Articles

Un Fil à la patte ou le Système Ribadier? Les deux, off course!!

Deux spectacles vus à la Comédie-Française
Un fil à la patte (reprise) à l’affiche jusqu’au 26 juillet 2015 – Salle Richelieu
Mise en scène Jérôme Deschamps

Le Système Ribadier (reprise) à l’affiche jusqu’au 17 juillet 2015 – Vieux-Colombier
Mise en scène Zabou Breitman

 

© Brigitte Enguérand

Entre le Feydeau déjanté de Jérôme Deschamps et le Feydeau déjanté de Zabou Breitman, ne choisissez surtout pas : courez à la  Comédie-Française!!!

En ce début d’été, moment où les salles de spectacle parisiennes commencent à se vider et où les colonnes morris annoncent déjà les potentiels succès de la rentrée, il est encore possible de (re-)découvrir de véritables enchantements.
Sans aller chercher loin, les deux reprises de Feydeau à la Comédie-Française ne vous décevront pas  – quel bonheur cette alternance qui se poursuit tout le mois de juillet!

D’un côté, Rive Droite, Salle Richelieu, Christian Hecq enfile le costume du désopilant notaire Bouzin pour la cinquième année consécutive. Chacune de ses apparitions provoque l’hilarité générale. Il tourbillonne, sautille, s’entortille, se plie et se déplie, dévale et dérape : cet homme est un toon! La mise en scène de Jérôme Deschamps est réglée au cordeau. Pas un temps mort, des comédiens rivalisant de facéties, entre un Stéphane Varupenne parfait  (Bois d’Enghein), un irrésistible Serge Bagdassarian (Fontanet), un Thierry Hancisse haut en couleur (le Colonel) et un Guillaume Gallienne une fois de plus époustouflant en Miss Betting. Sans oublier les rôles féminins : Coraly Zahonero et Florence Viala se partagent celui de Lucette au rythme de l’alternance – pour un peu, on irait voir deux fois le spectacle! Une chose est sûre : Eric Ruf ne s’est pas trompé, qui a décidé de programmer pour la sixième fois cet incontournable vaudeville…

Pendant ce temps-là, Rive Gauche, sur la scène du Vieux-Colombier, ne manquez pas l’occasion de découvrir une autre pièce du même auteur. Avec une mise en scène subtile et euphorisante, Zabou Breitman confirme son formidable talent. Sa première bonne idée : avoir confié le décor au regretté Jean-Marc Stehlé. Décor que l’on ne dévoilera pas, pour ménager l’effet… Les bonnes idées et les surprises s’enchaînent tout au long de ce spectacle. Tellement bon pour les zygomatiques! Comme souvent à la Comédie-Française, la nouvelle distribution modifie sans doute le spectacle mais le résultat est tout aussi pétillant. Jérémy Lopez remplace Laurent Stocker et Anna Cervinka succède à Julie Sicard. Ils incarnent respectivement le meilleur ami et l’épouse du fameux Ribadier qui n’est autre que le truculent Laurent Lafitte.

Alors, un fil à la patte ou le système Ribadier? Franchement, il serait trop dommage de devoir choisir entre un excellent Feydeau repris Salle Richelieu et un excellent Feydeau repris au Vieux-Colombier : vous avez jusqu’à fin juillet pour jouer le jeu de “l’alternance”!

 

ELECTRONIC KIT PRESS

Reprise de Lucrèce Borgia à la Comédie-Française : à voir absolument!

Lucrèce Borgia

Spectacle vu le 14 avril 2015
Jusqu’au 19 juillet Salle Richelieu de la Comédie-Française
Mise en scène : Denis Podalydès

© Christophe Raynaud de Lage

Si l’on accepte la démesure et l’excès contenus dans le texte de Victor Hugo, on se laisse totalement embarquer dans la tragédie incestueuse qu’il nous conte…

Le décor est magnifique, magique : il nous transporte à Venise en l’espace de dix secondes.
L’ambiance est pesante, dès le début de la pièce. On pressent les crimes qui vont se succéder. On imagine déjà les trahisons, les larmes, les poignards, le poison, le sang, la vengeance. Et puis très vite, elle est là. On a l’impression qu’elle flotte, qu’elle vole au-dessus de la mer. Comme sortie d’un songe. Lucrèce Borgia est Guillaume Gallienne. Guillaume Gallienne est Lucrèce. Tout simplement. Sans autre artifice que sa robe de bal signée Christian Lacroix, il/elle nous entraîne dans les sentiments les plus purs comme les plus monstrueux.

