintes et de traces, de paysages et calligraphies énigmatiques, tandis que leurs peaux et leurs costumes se maculent du blanc des murs : le désordre comme signe(s) de vie(s) !
Leur monde, ce monde-« Là » , a la sauvagerie fraternelle, le déséquilibre constructif, la gravité légère et la drôlerie salvatrice. Cela réjouit l’œil et l’âme.
Là a de la grâce et de la générosité, et une des belles vertus du spectacle vivant : nous faire sentir moins seul. Ce soir-là, le public, pétillant de plaisir, d’une longue ovation debout, les en a remercié avec chaleur.
Marie-Hélène Guérin
LÀ
Un spectacle de la compagnie Baro d’Evel
Au Théâtre des Bouffes du Nord
Auteurs et artistes interprètes Camille Decourtye, Blaï Mateu Trias et le corbeau pie Gus
1er volet du dyptique Là, sur la falaise
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