La Pluie d’été

Il y a des soirs comme ça où on se fait cueillir délicatement par l’émotion d’un spectacle inattendu qui vous attire là, par une sorte de hasard magnétique. Ernesto a entre douze et vingt ans. « Il ne retournera pas à l’école parce qu’à l’école on lui apprend des choses qu’il ne sait pas… et qui ne valent pas la peine. » Le conte de Marguerite Duras écrit en trois étapes, une histoire pour enfants, un film et un roman, résonne comme une œuvre testamentaire.

La Pluie d'été, d'après Marguerite Duras, Compagnie Pavillon 33@Flore Prebay

Au théâtre, « la créativité ne peut naître que dans le calme et la confiance » confie Peter Brook. Sylvain Gaudu a peut-être entendu ses conseils pour réussir avec « La pluie d’été » une mise en scène et une direction d’acteurs toute en complicité et en sensibilité. Son regard sur l’œuvre de Marguerite Duras respire la passion. Le petit coup de baguette magique de la compagnie Pavillon 33 donne naissance à des poupées russes bienveillantes, se vivifiant du regard de l’autre et se donnant la main pour mieux veiller les unes sur les autres. Je ne sais pas pourquoi, mais ce soir-là sur scène, j’ai vu la silhouette réjouissante de Forrest Gump, j’ai vu l’esthétisme brut d’une scénographie qui m’a rappelé celle de Julie Deliquet et de son inoubliable « Vania ».

La Pluie d'été, d'après Marguerite Duras, Compagnie Pavillon 33, coup de coeur Pianopanier

J’ai aussi aperçu l’ombre de Nietzsche planer au-dessus du plateau. Lui et Ernesto doivent bien se comprendre. La quête de Dieu étant inutile, puisqu’elle entrave toute remise en question et empêche de regarder ailleurs, il ne reste plus qu’à se détourner de l’imposture imposée par l’humanité et à danser dans le miracle de l’instant. Danser et chanter dans le miracle de l’instant pour vitaliser sa réalité, se laisser porter par la magie d’un « A la claire fontaine » cristallin qui se glisse sous notre épiderme de spectateur frissonnant et conquis. L’interprétation des six acteurs est simple, troublante d’authenticité et d’émotion. Leur complicité est belle à regarder. Ils se sont bien trouvés. On comprend pourquoi le jury du 8ème festival de Nanterre leur a décerné son Grand Prix en 2017.

Jean-Philippe Renaud

 

LA PLUIE D’ETE de la Compagnie Le Pavillon 33
D’après Marguerite Duras
Mise en scène : Sylvain Gaudu
Avec Simon Copin, Antoine Gautier, Morgane Hélie, Pierre Ophele Bonicel, Anne-Céline Trambouze, Jérémy Vliegen

 

Emportés par la Tempête !

Quelle merveilleuse surprise ! Alors que la critique « autorisée » se déchaîne contre La Tempête mise en scène par Robert Carsen, le public semble hypnotisé par la troupe de la Comédie Française. Il faut dire que tout est beau dans ce spectacle, n’en déplaise à ceux qui s’auto-décernent des certificats de shakespearisme. Oui tout est beau, à commencer par le décor, une immense boite blanche figurant une sorte de néant, qui s’anime au gré de projections sublimes en noir et blanc, et d’ombres et lumières mystérieuses. C’est un écrin d’une pureté diaphane qui accueille un texte où tout est poésie et émotion. La traduction de Jean-Claude Carrière est ciselée, riche, bouleversante et drôle à la fois, comme doit l’être certainement le texte original de la dernière pièce de Shakespeare, qui raconte comment un homme abandonné et trahi de tous, mais doté de pouvoirs magiques, provoque un chaos qui va transformer l’ordre des choses.

