Revue rouge : la lutte à gorge déployée !

Ah bon sang, mais voilà un spectacle qui requinque, qui remet les idées en place, ah, ça, oui, ça fait du bien par où ça passe, se sentir à l’unisson, entendre chanter la liberté, la solidarité, la fraternité… ça remet de la vie dans les concepts, c’est toujours ça de pris et pourvu que ça dure !

El pueblo unido jamás sera vencido ! On rentre directement dans le vif du sujet… Norah Krief, menue, le regard brillant, entame pourtant le concert en douceur, déambulant sur la scène, s’asseyant un instant sur le rebord de l’estrade du claviériste. Elle laisse le temps aux spectateurs de venir à elle, quelques minutes pour que chacun se sente au diapason de tous.
Eric Lacascade met en scène ce spectacle conçu par David Lescot. Épaulée par ses complices de longue date, accompagnée par quatre musiciens impeccables, à l’énergie dense qui se répand en ondes électriques sur le public, Norah Krief nous fait découvrir et redécouvrir des chansons révolutionnaires, écrits ou composés par Brecht, Eisler, Ferré, et parfois par des oubliés, des anonymes. Un travail de vidéo pertinent, voire percutant, étoffe le propos.

photos @ Brigitte Enguérand

Paroles du XIXe, XXe, XXIe siècles : la rébellion traverse le temps ; mots en français, en allemand, en espagnol, en russe : la révolte traverse les frontières. De Brecht aux Pussy Riot, chants de luttes, paroles courageuses. Antifascistes, féministes, prolétaires : c’est la voix des petits, des opprimés, de ces masses qu’on dit pourtant « minoritaires », qui gronde, gonflée d’espoirs et de la force qui naît de la confraternité et de la certitude de combattre l’injustice. Et si les textes peuvent paraître ancrés dans leur époque – on a oublié au fil des générations ce qu’est le prolétariat, qui était Nestor Maknov et sa Maknovtchina, ce que c’est de s’enrôler à vingt ans dans une armée insurrectionnelle -, l’impression s’efface en un instant tant les combats qu’ils portent et l’énergie qu’ils relèvent restent actuels.
Norah Krief, qu’on connaît sans doute plus comme comédienne, s’impose au chant avec une évidence tranquille ; d’une balade à l’énergie contenue à un punk déchaîné, elle garde la voix claire, l’articulation nette – on ne perd rien des textes, et c’est tant mieux -, et la présence intense.

« Ces chansons rouges, militantes, nous émeuvent et nous mettent en mouvement, collectivement. Elles libèrent la parole. » Norah Krief

Quelques apartés nous entraînent plus loin au cœur de l’histoire de ces chants prolétariens, communards, féministes – on se souvient ou on apprend que les Pussy Riot (« Mère de Dieu, mets Poutine dehors, Mère de Dieu, deviens féministe ! ») ont passé quelques années en camp en Sibérie, que Montélus à la fin du XIXe a été condamné pour « incitation à l’avortement » pour sa « Grève des mères » qui invitait les femmes à faire la grève des ventres, cesser de donner des enfants à la guerre… Chanter parfois se paye cher !
Au milieu de ces airs portés par la mémoire collective, un hommage délicat de David Lescot à Rosa Luxembourg « Tire une balle dans ma tête » – « tire une balle dans ma tête, fais-moi entrer dans la légende », et c’est toi qui vas perdre, « j’étais, je suis, je serai ».

Les orchestrations, rock, sont sèches, sourdes, sombres, parfois martiales. Mais la rage est dosée avec justesse, et laisse la place à des moments plus retenus. Une trompette à la mélopée lente et déchirante fait se serrer les gorges pendant l’anti-franquiste « El quinto regimento », et c’est Fred Fresson qui enchaînera, s’accompagnant seul au clavier, par une interprétation limpide des « Anarchistes » de Ferré.

La fougue des textes, la fièvre des interprétations, la densité des orchestrations touchent direct ! On a le sang qui pulse un peu plus vite, on sent le frisson partagé ; pas besoin d’avoir « la carte » au parti ceci, à la confédération cela, il suffit juste d’avoir le cœur qui bat au même rythme que la musique, et que le cœur de ses frères humains ! Un spectacle vivifiant et salutaire.

“Ces chansons de lutte sont à la fois témoignages d’espoirs collectifs et de révoltes, souvenirs d’insurrections et de résistances mais surgissant de l’histoire elles nous embrasent. Aujourd’hui encore ces paroles, ces refrains, ces musiques nous soutiennent, nous portent et j’espère nous entraînent vers de nouveaux combats. Il est temps.” Éric Lacascade

 

Revue Rouge, au 11, Avignon, jusqu’au 30 juillet 2017
Chant : Norah Krief
Mise en scène : Éric Lacascade
Conception et direction musicale : David Lescot
Piano, chœur : Fred Fresson / Basse, chœur : Adrian Edeline / Batterie, chœur : Philippe Floris / Guitare et trompette, chœur : Antonin Fresson en alternance avec David Lescot
Vidéo Stéphane Pougnand

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