La Cerisaie de Christian Benedetti, percutante

Pour moi, il y a Tchekhov, Shakespeare, Molière… et les autres. Et pour moi, en première place du trio, il y a Tchekhov. Alors forcément, je guette les multiples mises en scène de ses différentes pièces, et s’il m’arrive d’être déçue je ne manquerais pour rien au monde ces rendez-vous. Et forcément, parmi ces rendez-vous, je ne pouvais louper la rencontre d’exception avec la Cerisaie de Christian Benedetti. Car amoureux de Tchekhov, il l’est depuis fort longtemps ! À tel point qu’il s’est lancé, voilà plus de cinq ans, dans le projet de monter l’intégralité de l’œuvre. Après La Mouette, Oncle Vania et Les Trois Sœurs, voici donc “sa” Cerisaie. Ultime pièce d’Anton Tchekhov. Celle dont il sait qu’elle sera la dernière. Celle qui l’accompagne inexorablement vers la mort.

Comme le dit très justement Christian Benedetti, “il faut accepter de ne pas tout comprendre chez Tchekhov”. Cette œuvre inépuisable est souvent traduite par des mises en scène obscures, nébuleuses, voire inintelligibles… Rien de tout cela chez Benedetti ! Son spectacle est fluide, limpide. Il s’écoule à toute vitesse. Il nous embarque dès les premières secondes. A tel point qu’on a du mal à les quitter, ces Lioubov, Varia, Lopahkine, Gaïev et consorts. On ressort nostalgique. Car on a passé des moments de pur bonheur avec chacun d’eux. Outre le rythme effréné, la scénographie dépouillée, réduite à l’essentiel – celle-là même que Tchekhov revendiquait – la vraie réussite de ce spectacle tient à la direction d’acteurs. Christian Benedetti parvient à faire cohabiter leurs partitions respectives, à nous enticher de chacun des rôles, à guetter les instants de collision. La distribution est parfaite : il faudrait tous les citer.

Au final, on quitte le Théâtre du Soleil en rêvant de ces “Nuits Tchekhov” que la Compagnie Benedetti nous offrira un jour. Tant il est vrai que ce dialogue privilégié entre les deux compères est délicieusement infini…

Poursuivant ce qui, un jour, fera date dans l’exploration de l’œuvre de Tchekhov, Christian Benedetti nous jette un sort :

1 – La pièce “aussi abstraite qu’une symphonie de Tchaïkovsky”, il sait nous la rendre accessible et perceptible.
2 – Trop souvent l’émotion n’est pas au rendez-vous ; ici on rit, on pleure, on est gai et mélancolique.
3 – Cette mise en scène libérée de tout artifice rejoint le propos de Tchekhov : “il faut effrayer le public, c’est tout, il sera alors intéressé et se mettra à réfléchir une fois de plus”.

À ne louper sous aucun prétexte : une conversation avec le génie Tchekhov, orchestrée de main de maître par Christian Benedetti.

La Cerisaie – Spectacle vu le 31 janvier 2016 au Théâtre du Soleil
A l’affiche jusqu’au 14 février 2016, puis en tournée
Adaptation du texte d’Anton Tchekhov : Brigitte Barilley, Laurent Huon, Christian Benedetti
Mise en scène : Christian Benedetti

 

 

Roméo et Juliette : le couple inattendu et incandescent d’Eric Ruf

Pour assister à ce Romeo et Juliette, il faut avant tout se départir de tout cliché, tout poncif entourant cette tragédie romantique. L’un des mythes les plus connus, et paradoxalement l’une des pièces les moins jouées de ce cher William. Sans doute les metteurs en scène craignent-ils de se trouver embourbés sous les couches successives de ces fameux clichés.
La vraie bonne surprise : Eric Ruf réussit à donner une lecture totalement nouvelle de cette histoire “archi-connue”. Le parti pris de déplacer l’intrigue dans la Sicile des années 30 fonctionne à merveille. Dès les premiers instants, on est saisi par la chaleur, la langueur, la douce apesanteur de cette contrée. Et surtout, on plonge pendant toute la première partie dans une infinie légèreté. Comme par magie, Eric Ruf nous fait oublier l’imminence du drame.