La Tempête, William Shakespeare, Comédie-Française, Robert Carsen, coup de coeur Pianopanier@Christophe Raynaud de Lage

La machine Shakespearienne nous emporte dans cette tempête qui va charrier des amoureux magnifiques, des rois et des princes cruels, des ivrognes désopilants et des esprits démoniaques. Mais ce qui saisit le plus dans cette mise en scène brillante, c’est la part belle laissée aux comédiens français. On sait bien que ce sont tous de grands acteurs, mais dans ce spectacle ils sont tout simplement époustouflants, et ils portent le texte de Shakespeare au plus haut, avec une finesse et une grâce infinies. Après deux heures quarante qui passent à la vitesse du vent, le public fait un triomphe à cette troupe d’excellence dont l’engagement est total, et on peut lire sur le visage de ces artistes prodigieux le bonheur qu’ils ont eu à nous servir le texte mythique du grand Shakespeare.

Timothée de Roux

La Tempête, William Shakespeare, Comédie-Française, Robert Carsen, coup de coeur Pianopanier

À l’affiche de La Comédie-Française – Salle Richelieu du 9 décembre 2017 au 21 mai 2018
Une pièce de William Shakespeare
Texte français : Jean-Claude Carrière
Mise en scène : Robert Carsen
Avec : Thierry Hancisse, Jérôme Pouly, Michel Vuillermoz, Loïc Corbery, Serge Bagdassarian, Hervé Pierre, Gilles David, Stéphane Varupenne, Georgia Scalliet, Christophe Montenez et Benjamin Lavernhe

Orphée et Eurydice à bicyclette, la folle épopée de deux rêveurs

« Il ne faut pas croire exagérément au bonheur » Jean Anouilh, Eurydice. C’est peut-être ce qui a perdu Orphée en contemplant trop tôt son bonheur sur le chemin du retour des enfers.

La compagnie des Epis Noirs aime se confronter aux mythes. Cette fois-ci, Pierre Lericq revisite avec fantaisie et humour ce grand classique de la mythologie au travers de Bernard et Jeannine, deux artistes qui réinventent cette traversée des enfers. Cet intense périple se fait à vélo, en chansons, guitare à la main ou accordéon dans les bras. La course est sportive, les acteurs y sont débordant d’énergie et jonglent sur les mots qu’ils se lancent tantôt à la volée, tantôt par ricochet.

Saurez-vous vous laisser conquérir par le pouvoir de la poésie et du chant fantaisiste de Bernard et Jeannine ? Vous avez jusqu’au 10 février pour aller tenter l’aventure au théâtre du Lucernaire. A vos risques et périls, un voyage ne laisse que rarement indifférent.

Moralité : regarder devant, se réinventer, imaginer, courir souvent, aimer toujours et être joyeux, très joyeux.

Anne-Céline Trambouze

ORPHÉE ET EURYDICE À BICYCLETTE à redécouvrir sous son nouveau nom : Sauver le monde ! ou les apparences…
Au Théâtre Buffon du 6 au 29 juillet 2018 à 18h10
Mise en scène Manon Andersen
Avec Marie Réache et Pierre Lericq
crédit photo: Micky Clément

 Night and Day : pailleté et étincelant

Dorothy Parker était une femme de lettres, nouvelliste, poétesse et scénariste des plus grands (Hitchcock, Preminger) qui mena à New-York, pendant les années folles, une vie dissolue dans l’alcool, de soirées mondaines en corbeilles de théâtre. Elle écrivit des critiques théâtrales mordantes et jubilatoires. Elle fut sympathisante communiste et se retrouva sur la liste noire sous McCarthy puis fut oubliée.

Gaëlle Lebert s’en est emparée pour créer un spectacle contemporain fait de scènes fragmentaires côtoyant envoûtante musique originale de Jeff Cohen mêlée à des standards, de Count Basie à Jean-Sébastien Bach, pour composer une ambiance de nuits new-yorkaises ou tout simplement de nuits citadines.

Il s’agit de « Night and Day » même si le jour n’apparait qu’en filigrane pour mieux montrer la nuit. Sur ce spectacle règne la nuit et ses vies délurées. L’univers dans lequel les personnages évoluent est celui de la nuit avec son atemporalité, ses trous de mémoire, sa folie et ses scènes de ménage.

C’est un récit de l’ellipse, à la chronologie incertaine, qui met en exergue les relations personnelles de Dorothy Parker, un récit parcellaire et fragmentaire, comme le serait l’esprit de Dorothy, où chaque personnage passe toujours à côté de son désir.

