Créole Power
“Il faut chérir les langues, car avec toute langue qui disparaît s’efface à jamais une part d’imaginaire humain.”
Cette mise en garde d’Edouard Glissant résume bien le propos du spectacle conçu par Margaux Eskenazi. Elle-même petite-fille de juifs pieds-noirs et d’immigrés turcs décrit son français comme “troué, contaminé, métissé, créolisé”. Vaste sujet que celui de vouloir illustrer, en quelque sorte, la créolisation telle que la définissait Edouard Glissant : “La créolisation, c’est un métissage d’arts ou de langages qui produit de l’inattendu (…) La créolisation, c’est le métissage avec une valeur ajoutée qui est l’imprévisibilité.”
Vaste sujet, donc, que la jeune metteure en scène n’a pas eu peur de prendre à bras le corps, s’appuyant sur des textes d’Edouard Glissant, précisément, mais aussi de Léopold Sedar Senghor, Léon-Gontran Damas, Patrick Chamoiseau et Aimé Césaire. La vie du célèbre poète martiniquais est d’ailleurs le point de départ et le fil conducteur du spectacle. De son enfance à Basse-Pointe à son entrée au prestigieux lycée parisien Louis-le-Grand, de sa rencontre avec Senghor à sa grande amitié avec Damas, ses apparitions en mode interview jalonnent la pièce.
@ Loic Nys
“Voici comment est née la négritude : en réponse à une provocation.”
Mais le projet va bien au-delà d’une simple biographie d’Aimé Césaire. Les cinq comédiens, tous formidables de justesse et d’énergie, nous font voyager du Chicago des années 1830 à l’Exposition coloniale parisienne de 1931 en passant par un plateau de télévision. Cet intermède au cours duquel une présentatrice exaltée (irrésistible Eva Rami) anime un débat entre le trio Césaire/Senghor/Damas et un autre trio d’intellectuels (André Breton, Jean-Paul Sartre, Robert Desnos) déclenche l’hilarité générale.
“L’Europe se créolise.”
On rit beaucoup, mais on réfléchit, surtout… Et l’on entend la langue si poétique de ces auteurs trop peu souvent mis en lumière.
Une langue encore plus émouvante lorsqu’elle est accompagnée par des morceaux de musique interprétés en live – mention spéciale à Raphaël Naasz et à ses solos de saxo.
À la fin du spectacle, les comédiens égrennent des dates, et l’on prend conscience, soudain, de la vitesse à laquelle les langues ont franchi les frontières. Le message de Margaux Eskenazi est fort et salutaire : aujourd’hui, en 2017, on a tous en nous une part de créolisation…
NOUS SOMMES DE CEUX QUI DISENT NON A L’OMBRE
À l’affiche de LA LOGE du 21 au 31 mars 2017
D’après les textes de : Aimé Césaire, Léon-Gontran Damas, Léopold Sédar Senior, Langston Hugues, Louis Aragon, Patrick Chamoiseau, Edouard Glissant, Michèle Lalonde, Léonora Miano, Alice Carré et Margaux Eskenazi
Mise en scène : Margaux Eskenazi
Avec : Armelle Abibou, Yannick Morzelle, Raphaël Naasz, Christophe Ntakabanyura, Eva Rami