ROMEO ET JULIETTE -Jérémy Lopez Suliane Brahim

©Vincent Pontet coll. Comédie-Française

Tout d’abord on écoute, charmé, une voix : celle qui nous permet de reconnaître un Serge Bagdassarian physiquement transformé, au jeu toujours aussi brillant. Puis on assiste, ravi, à la préparation de la fête chez le couple Capulet formé d’une facétieuse Danièle Lebrun et d’un formidable Didier Sandre. Et puis, au plus fort de la fête, au détour d’une réjouissante farandole, on assiste médusé au coup de foudre qui conduira Roméo et Juliette au tombeau. Les scènes entre ces deux-là sont d’une justesse, d’une simplicité, d’une évidence, d’une sobriété qui les rendent d’autant plus émouvantes. A l’image de ce premier rendez-vous que nous propose Eric Ruf : la lumineuse, solaire, aérienne, lyrique, sublime Suliane Brahim est à quelques mètres au-dessus d’un Jérémy Lopez troublant de vérité, authentique et captivant.

Puis vient le drame, d’autant plus brutal que la grâce des scènes précédentes l’avait gommé de nos mémoires. Le sang appelle le sang, la vengeance et la haine reprennent leurs droits, et l’histoire, hélas, se termine telle qu’elle a toujours été contée…

Eric Ruf fait souffler sur le plateau un vent de légèreté qui balaye toutes les images d’Epinal et nous transporte dans “son” Roméo et Juliette :

1 – Il est somme toute assez rare de pouvoir rencontrer ce couple mythique sur les planches : la pièce n’avait pas été jouée depuis 60 ans au Français !…
2 – Le duo formé par Suliane Brahim et Jérémy Lopez nous enflamme, nous chavire et nous charme.
3 – La scénographie, la lumière, les costumes, les chorégraphies, les arrangements musicaux : tout concourt à créer un spectacle d’une bienfaisante et absolue beauté.

 

Le patron de la Comédie-Française parvient à nous “désapprendre” la légende pour nous conter une tragique et belle histoire d’amour…

Roméo et Juliette – Spectacle vu le 10 janvier 2016
Reprise à la Comédie-Française du 30 septembre 2016 au 1er février 2017
De William Shakespeare, mise en scène Eric Ruf

Les Rustres Bruno Rafaeli

Les Rustres jubilatoires de Jean-Louis Benoit

Les Rustres – Spectacle vu le 13 décembre 2015
A l’affiche du Théâtre du Vieux-Colombier jusqu’au 10 janvier 2016
De Carlo Goldoni, mise en scène Jean-Louis Benoit

©Christophe Raynaud de Lage coll. Comédie-Française

On adore détester ces Rustres et voir leurs épouses se rebeller peu à peu contre tant de rudesse et de grossièreté. 

En cette période de fin d’année, il est toujours agréable de programmer des sorties théâtre en famille.
Ne manquant pas à sa réputation, la Comédie-Française propose actuellement deux spectacles jubilatoires. Côté Studio-Théâtre, il ne faut pas louper la reprise du Loup de Marcel Aymé dans une mise en scène de Véronique Vella, avec l’excellent Michel Vuillermoz. Côté Vieux-Colombier, vous avez rendez-vous avec les Rustres de Carlo Goldoni, dans une mise en scène jouissive de Jean-Louis Benoit.

Qui sont-ils exactement, ces rustres? Trois compères sauvages, grossiers, pingres, rustiques, impolis, bourrus…et tellement drôles à la fois. Le trio interprété par l’inégalable Christian Hecq – génie comique du moment – le désopilant Bruno Raffaeli et le bougonnant Nicolas Lormeau fonctionne à merveille. L’intrigue est assez simple : Lunardo (Christian Hecq) veut marier sa fille Lucietta (Rebecca Marder, nouvelle recrue du Français) à Filippetto (Christophe Montenez) qui est le fils de son ami Maurizio (Nicolas Lormeau). Il veut les marier, mais sans qu’ils se soient rencontrés au préalable.