Côté jardin, on a un piano, avec Jeff Cohen et sa musique originale, déguisé en femme et maquillé à outrance, tantôt pianiste, tantôt barman, qui chante Dorothy Parker et ponctue les scènes que Dorothy Parker alias Gaëlle Lebert nous donne à voir.

Côté cour, on a un bar qui, comme les alcools qu’il accueille, Champagne et Whiskys, est un des personnages principaux de l’histoire que nous raconte Gaëlle Lebert, avec également la cigarette. Elle dira « Je ne suis pas un écrivain avec un problème d’alcool, je suis une alcoolique avec un problème d’écriture ».

A l’arrière-scène dresse un écran comme une porte géante, comme un paravent derrière lequel disparaît et réapparait Dorothy, avec ses apparats de nuit, ses robes étincelantes et pailletées. Sur cet écran seront diffusées des phrases tirées des œuvres de Dorothy Parker égrenant la pulsation de ses états d’âme.

On comprend peu à peu les liens qui unissent les personnages : Dorothy et son futur mari, Dorothy et un écrivain célèbre qui deviendra son second mari et qui reste pendant toute la pièce comme un homme idéal qu’elle voudrait atteindre, elle voudrait qui l’emporte ailleurs devisant avec lui « Je peux vous poser une question indiscrète ? » leitmotiv qui les unit, Dorothy et ses hommes de la nuit, tous joués par Gwendal Anglade, le charmeur.

A travers la nuit, des thèmes sont abordés : la fête, la création, le racisme, le féminisme, le communisme, à une époque où il ne faisait pas bon s’y acoquiner, qui montrent tantôt une Dorothy simple et écervelée, tantôt une penseuse désabusée, tantôt une midinette rêvant que sa vie change, toujours à la recherche désespérée de l’amour, but ultime inatteignable. Dorothy est définitivement anticonformiste et libre, libre surtout quand elle est simple et candide.

Gaëlle Lebert a beaucoup de dérision et d’ironie envers son personnage et elle nous communique beaucoup de ses failles, passant du rire aux larmes en un instant, d’un chant à une danse, à une nuit qui n’en finirait pas, malmenée comme une poupée de chiffon. Gaëlle Lebert et Dorothy Parker font, à bien des égards pendant ces 1h30 de spectacle, une seule et même femme, une seule et même voix, qui revendique dans l’enchevêtrement des paroles et des musiques.

On assiste parfois à des parodies dans lesquelles Gaëlle Lebert entraine son personnage comme l’« Happy birthday » chanté par Marilyn Monroe, où ces clins d’œil nous amusent et parlent au plus grand nombre.

De manière général, ce qui nous fait rire, ce n’est pas ce qui est raconté, qui serait plutôt terrible et désespéré, non, ce qui nous fait rire, ce sont les trouvailles de mise en scène : des chaussures sorties d’un frigo, le pianiste déguisé en femme fatale, des répliques pleines de candeur.

On a l’impression qu’à chaque instant Aïon et Kaïros se donnent la main pour accompagner Dorothy, jusqu’à la scène finale où elle trouve enfin un autre homme qui semble davantage la considérer que tous les hommes qu’elle a rencontrés jusqu’ici, et ainsi la pièce, car il s’agit bel et bien d’une pièce de théâtre, se termine sur une note d’espoir.

Un spectacle hors du commun, où tout est pensé, où tout est rodé et huilé, comme dans une comédie musicale américaine, pour mieux montrer le chaos en puissance, un spectacle singulier, qui nous emporte dans une autre époque et peut-être bien la nôtre aussi, avec une personnalité rocambolesque : Dorothy Parker.

Night and Day
ou Les tribulations nocturnes de jeunes gens pleins d’esprit

D’après les nouvelles de Dorothy Parker,
musique originale Jeff Cohen
Adaptation et mise en scène Gaëlle Lebert
avec Jeff Cohen, Gwendal Anglade, Gaëlle Lebert
collaboration artistique et assistanat Rama Grinberg
scénographie Blandine Vieillot
Lumière Bruno Brinas
Création vidéo: Jean-Christophe Aubert
Image Yuta Arima
Son Jean-Louis Bardeau
Costumes Pauline Gallot

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=LQcASNRGGXE]

