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La vie est une fête, mais y’ des chances que le champagne verse à côté de la coupe…

Pour qui n’a jamais mis les pieds dans l’antre des Chiens de Navarre, la prise de contact peut être… cahotique (sinon chaotique) !
On n’a pas encore pris place qu’on se retrouve au cœur d’une séance parlementaire musclée, où l’on débat « retour de l’uniforme à l’école » ou « autorisation du port d’armes ». Comme une frénétique impro jazz dans un club enfumé et alcoolisé, les réparties et invectives fusent tandis que les spectateurs inattentifs prennent place dans la salle en ordre dispersé, bavards et brouillons mais bien plus sages que l’honorable assemblée parlementaire en cours.
La séance finit en pugilat – on s’y croirait pour de vrai ! – pendant qu’un générique de cinéma défile sous des lumières de boule à facettes, balayant d’entrée de jeu toute tentation de réalisme : ici, on est au théâtre : on n’est pas là pour le réel, on est là pour le vrai !

« Certes, nous souffrons à cause de papa et maman,
mais nous souffrons aussi à cause de l’état du monde. »
Jean-Christophe Meurisse, note d’intention

La vague tempêtueuse qui a secoué les spectateurs de rires les dépose doucement sur le rivage d’un service d’urgences psychiatriques. Jean-Claude Meurisse y voit « l’un des rares endroits à recevoir quiconque à toute heure sans exception d’âge, de sexe, de pays. Un lieu de vie extrêmement palpable pour une sortie de route. Un sas d’humanité. »
Derrière le rideau qui tombe fort théâtralement, se dévoile le beau décor dévasté (et ça ne va pas aller en s’arrangeant) de l’hôpital – magnifique scénographie lyrique et punk signée François Gauthier-Lafaye.
C’est Mr Peau qui ouvre le bal des désaxés de ses diatribes amères et absurdes contre tout (les comédiens, l’état du service public, les Palestiniens, les youpins (sic), ad libitum), résolues radicalement (« PAN »).
Le service des urgences verra aussi débarquer un Patrick, ex-directeur commercial de Digitech qui a totalement craqué, séquestrant ses employeurs dans une tentative désespérée de « rebooter le système » qui l’a broyé, le balançant aux oubliettes de l’entreprise à coup de restructuring et d’overboard. Une Christelle y atterrira pour un lavage d’estomac, 46 Xanax, un beau record apprécié par l’équipe médicale. Des jeunes gens fragiles s’y découvrent, lovés au pied du distributeur de boisson « – Névrose d’angoisse à tendance suicidaire, et toi ? – Dépression, toute conne. Même mon diagnostic est chiant ». Une épique baston de CRS contre Gilets Jaunes viendra même s’échouer devant leurs portes.

Tout un concentré de société, des êtres ordinaires, mis à mal par la pression sociale, les blessures narcissiques, le monde qui change, les peurs qui poussent plus vite que des algues vertes sur des littoraux nitratés, le chômage, les ordres, les crises sanitaires, le quotidien, la solitude.
Les questions sont poignantes, les réponses sont percutantes ! Il faut avoir le goût du Grand-Guignol pour savourer la recette, épicée avec le sens de la non-mesure qu’on connaît (et qu’on aime) aux Chiens de Navarre.
La vie est une fête est un spectacle très fluides. Eh non, pas « fluide », mais bien « fluides », en tous genres, sécrétions qui sortent de partout et atterrissent n’importe où, en quantités spectaculaires. Sang, sperme, frottis vaginal, vomissures, morves et bave (liste non exhaustive). Du goudron, aussi, bien que, rappelle-t-on au malade dont on n’ose pourtant brider la créativité trop drastiquement, « on ne met pas de goudron sur la tête d’un élu de la République ».