Chez Goldoni, les femmes sont aussi sensées, philosophes et généreuses que leurs époux sont mufles, goujats et bornés. La plus hardie et téméraire de toutes, Felice (formidable Clotilde de Bayser) incarne une sorte de féministe avant l’heure qui mène son mari (le doyen Gérard Giroudon) par le bout du nez. C’est elle qui manigancera une entrevue entre les deux jeunes gens. C’est grâce à son audace que ses amies (Céline Samie et Coraly Zahonero) se rebelleront contre leurs rustauds de maris. C’est elle qui aura le dernier mot, laissant entendre la voix de Goldoni à travers son plaidoyer final. Une voix qui prône ouverture aux autres, bienveillance et hauteur de vue… Une voix qui résonne en nous bien après le spectacle.

Au Vieux-Colombier, on échauffe ses zygomatiques en même temps qu’on médite sur la nature humaine :

1 – Jean-Louis Benoit qui connaît bien la maison de Molière y revient avec une gaieté communicative.
2 – L’alchimie entre l’intelligence de ce metteur en scène et le talent de la troupe parvient à transcender le “génie Goldoni”.
3 – En à peine deux scènes, et quelques mois après sa brillante interprétation dans Comme une pierre qui… Christophe Montenez confirme ici l’étendue de son talent.

 

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Avec Père, Arnaud Desplechin réussit son entrée au Français

Père – Spectacle vu le 28 septembre 2015
A la Comédie-Française – Salle Richelieu, jusqu’au 4 janvier 2016  à 20h30
Une pièce d’August Strindberg
Mise en scène par Arnaud Desplechin

 

@Vincent Pontet – coll. Comédie-Française

 

Avec Père, Arnaud Desplechin fait son “coming-out théâtral” et on aime ça…

C’est peu dire que cette première mise en scène d’Arnaud Desplechin était attendue. Ce cinéaste surdoué est l’auteur de dix longs métrages dont le fameux Comment je me suis disputée… (ma vie sexuelle) qui fait partie de mes films coups de coeur. J’étais assez impatiente de découvrir son Père de Strindberg, même si ce dernier ne fait pas partie de mes auteurs préférés. J’attendais ce rendez-vous privilégié, d’autant que je suis – vous l’aurez compris – une “aficionada” de la Comédie-Française… Pari réussi, à mon sens : la mise en scène tout en sobriété fait ressortir avec une justesse incroyable le drame qui s’établit entre ce couple.

Car la pièce de Strindberg nous parle de la paternité, certes, mais d’abord et surtout d’un couple en crise. Un couple incarné par deux comédiens exceptionnels qu’on a plaisir à voir partager la scène. Anne Kessler, toute petite, toute frêle, est tellement émouvante en femme prête à tout pour garder son enfant. Elle est  mère avant d’être femme et en tant que mère elle nous touche forcément, malgré sa violence et sa dureté. Face à elle, Michel Vuillermoz est ce père peu à peu rongé par le doute et la folie, lorsqu’il se demande si Bertha est réellement sa fille. Mais peut-on réellement parler de folie? C’est toute la question à laquelle Arnaud Desplechin n’a pas voulu répondre, laissant au spectateur le choix d’arbitrer. Difficile d’assister à ce combat entre un homme et une femme qui se déchirent, se blessent, s’injurient, se malmènent, se choquent, s’invectivent, se maltraitent, se maudissent. Et qui s’aiment, malgré tout. Car il y a toujours de l’amour dans ce couple.

Le baptême théâtral d’Arnaud Desplechin coïncide avec le lancement de la première saison d’Eric Ruf, allez-y sans hésiter :

1 – Même si, comme moi, vous n’êtes pas des inconditionnels de Strindberg, vous serez conquis par une mise en scène aussi précise qu’au cinéma.
2 – “Un couple de cinéma”, justement – c’est ainsi qu’Arnaud Desplechin présente ses deux héros Michel Vuillermoz et Anne Kessler – deux immenses comédiens dont on sent le plaisir qu’il a de les retrouver.
3 – Les autres personnages sont au diapason de ces deux-là. Comme disait Mathieu Amalric au sujet d’Arnaud Desplechin : “il pourrait faire jouer un porter-manteau“!… Alors, imaginez-le avec des comédiens du Français.