Saigon : larmes d’exil

La première sensation lorsque le rideau dévoile le prodigieux décor imaginé par Caroline Guiela Nguyen, c’est un mélange de respect, d’admiration, presque d’engouement. On est directement projeté dans ce restaurant vietnamien du 12ème arrondissement parisien, cadre unique de toutes les histoires qui s’enchevêtreront au fil du spectacle. L’un de ces restaurants typiques, reconnaissables, un brin kitsch, fleurs en papier aux couleurs vives et mobilier en métal. Ce type d’établissements qui semblent intemporels, à tel point que rien ne parait moins étonnant que de voir ce même décor traverser 40 années et plusieurs continents au cours du spectacle.

40 ans qui séparent le Saigon de 1956 du Paris de 1996. 40 ans d’histoires sur fond d’Histoire. Des histoires d’amour, de séparations. Des histoires emplies de larmes… Avec en toile de fond la guerre du Vietnam, l’indépendance de l’Indochine, l’exil, le retour au pays, le manque de sa patrie…

Saigon, de Caroline Guiela Nguyen, Les Hommes Approximatifs, Odéon Théâtre de l'Europe, coup de coeur Pianopanier@Jean-Louis Fernandez 

“ Vous étiez au bord des larmes, vous avez parlé pendant 40 minutes, vous parliez de quoi ?“

En fond sonore, la voix off de Lam (Thi Thanh Thu Tô) qui n’est pas sans rappeler le ton de la narratrice du Cendrillon de Joël Pommerat nous rappelle ce contexte particulier de 1996 : la fin de l’embargo sur le Vietnam autorise le retour des Viet-kieus (Vietnamiens d’outre-mer) au pays. Cette question du retour, du départ, des adieux et retrouvailles est le fil conducteur du spectacle.  Nous sommes dans le restaurant parisien de Marie-Antoinette (poignante Anh Tran Nghia), qui a émigré à Paris en 1956. Ce restaurant qui est donc la copie conforme de celui qu’elle tenait à Saigon en 1956 est le lieu de rencontre de plusieurs personnages. Il ya  Hao (troublant Hoàng Son Lê) et sa fiancée Mai, qui le quittera parce qu’il chante pour les Français. Et puis Linh (la déchirante Phu Hau Nguyen), qui s’apprête à partir pour la France avec un soldat dont elle est tombée amoureuse (excellent Dan Artus) mais qui angoisse de quitter les siens. On retrouvera tout ce petit monde à Paris en 1956. Puis, au même endroit, 40 ans plus tard : Linh et son fils qui la presse de s’envoler vers le Vietnam sur les traces de son passé, et le vieux Hao (très émouvant Hiep Tran Nghia) qui le fera, lui le voyage, et ne comprendra plus la langue parlée par les jeunes Vietnamiens.

Saigon, de Caroline Guiela Nguyen, Les Hommes Approximatifs, Odéon Théâtre de l'Europe, coup de coeur Pianopanier

“Saïgon ne concerne pas les Vietnamiens, ni même les Français qui seraient partis en Indochine, elle concerne notre mémoire collective et s’est déposée dans le rhizome de nos affects et de nos imaginaires. Saïgon appartient à tous. » – Caroline Guiela NGyuen

C’est bien de langue qu’il est question aussi, et c’est la langue qui ajoute tant de beauté au spectacle. Onze acteurs sur le plateau, des Vietnamiens, des Français, des professionnels, des amateurs qui parlent français et vietnamien.
Certaines scènes semblent tout droit sorties d’un film de Wong Kar Waï, dans leur lenteur, leur infinie délicatesse, leur majesté quasi hypnotique.
On comprend le succès immédiat que recueillit Saigon au dernier Festival d’Avignon. Car au travers de ces destins croisés, Caroline Guiela Nguyen nous parle d’exil, d’amour, de nostalgie, de douleur… Saigon appartient à tous, Saigon est le réceptacle de nos larmes d’exil…