Lucrèce Borgia tremble d’amour pour Gennaro, jeune capitaine interprété par la talentueuse Suliane Brahim – même si le travestissement fonctionne beaucoup moins bien qu’avec Guillaume Gallienne. Le spectateur comprend dès le premier acte qu’il s’agit d’un amour maternel. Car Gennaro est le fils incestueux de Lucrèce et de son frère Jean. Lequel Jean Borgia vient d’être assassiné par son autre frère César parce qu’ils étaient amoureux de la même femme. Cette femme n’étant autre que Lucrèce…

Lucrèce aime donc Gennaro comme une mère aime son enfant. Mais si nous, spectateurs, comprenons l’allusion à cet amour filial, son mari, le Duc Alphonse d’Este, terriblement jaloux, voit en Gennaro un amant de sa femme. Un de plus, un de trop qu’il décide de faire tuer. La scène entre Guillaume Gallienne / Lucrèce et Thierry Hancisse / Don Alphonse est d’anthologie. Lucrèce tente tout ce qui est en son pouvoir pour sauver son fils de la mort, mais  son mari la force à empoisonner elle-même Gennaro. La tragédie classique n’est pas très loin…

Dans sa note d’intention, Denis Podalydès évoque les écrits d’Antoine Vitez à l’attention de ses acteurs qui créèrent la pièce à Avignon en 1985 : “N’ayez jamais peur d’en faire trop”. On assiste effectivement à un théâtre tout en exagération, en excès, en sublime.

Si vous acceptez ce principe de départ que la pièce de Hugo est un drame romantique, avec tout ce que cela peut impliquer d’excessif, voire de “grotesque”, vous serez sans doute conquis :

1 – Vous découvrirez une Lucrèce Borgia emprisonnée dans le corps d’homme d’un Guillaume Gallienne une fois de plus époustouflant.
2 – Vous saluerez en Denis Podalydès un metteur en scène qui a le sens du sublime et de la délicatesse.
3 – Vous ressortirez de la salle comme d’un voyage dans le temps, dans l’espace, dans l’ignoble et le sublime.

ELECTRONIC KIT PRESS

 

 

 

 

 

 

Oblomov

Grande leçon d’oblomovisme

Vu le 22 janvier 2014
Comédie Française – Vieux Colombier
Mise en scène : Volodia Serre

 

 

“Quand l’oblomovisme, ou l’art de rester au lit touche un Guillaume Gallienne toujours plus talentueux”

Connaissez-vous l’oblomovisme ?… Moi je ne connaissais pas avant de découvrir la pièce au Théâtre du Vieux Colombier.
Figurez-vous que ce terme est entré dans le dictionnaire russe à la sortie du roman de Gontcharev. “Oblomovisme” (en russe oбломовщина) ou encore oblomoverie : mélange d’apathie, de léthargie, d’inertie, d’engourdissement, de rêverie inactive, qui se manifeste dans l’horreur du travail et de la prise de décision, la procrastination.
On pourrait dire aussi : capacité du héros Oblomov à rester en position allongée, ne trouvant le bonheur que dans le sommeil.

Les rares moments où Oblomov accepte de quitter son lit sont ceux qu’il passe auprès d’Olga, une cantatrice dont il tombe éperdument amoureux.
Mais cette idylle de dure guère : c’est lui qui décide d’y mettre fin en… retournant se coucher! Oblomov est le roman du renoncement : à quoi bon ? – le personnage principal est hanté par cette question.

A quoi bon ? C’est la question que se pose et que nous pose Guillaume Gallienne.
Exceptionnel, formidable, drôle, émouvant, ébouriffant, incroyable, inouï, fantastique, bouleversant… Guillaume Gallienne ne quitte pas la scène, il nous embarque trois heures durant.

Ses partenaires sont à la hauteur, notamment Sébastien Pouderoux en Stolz, son ami d’enfance. Stolz est tout le contraire d’Oblomov : il incarne l’énergie et l’esprit d’initiative. Il tente vainement de démontrer à son ami que la vie vaut la peine d’être vécue. Il use de tous les stratagèmes possibles pour le sortir de son lit. C’est lui qui lui présente Olga. Peine perdue…Oblomov retourne se coucher, car « à quoi bon » ?

3 raisons d’espérer une reprise d’Oblomov au Français la saison prochaine :

1 – Parce que ce roman de Gontcharev porté à la scène est un monument de la littérature russe.
2 – Parce que Guillaume Gallienne que vous croyez connaître et aimer, vous allez le redécouvrir et l’idolâtrer !
3 – Parce que l’oblomovisme, c’est tout de même un sacré truc !