La Maison de Bernarda Alba à la Comédie-Française, mise en scène Lilo Baur

Spectacle vu à la Comédie-Française – Salle Richelieu, le 2 juillet 2015
Reprise du 2 octobre 2015 au 6 janvier 2016
Mise en scène Lilo Baur

 

© Brigitte Enguérand

 

L’occasion, assez rare finalement, de découvrir La maison de Bernarda Alba, cette “vraie pièce de femmes”, dans une mise en scène très énergique, servie par dix comédiennes exceptionnelles du Français

 

Comme l’a fait remarquer Cécile Brune, La maison de Bernarda Alba de Federico Garcia Lorca, pièce bien connue des troupes amateurs est très peu programmée par les scènes nationales. A la Comédie-Française par exemple, il faut remonter à 1974, avec le spectacle de Robert Hossein qui avait confié le rôle d’Adela à la jeune pensionnaire…Isabelle Adjani !

Lilo Baur a déjà monté un spectacle au Français : c’est à elle que l’on doit “La (formidable) Tête des Autres” au Vieux-Colombier. Nouveau challenge, nouveau lieu pour cette metteure en scène tellement contemporaine. Grâce à un sublime décor architectural, elle parvient à transplanter le plateau de la Salle Richelieu aux fins fonds de l’Andalousie.
Premières en scène, sur fond de glas annonçant l’enterrement de l’homme de la maison -le deuxième mari de Bernarda Alba- apparaissent Claude Mathieu en servante et Elsa Lepoivre en Poncia. Cette dernière est méconnaissable, pas tant par le grimage que par son jeu : elle est l’un des personnages qui nous font rire, en dépit de l’ambiance souvent pesante.  Surviennent ensuite Bernarda –formidable Cécile Brune – et ses cinq filles. Angustia l’aînée, interprétée par une Anne Kessler tordante, et dont il convient de souligner, en plus de son talent habituel, l’incroyable travail qu’elle a dû fournir en reprenant au pied levé le rôle de Véronique Vella. Coralie Zahonero et Claire de la Rüe du Can sont respectivement Magdalena et Amélia, les deux sœurs inséparables. Jennifer Decker s’est glissée dans le costume de Martirio la bossue, tandis que la benjamine Adela est incarnée par la si touchante Adeline d’Hermy.

Les voici toutes cinq contraintes par leur abominable mère à observer une période de huit années de deuil. Soucieuse du qu’en dira-t-on, Bernarda Alba n’hésite pas à élever la demeure familiale au statut de prison. N’a-t-elle pas pour habitude d’enfermer sa propre mère totalement folle dans un cachot? Cachot dont parvient parfois à s’échapper la pauvre Florence Viala (aussi méconnaissable que drôle, elle aussi).

Aucun homme dans ce huis-clos ? Un seul, si, et qui fera le malheur de toutes… Pepe le Romano, que Lilo Baur a choisi de nous montrer sous les traits d’Eliott Jenicot – rappelons que d’après le texte de Lorca, ce personnage n’est jamais en scène. Pepe le Romano, promis à Angustia, la plus argentée des filles (la seule!) née d’un premier mariage et ayant hérité de son père. Pepe le Romano qui séduit la jeune Adela pendant la période de ses fiançailles. Pepe le Romano dont Martirio tombe éperdument amoureuse. Un seul homme pour tant de femmes. Unique objet de tous les fantasmes.

Tant de passions inassouvies déboucheront forcément sur le pire. Peu à peu, on sent poindre le drame, aussi clairement que l’orage qui explose à la fin d’une journée d’été…

Encore une vingtaine de jours pour ce voyage dans l’Andalousie de ce début de siècle :

1 – Voyage en excellente compagnie : les dix comédiennes du Français sont toutes incroyables.
2 – Voyage dans l’univers à la fois poétique, charnel, énergique et percutant d’une Lilo Baur inspirée.
3 –  Voyage dont l’on ne ressort par indemne : force est d’admettre que cette “condition de la femme” pointée du doigt par Lorca est encore bien trop souvent bafouée en 2015…

 

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INTERVIEW

 

 

Un Fil à la patte ou le Système Ribadier? Les deux, off course!!