-Sabine Aznar-

À l’affiche de L’Odéon-Théâtre de l’Europe – Berthier du 12 janvier au 18 février 2018 (mardi au samedi 19h30, dimanche 15h)
Texte et mise en scène : Caroline Guiela Nguyen – Les Hommes Approximatifs
Avec : Caroline Arrouas, Dan Artus, Adeline Guillot, Thi Truc Ly Huynh, Hoàng Son Lê, Phú Hau Nguyen, My Chau Nguyen Thi, Pierric Plathier, Thi Thanh Thu Tô, Anh Tran Nghia, Hiep Tran Nghia

Olivier Marchal en olibrius

Alors voilà, entrer au Déjazet, seul théâtre rescapé du « boulevard du crime », c’est tout un programme. Des couloirs, des escaliers dans tous les sens, des tapis rouges, des parquets qui grincent, des portes capitonnées, une très belle salle avec balcons et corbeille et des fresques au plafond et aux murs d’Honoré Daumier. Déjà, on se sent ailleurs, dans un monde à part, celui du théâtre où se produisirent ici tant Mozart que Coluche.

Ensuite, aller voir « Nénesse », c’est une aventure. Nénesse (Olivier Marchal), c’est un type paumé qui se croit dur et qui passe ses journées à picoler et à construire des discours xénophobes. Nénesse est « un mec de culture populaire », qui défend sa race, qui croit au clan, au jambon-beurre, au pinard et aux jeux à gratter dans lesquels il dépense le peu d’argent qu’il n’a pas laissé à des prostituées.

Nenesse, d'Aziz Chouaki mise en scène Jean-Louis Martinelli au théâtre Déjazet, critique Pianopanier

Seulement voilà, Nénesse a fait deux AVC ces douze derniers mois. Il a beau être entretenu par sa femme Gina (Christine Citti) qui s’éreinte à faire des ménages et qui a été élue « Meilleure travailleuse de sa région », l’argent manque à la maison, d’autant qu’il refuse de faire valoir ses droits et d’aller chercher ses allocations. Parce que Nénesse ne veut rien devoir à personne, il ne veut pas « faire de la lèche ». Lui vient alors une idée : sous-louer une pièce de son appartement – une espèce de bunker sans fenêtres ni toilettes ni aération – à des sans-papiers. Y vivent Aurélien (Geoffroy Thiebaut), un Français de deuxième génération, d’origine russe, lettré, cultivé, qui a perdu sa nationalité française en l’absence d’un papier indispensable ; et Goran (Hammou Graïa), un Syrien, quasi analphabète, qui s’exprime sans utiliser d’articles devant les noms communs. Musulman comme dans les fables, rêvant du paradis et des 72 vierges qui l’y attendent, Goran a connu DAESH : il y a été entraineur pendant un moment, jusqu’à être dégoûté par l’exploitation des « jeunes vierges, blondes, yeux verts, 15 ans et tout » prostituées jusqu’à l’épuisement à 1€ la passe.

Nenesse, d'Aziz Chouaki mise en scène Jean-Louis Martinelli au théâtre Déjazet, critique Pianopanier

Tout ce petit monde cohabite, avec des heures de sorties pour Aurélien et Goran, qui peuvent jouir des toilettes et d’un peu plus d’espace. Nénesse projette de placer d’autres sans-papiers dans son bunker pour améliorer ses gains, atteindre 5000€ par mois, pour enfin dépenser autant qu’il le veut dans ses jeux à gratter.

L’auteur, Aziz Chouaki, au parcours déjà éblouissant, dresse ici les portraits pathétiques et décalés, dans une langue gouailleuse, où se télescope la syntaxe. Il nous fait rire parfois, mais d’un rire jaune. On rit davantage de la virtuosité de la langue et des situations exagérées que d’un vrai rire franc. Car ici on aurait plutôt affaire à un drame qui nous montre la bêtise dans toute sa splendeur et dans tout son débraillé de langue comme d’allure. On ne vous raconte pas la fin qui surprend et vous glacera.