« – C’est pas comme ça qu’on va sauver le monde.
– Ben si c’est possible. Faut croire à la tendresse »

Pourtant, dans cet humour sauvage, organique et violent, qui dessoude à la kalashnikov les travers, incompréhensions et anxiétés de nos sociétés, pointe une délicatesse inattendue.
Christophe, le défunt chanteur, vient faire un p’tit tour, et ses mots bleus en profiter pour coller un frisson d’émotion. Catherine Deneuve joue du pipeau, une gynécologue gracieuse comme un garagiste se révèlera bienveillante comme une grande sœur, un très beau et lent tango réunit la force publique et le peuple, une ébauche de romance s’esquisse sur un air de chanson populaire. Et ce sont autant de bulles de douceur, prenant une étonnante ampleur dans cette loufoque, enthousiasmante et cathartique apocalypse.
Les interprètes sont fantastiques, comme toujours, sachant se faire retenus et touchants dans ces moments plus sentimentaux, et toujours d’une énergie et d’une générosité débridées et jusqu’au-boutistes.
« Il n’y a rien de plus humain que la folie. » nous confirme Jean-Christophe Meurisse, alors, main dans la main avec les fous furieux des Chiens de Navarre, allons cheminer dans notre humanité, et croyons à la tendresse.

Marie-Hélène Guérin

LA VIE EST UNE FÊTE
Un spectacle des Chiens de Navarre
Aux Bouffes du Nord du 12 au 29 septembre 2024
Mise en scène Jean-Christophe Meurisse
Collaboration artistique Amélie Philippe
Avec Delphine Baril, Lula Hugot, Charlotte Laemmel, Anthony Paliotti, Gaëtan Peau, Ivandros Serodios, Fred Tousch et Bernie
Photos © Philippe Lebruman
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Les Chiens de Navarre, Frédéric Bélier-Garcia, Marthaler et Nicolas Bouchaud

Revue de presse du 16 mars 2015

 

1. La nouvelle création des Chiens de Navarre, toujours aussi déjantés, au Théâtre des Bouffes du Nord :

– “Un bon blasphème, ça fait du bien. Celui qu’offrent Les Chiens de Navarre en ouverture des Armoires normandes, leur nouvelle et excellente création, secoue de rire les spectateurs des Bouffes du Nord.” – Le Monde

– “Il est rare de rire à un spectacle avant même qu’il commence. On se tient encore les côtes en sortant.” – Les Echos

– “Sans surprise, la magie de la création collective opère et le plaisir du jeu transparaît à tous les étages.” – L’Express

 

2. La délicatesse de Frédéric Bélier-Garcia au service des Caprices de Marianne :

– “Très à son aise pour sa première incursion dans le théâtre de Musset, Frédéric Bélier-Garcia situe les Caprices de Marianne dans un espace chamboulé de fond en comble par une éruption volcanique désormais apaisée.” – Libération

– “Musset, ce n’est pas une pensée, pas un discours, c’est une humeur primordiale, comme il y a des couleurs élémentaires.” – Théâtral Magazine

 

3. La dernière mise en scène du génial Marthaler divise la critique :

– “Une île flottante n’est pas le spectacle le plus réussi du maître de la mise en scène.” – Le Figaro

– “La délicieuse île flottante de Marthaler submerge l’Odéon.” – Le Monde

– “Pourquoi diable (question très naïve que nous posons) ne pas avoir monté la pièce, simplement, génialement, il y avait tout pour cela, et d’abord l’immense talent de Marthaler et de sa troupe ?” – FranceTV Info

– “J’ai vu cette « Ile flottante » bilingue (avec sous titres) un soir ordinaire au théâtre de Vidy à Lausanne et les réactions du public étaient édifiantes : la salle semblait coupée en deux.” – Mediapart

 

4. Formidable Nicolas Bouchaud dans La loi du Marcheur (Reprise au Carreau du Temple) :

– “Nicolas Bouchaud se glisse dans la peau de Serge Daney, cinéphile éclairé, spectateur-citoyen, critique de l’image au journal Libération dans les années 80 et fondateur de la revue Trafic.” – Telerama

– “Nicolas Bouchaud a sans doute un petit quelque chose de Serge Daney qui lui permet de prêter sa carcasse au journaliste et critique de cinéma.” – La Terrasse

– “Un film culte sert de fil conducteur : Rio Bravo, dont plusieurs séquences sont projetées en VO non sous-titrée.” – Liberation