Deux spectacles vus à la Comédie-Française
Un fil à la patte (reprise) à l’affiche jusqu’au 26 juillet 2015 – Salle Richelieu
Mise en scène Jérôme Deschamps

Le Système Ribadier (reprise) à l’affiche jusqu’au 17 juillet 2015 – Vieux-Colombier
Mise en scène Zabou Breitman

 

© Brigitte Enguérand

Entre le Feydeau déjanté de Jérôme Deschamps et le Feydeau déjanté de Zabou Breitman, ne choisissez surtout pas : courez à la  Comédie-Française!!!

En ce début d’été, moment où les salles de spectacle parisiennes commencent à se vider et où les colonnes morris annoncent déjà les potentiels succès de la rentrée, il est encore possible de (re-)découvrir de véritables enchantements.
Sans aller chercher loin, les deux reprises de Feydeau à la Comédie-Française ne vous décevront pas  – quel bonheur cette alternance qui se poursuit tout le mois de juillet!

D’un côté, Rive Droite, Salle Richelieu, Christian Hecq enfile le costume du désopilant notaire Bouzin pour la cinquième année consécutive. Chacune de ses apparitions provoque l’hilarité générale. Il tourbillonne, sautille, s’entortille, se plie et se déplie, dévale et dérape : cet homme est un toon! La mise en scène de Jérôme Deschamps est réglée au cordeau. Pas un temps mort, des comédiens rivalisant de facéties, entre un Stéphane Varupenne parfait  (Bois d’Enghein), un irrésistible Serge Bagdassarian (Fontanet), un Thierry Hancisse haut en couleur (le Colonel) et un Guillaume Gallienne une fois de plus époustouflant en Miss Betting. Sans oublier les rôles féminins : Coraly Zahonero et Florence Viala se partagent celui de Lucette au rythme de l’alternance – pour un peu, on irait voir deux fois le spectacle! Une chose est sûre : Eric Ruf ne s’est pas trompé, qui a décidé de programmer pour la sixième fois cet incontournable vaudeville…

Pendant ce temps-là, Rive Gauche, sur la scène du Vieux-Colombier, ne manquez pas l’occasion de découvrir une autre pièce du même auteur. Avec une mise en scène subtile et euphorisante, Zabou Breitman confirme son formidable talent. Sa première bonne idée : avoir confié le décor au regretté Jean-Marc Stehlé. Décor que l’on ne dévoilera pas, pour ménager l’effet… Les bonnes idées et les surprises s’enchaînent tout au long de ce spectacle. Tellement bon pour les zygomatiques! Comme souvent à la Comédie-Française, la nouvelle distribution modifie sans doute le spectacle mais le résultat est tout aussi pétillant. Jérémy Lopez remplace Laurent Stocker et Anna Cervinka succède à Julie Sicard. Ils incarnent respectivement le meilleur ami et l’épouse du fameux Ribadier qui n’est autre que le truculent Laurent Lafitte.

Alors, un fil à la patte ou le système Ribadier? Franchement, il serait trop dommage de devoir choisir entre un excellent Feydeau repris Salle Richelieu et un excellent Feydeau repris au Vieux-Colombier : vous avez jusqu’à fin juillet pour jouer le jeu de “l’alternance”!

 

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La tragédie de Hamlet, mise en scène par Dan Jemmett

Merci pour cette reprise de la tragédie de Hamlet à la Comédie-Française

Spectacle vu à la Comédie-Française – Salle Richelieu, le 14 juin 2015
A l’affiche jusqu’au 26 juillet 2015
Mise en scène Dan Jemmett

 © Cosimo Mirco Magliocca

Y a t-il quelque chose de pourri au royaume de la critique ?…

Un autre spectacle que j’avais découvert lors de sa création l’année dernière et que je suis retournée voir en famille. Eh oui! Pour ceux d’entre vous qui n’auraient pas encore saisi… je suis FAN de la Comédie-Française. Descendue par la critique, la mise en scène du britannique Dan Jemmett m’avait emballée. L’idée de départ d’avoir transposé l’intrigue dans un “club-house” seventies ne m’avait pas choquée, au contraire.
Je me souviens des nombreux papiers qui s’insurgeaient contre rouflaquettes et pattes d’éph’. Et alors? Qu’importe! En quoi ces décors et costumes décalés vont-ils à l’encontre du chef-d’oeuvre intemporel de Shakespeare?