Nenesse, d'Aziz Chouaki mise en scène Jean-Louis Martinelli au théâtre Déjazet, critique Pianopanier

Olivier Marchal interprète Nénesse avec la force de sa nature qui le caractérise. Tout en nuances de jeu, passant de l’extrême violence à la douceur du petit enfant, il hurle, il nous emporte dans sa folie. Même si l’on s’attache à lui par bien des côtés, on manque un peu d’empathie pour ce personnage odieux. On pourra se demander si les personnages d’Aurélien et de Goran, qui ne sont que faire valoir au discours de Nénesse, n’auraient pas pu être évoqués plutôt qu’incarnés, car celui qui tient le pavé et qui ne le lâche pas, c’est bien Nénesse. Gina, plantureuse et malmenée, n’a pourtant rien d’une femme soumise. Elle se rebelle, elle se révolte, mais restera jusqu’au bout avec cet olibrius de Nénesse… par amour ou pour des raisons plus obscures. Une mise en scène et un décor qui pourraient rappeler le classique des vaudevilles, des pièces de boulevards (et on y est !), avec un fauteuil roulant en guest star et une musique de fond perpétuelle comme dans les westerns. Une pièce qui fait la part belle aux personnages et au texte, où l’on pourra regretter la faiblesse de l’intrigue, il n’y a pas vraiment d’histoire, l’auteur nous livre plutôt une succession de monologues qui font mouche.

À voir, dans l’air du temps…

Nenesse, d'Aziz Chouaki mise en scène Jean-Louis Martinelli au théâtre Déjazet, critique Pianopanier

À l’affiche du Théâtre Déjazet du 9 janvier au 3 mars 2018 (mardi au samedi 20h30, samedi 16h)
Texte : Aziz Chouaki
Mise en scène : Jean-Louis Martinelli
Avec : Christine Citti, Olivier Marchal, Hammou Graia et Geoffroy Thibaut

Actrice : pour l’amour de l’art

Une marée de fleurs couvre le sol, du mur du fond jusques aux pieds des premiers rangs de spectateurs. Roses pompons, pivoines, pavots, glaïeuls majestueux, le regard s’y perd, y déniche petit à petit du mobilier enfoui, tables, consoles, déambulateur, piano, s’arrête un instant sur un couple de vieillards assoupis sur une banquette… le regard erre, revient au cœur de cette marée, l’îlot du lit d’hôpital, où Marina Hands / Eugenia, l’actrice, est allongée, endormie, cheveux épars… le regard repart, virevolte, ondule entre les bouquets, s’égare et revient encore à ce lit. L’image est d’un grand lyrisme, et d’une grande simplicité.
Les lumières baissent, et c’est dans l’obscurité que surgissent les premiers mots. Le noir se fait, et le silence. Du lit qu’on ne voit plus mais dont on se souvient monte un « maman » de petite fille apeurée, qui d’appels à l’aide en délires oniriques, d’imprécations en longues plaintes douloureuses, se métamorphosera en une voix de femme qui a vécu et qui va mourir.

« une actrice c’est un imaginaire dans un corps
qui restitue la condition humaine
»
Igor

ACTRICE Pascal Rambert Théâtre des Bouffes du Nord@ Jean-Louis Fernandez

Dans sa note d’intention, Pascal Rambert dit « aimer écrire pour les actrices » : « c’est peut-être ça mon travail : donner du travail aux actrices. Leur donner de grands rôles ». De cela, on lui saura gré. Marina Hands et Audrey Bonnet incarnent toutes deux avec un talent rare cet « imaginaire dans un corps qui restitue la condition humaine » qu’Igor aimait découvrir dans la démarche d’Eugénia encore toute jeune comédienne. Comme lui, devant une telle qualité d’interprétation, « on crie bravo à ces êtres les acteurs qui nous disent regardez-vous vivre ». Elles sont magistrales. Marina Hands, la cadette – l’actrice, dans un don d’elle-même qui n’enlève rien à sa précision, en perpétuelle invention de son personnage, faisant naître sur son visage, dans sa voix, sur son corps, les mille sensations et sentiments de ce temps intense et sans appel que l’on sait être le dernier. Audrey Bonnet, l’aînée – l’entrepreneuse, une sèche tempête, la voix basse presque sourde, donne à cette femme dont le mari dit qu’il « faut accepter sa dureté comme une arme pour survivre » à la fois cette dureté, et la nécessité vitale qu’elle en a eu.