Ce qu’apporte à mon sens le facétieux Dan Jemmett pourrait se résumer à trois mots : limpidité, humour et performance collective.
Limpidité de la traduction d’Yves Bonnefoy, qui rend tellement accessible le texte de ce cher William. Limpidité de la mise en scène, qui parvient à replacer le récit dans la quotidienneté et la modernité.
Humour : car il est vrai que l’on rit souvent au cours des trois heures que dure le spectacle. L’on y rit énormément, s’agissant de l’une des plus sombres tragédies du répertoire.
L’esprit de Shakespeare est sans doute dans ce rire-là, n’en déplaise aux “mauvais coucheurs”, ces “ronchons de la critique”! Citons pour seul exemple le subterfuge qui permet à Elliot Jenicot d’incarner les deux personnages de Rozencrantz et Guildenstern en même temps. Bravo pour ce numéro de ventriloque!
Performance collective enfin, et pas uniquement parce que nous sommes face aux “meilleurs des meilleurs”. Aussi parce que Dan Jemmett parvient à insuffler sa folie pince sans rire à l’ensemble de ces comédiens d’exception. Hervé Pierre, en ignoble et trivial Claudius, tellement convaincant, est sans doute le plus hilarant de tous.

Et puis, il y a Denis Podalydès, toujours aussi magistral. Il campe un Hamlet tellement juvénile, pâle, fragile, angoissé. Ainsi qu’un Hamlet désespéré, enragé, imposant, révolté. Le comédien boulimique de théâtre embrasse enfin “le rôle des rôles”. Et “le succès des succès” est bien au rendez-vous.

Ce Hamlet ne sera pas repris la saison prochaine, alors courez-y d’ici fin juillet :

1 – La mise en scène de Dan Jemmett qui continue de déchaîner la critique est saluée unanimement par le public, notamment les jeunes et très jeunes!
2 – Le rendez-vous tant attendu Denis Podalydès / Hamlet vaut sérieusement le détour : un rôle unique pour une immense palette de talents.
3 – Les autres comédiens sont comme toujours impeccables, cette petite touche de folie “jemmettienne” en plus.

Les fausses confidences avec Isabelle Huppert

Reprise des Fausses Confidences à Odéon : une nouvelle leçon de direction d’acteurs par le maître Luc Bondy

Spectacle vu à Odéon-Théâtre de l’Europe le 4 juin 2015
A l’affiche jusqu’au 26 juin 2015
Mise en scène Luc Bondy

les fausses confidences Odeon
© Pascal Victor

Quel bonheur que la reprise de ce spectacle! Une distribution impeccable, autour d’une Isabelle Huppert magnétique…

J’avais déjà vu ce spectacle l’année passée à sa création, mais sans mon chéri…
Y retourner avec lui était la promesse d’une excellente soirée : un bon spectacle est toujours meilleurs la seconde fois.
J’adore Marivaux, j’aime sa modernité, sa façon de décortiquer et critiquer la nature humaine.
J’aime la langue de Marivaux, tellement contemporaine, bien qu’âgée de près de 300 ans.
Cette modernité, Luc Bondy la met à l’honneur : sa mise en scène la porte aux nues.