« nous ne venons pas voir de belles histoires de beaux costumes de beaux décors
mais la condition humaine
nous sommes avides du spectacle de la condition humaine
nous sommes des fauves qui aimons regarder d’autres fauves dépecer une proie qui s’appelle la vie
»
Serguei, le metteur en scène

ACTRICE Pascal Rambert Théâtre des Bouffes du Nord

C’est le chemin de cette femme vers la mort, et c’est aussi celui de toute sa famille, de sang et de cœur, qui va se dérouler là. Autour de ce lit, comme les flots se brisent sur un rocher au milieu d’une rivière, vont se briser les flots d’amour et de peine de chacun. C’est le tourbillon des aimés et des aimants ; c’est l’heure des comptes et des déclarations, et tout cet amour, celui des anciens ou celui des enfants, celui du mari ou celui de l’ancien amant, s’affole de la mort, se déverse parfois avec tendresse, mais souvent avec une violence, une rage à la hauteur de sa puissance.

Ç’aurait pu être le lancinant et virtuose monologue de l’actrice ; ç’aurait pu être le duo dense, tendu, tremblant, des deux sœurs. Pascal Rambert a préféré le fourmillement de la vie à la majesté du chant de mort, rassemblant en un bouquet foisonnant tous les êtres chers autour du lit de l’actrice.

Sur le plateau, il a privilégié la singularité des personnalités à l’homogénéité du jeu. Alors, on trouvera peut-être redondant le jeu archétypal de l’infirmier-ange de la mort, surlignant sans nécessité non seulement un texte très explicite mais aussi l’étrangeté du jeune comédien… Et certains regretteront les accents d’une grande partie de la distribution : pourtant, ce choix raconte le monde d’aujourd’hui, sa diversité, sa mobilité. Les familles qui se déplacent, qui fuient une guerre ou cherchent fortune, les enfants qui n’ont pas la même langue maternelle que leur mère.
Que c’est beau d’entendre et de voir des âges, des accents, des couleurs de peau différentes, de voir l’ivresse et la sagesse, les cris et les murmures, le langage qui coupe et celui qui répare, la joie et la douleur : c’est la vie dans sa multiplicité !

« la mort peut venir, je peux lui dire en face comme je le dirai à dieu
prends-moi
je peux mourir maintenant j’ai connu chaque soir, chaque soir de ma vie
l’amour terrestre
ah bon et quelle forme avait cet amour terrestre me demandera dieu
et je dirai
la forme de corps vivants dans le noir qui écoutaient ensemble un texte »
Eugénia

ACTRICE Pascal Rambert Théâtre des Bouffes du Nord

Le théâtre est dès le titre, alors le théâtre, ici, au milieu de la houle des sentiments, vogue, embarcation intranquille mais rassurante ; ça a été ce qui a mû l’Actrice pendant sa vie, et ce qui l’accompagnera au seuil de sa mort. Par la présence du metteur en scène, des comédiens amis mais aussi par le poids que sa vie de théâtre a eu dans la vie des siens, et par ce joli et délicat présent que tous vont lui faire, et que Rambert fait aux spectateurs, une bulle de fantaisie et de tendresse, La Conférence des fleurs, « pièce à la manière du théâtre allégorique », fantasque, gracieuse, émouvante comme un dessin d’enfant. Et c’est touchant d’être ensemble cette manifestation de l’amour terrestre, d’être « des corps vivants dans le noir qui écoutent ensemble un texte ».

Pascal Rambert nous parle de cette « tension entre le monde et nous, cette tension [qui] s’appelle la vie », et fouille les failles du cœur des hommes d’où s’écoulent les lacs de larme trop longtemps retenus. Le silence se fait à nouveau, miroir du silence dans lequel a surgi le premier mot. Après le dernier mot, la dernière image est d’une théâtralité idéale, un hommage à l’art du spectacle, autant qu’un condensé de toutes ces batailles menées, tous ces liens malmenés, tout cet amour échangé.