En s’installant, les spectateurs découvrent  des dizaines de paires de chaussures sur l’immense plateau de l’Odéon. A faire pâlir n’importe quelle fashionista. En fond de scène, toute fine, quasi juvénile, souple et gracieuse, attentive aux gestes de son professeur de taï-chi, elle est là. Une star s’apprête à brûler les planches sous nos yeux, deux heures durant.
Pendant ces deux heures que vont se nouer les intrigues, au rythme des fameuses confidences, Isabelle Huppert va tour à tour piétiner, sautiller, virevolter. Jusqu’à s’effondrer quasiment, ses jambes se dérobant sous elle. Comme si elle chavirait au rythme de son coeur.

les fausses confidences Odeon

Chacun de ses gestes nous attire et nous hypnotise. Elle nous envoûte, nous électrise et nous subjugue. Elle brûle les planches, en véritable star qu’elle est. Et cependant elle n’écrase jamais ses partenaires de scène. Une fois de plus, Luc Bondy démontre son talent de directeur d’acteurs.
La distribution est impeccable. Bulle Ogier en mère ambitieuse, vénale, et surtout infernale, est l’un des personnages comiques de la pièce : chacune de ses apparitions déclenche les rires du public.
Yves Jacques est remarquable dans le rôle du valet Dubois, véritable manipulateur et pivot de l’intrigue.
Mention spéciale à Manon Combes que j’avais déjà remarquée dans Le Prix Martin de Peter Stein et Le Bourgeois Gentilhomme de Denis Podalydès –  croyez-moi : cette “petite” ira loin!
Pour interpréter Dorante – l’amoureux transi – Louis Garrel, encore trop rare sur les plateaux, confère un côté quasi romantique à cette pièce de Marivaux. Lorsque débute la pièce, il semble encore sous le coup de foudre provoqué par sa rencontre avec Araminte. Et la dernière scène le laissera éreinté, fatigué d’avoir tant bataillé pour rendre victorieux son amour.

les fausses confidences Odeon

Plus que quelques jours pour aller recueillir les fausses confidences d’Isabelle Huppert :

1 – Pour la première collaboration entre le talentueux metteur en scène Luc Bondy et la véritable “star” Isabelle Huppert.
2 – Pour la mise en scène moderne qui colle parfaitement à la langue de Marivaux.
3 – Pour la distribution, impeccable, comme toujours avec Luc Bondy.

 

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Le jeu de l’amour et du hasard : un Marivaux acidulé qui “donne la pêche”!

Spectacle vu au Théâtre Côté Cour le 17 mai 2015
Reprise au Lucernaire du 6 avril au 4 juin 2016
Par la Compagnie “La Boîte aux lettres”
Mise en scène Salomé Villiers

 

 

Reprise au Lucernaire de cette mise en scène qui fait la part belle à la langue toujours aussi moderne de Marivaux.

Près de deux mois après la mise en ligne de ce blog, et à six semaines du lancement du Festival Off d’Avignon 2015, il n’est que temps de consacrer une rubrique aux compagnies de théâtre qui n’en finissent pas de nous surprendre.
Voici par exemple le travail de la compagnie “La Boîte aux Lettres”, née en 2009 de la rencontre de Salomé Villiers, Bertrand Mounier et François Nambot.

Rappelons l’argument de départ de la pièce de Marivaux. Silvia accepte difficilement d’être mariée par son père à un inconnu. Pour observer tout à loisir le caractère de ce fameux prétendant, elle endosse le costume de sa suivante Lisette. Péripéties et rebondissements seront au rendez-vous, jusqu’à ce que l’amour finisse par triompher, par jeu et par hasard!…

Le parti pris de Salomé Villiers, qui met en scène et interprète le rôle de Silvia était de donner un côté “rock” à la pièce de Marivaux. Ainsi les costumes d’époque sont-ils remplacés par des tenues mode tendance “psychédélique”. De même la musique nous entraîne-t-elle du côté des Sonics et des Troggs. L’usage de la vidéo apporte également un petit côté décalé à ce spectacle. Personnellement ce n’est pas ce que je retiendrai de cette mise en scène. Le plus important restant le texte : la langue de Marivaux qui n’a pas besoin d’être modernisée tellement elle demeure contemporaine. Et cette langue est servie par une troupe de comédiens réellement talentueuse.
Salomé Villiers campe une Silvia touchante dans son désarroi, Raphaëlle Lemann une Lisette époustouflante de justesse, Philippe Perrussel un Orgon tout en nuances, François Nambot un Dorante séduisant de sincérité, tandis qu’Etienne Launay et Bertrand Mounier rivalisent de drôlerie.
Ensemble, ils nous font rire, ils nous émeuvent, ils nous étonnent et nous enchantent.

Trois raisons d’aller faire un petit tour au Lucernaire

1 – Pour découvrir ou redécouvrir ce texte toujours aussi moderne de Marivaux : à mon sens sa plus belle pièce.
2 – Pour les comédiens réunis par Salomé Villiers, avec mention spéciale “aux filles” : Salomé Villiers et Raphaëlle Lemann sont bourrées de talent.
3 – Rien de tel pour chasser “le spleen du dimanche soir” : testé pour vous, l’effet est garanti, sur les grands et les petits! Un Marivaux acidulé, puisque je vous le dis!

 

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INTERVIEW

Reprise de Lucrèce Borgia à la Comédie-Française : à voir absolument!

Lucrèce Borgia

Spectacle vu le 14 avril 2015
Jusqu’au 19 juillet Salle Richelieu de la Comédie-Française
Mise en scène : Denis Podalydès

© Christophe Raynaud de Lage

Si l’on accepte la démesure et l’excès contenus dans le texte de Victor Hugo, on se laisse totalement embarquer dans la tragédie incestueuse qu’il nous conte…

Le décor est magnifique, magique : il nous transporte à Venise en l’espace de dix secondes.
L’ambiance est pesante, dès le début de la pièce. On pressent les crimes qui vont se succéder. On imagine déjà les trahisons, les larmes, les poignards, le poison, le sang, la vengeance. Et puis très vite, elle est là. On a l’impression qu’elle flotte, qu’elle vole au-dessus de la mer. Comme sortie d’un songe. Lucrèce Borgia est Guillaume Gallienne. Guillaume Gallienne est Lucrèce. Tout simplement. Sans autre artifice que sa robe de bal signée Christian Lacroix, il/elle nous entraîne dans les sentiments les plus purs comme les plus monstrueux.

Lucrèce Borgia tremble d’amour pour Gennaro, jeune capitaine interprété par la talentueuse Suliane Brahim – même si le travestissement fonctionne beaucoup moins bien qu’avec Guillaume Gallienne. Le spectateur comprend dès le premier acte qu’il s’agit d’un amour maternel. Car Gennaro est le fils incestueux de Lucrèce et de son frère Jean. Lequel Jean Borgia vient d’être assassiné par son autre frère César parce qu’ils étaient amoureux de la même femme. Cette femme n’étant autre que Lucrèce…

Lucrèce aime donc Gennaro comme une mère aime son enfant. Mais si nous, spectateurs, comprenons l’allusion à cet amour filial, son mari, le Duc Alphonse d’Este, terriblement jaloux, voit en Gennaro un amant de sa femme. Un de plus, un de trop qu’il décide de faire tuer. La scène entre Guillaume Gallienne / Lucrèce et Thierry Hancisse / Don Alphonse est d’anthologie. Lucrèce tente tout ce qui est en son pouvoir pour sauver son fils de la mort, mais  son mari la force à empoisonner elle-même Gennaro. La tragédie classique n’est pas très loin…

Dans sa note d’intention, Denis Podalydès évoque les écrits d’Antoine Vitez à l’attention de ses acteurs qui créèrent la pièce à Avignon en 1985 : “N’ayez jamais peur d’en faire trop”. On assiste effectivement à un théâtre tout en exagération, en excès, en sublime.

Si vous acceptez ce principe de départ que la pièce de Hugo est un drame romantique, avec tout ce que cela peut impliquer d’excessif, voire de “grotesque”, vous serez sans doute conquis :

1 – Vous découvrirez une Lucrèce Borgia emprisonnée dans le corps d’homme d’un Guillaume Gallienne une fois de plus époustouflant.
2 – Vous saluerez en Denis Podalydès un metteur en scène qui a le sens du sublime et de la délicatesse.
3 – Vous ressortirez de la salle comme d’un voyage dans le temps, dans l’espace, dans l’ignoble et le sublime.

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