« un acteur qu’est-ce que c’est ?
un acteur c’est un désir de spectateur
voilà tout
regarde autour de toi
toutes ces fleurs
c’est quoi
c’est du désir
du désir pour toi
ça dit reste avec nous
ça dit ne pars pas
ça dit lorsque tu joues tu nous consoles de tout ce qui nous blesse nous humilie nous tue nous offense
l’art du théâtre est fait pour ça
pour réparer l’offense
pour être sauvés
en jouant tu auras sauvé des vies
»
Sergueï

 

ACTRICE Pascal Rambert Théâtre des Bouffes du Nord

ACTRICE  – de Pascal Rambert
Mise en scène : Pascal Rambert
Avec : Marina Hands, Audrey Bonnet, Ruth Nüesch, Emmanuel Cuchet, Jakob Öhrman, Elmer Bäck, Yuming Hey, Luc Bataïni, Jean Guizerix, Rasmüs Slätis, Sifan Shao, Laetitia Somé, Hayat Hamnawa, Lyna Khoudri, et en alternance, Anas Abidar, Nathan Aznar et Samuel Kircher
du 12 au 30 DECEMBRE 2017 Théâtre des Bouffes du Nord puis en tournée

@ Jean-Louis Fernandez

 

« Claquettes Jazz » au studio Hébertot

Quel est l’instrument du claquettiste, quelles chaussures, quelles chaussettes lui faut-il? C’est ce que l’on apprend en allant voir le spectacle de Fabien Ruiz claquettiste de renommée internationale, chorégraphe et coach du film aux 5 Oscars  » The artist ».

Pendant une heure pour notre plus grande joie, il nous explique tout en donnant un spectacle éclatant, les rudiments des claquettes, ses origines, et nous parle également de Fred Astaire et de la sœur de ce danseur hors pair.

Avec son complice le pianiste Michel Van Den Ersch, il nous démontre en rythme avec la musique de jazz, son talent, faisant claquer ses pieds sur le sol, soit avec énergie et vivacité, soit au contraire de manière plus douce. Sa prestation est variée, et il fait appel à son côté créatif.

L’humour et la joie de vivre résonnent sur scène, et il existe un vrai plaisir à le voir évoluer et improviser. C’est frais, enivrant, et l’on ne voit pas le temps passer…

Agnès Figueras

CLAQUETTES JAZZ  – de Fabien Ruiz
Mise en scène : Fabien Ruiz
Avec : Fabien Ruiz (claquettes) et Michel Van Der Esch (piano)
du 21 novembre 2017 au 28 janvier 2018 au Studio Hebertot 

Ici, plus de règles… que du jeu !

Robert donne une soirée pour des centaines d’invités dans son somptueux manoir parisien, en l’honneur de son ami André qui vient de réaliser un exploit héroïque en Méditerranée. Robert est aussi dandy arrogant que son ami est libre. André est amoureux de Christine, l’épouse de Robert, qui lui-même entretient une liaison avec Geneviève.

La fête est sans limite, presque décadente, on boit, on chante, on danse… Le film projeté au début du spectacle est tourné par Robert lui-même, il nous laisse croire que nous resterons de simples spectateurs, quand soudain… la fête surgit : elle est ici, salle Richelieu. Les invités, c’est nous ! Le drame est en embuscade, la tension s’installe et monte crescendo.

Envie de danser avec Suliane Brahim, de fondre devant Serge Bagdassarian, de boire un verre avec Jeremy Lopez, de faire un câlin à Jérôme Pouly ? Et que diriez-vous de reprendre en cœur avec vos voisins « Paroles, Paroles » de Dalida ou « For me -Formidable » d’Aznavour ?
Ici, c’est possible ; mais attention, avant d’accepter, sachez qu’il n’y a plus de règles, il n’y a que du jeu !
Ici, on bouscule les conventions… et les spectateurs !

La Règle du Jeu, Christiane Jatahy, Comédie-Française, Jean Renoir, Critique Pianopanier@ Christophe Raynaud de Lage

Le public est partagé entre enthousiasme et inquiétude. Il passe par toutes les émotions, il s’interroge, il rit, il chante. Certains voudraient se lever et monter sur scène, attrapant volontiers les verres et les mains tendus par les comédiens. D’autres restent figés, quasi consternés, se demandant à quelle sauce ils vont être mangés par ces acteurs virevoltants et débridés, en apparence sans limite. Que va-t-il se passer maintenant? Jusqu’où iront-ils ? Tout cela est-il écrit ou sont-ils en pleine improvisation ? Ambiance !

Ici, le théâtre se confronte au cinéma et réciproquement. Christiane Jatahy travaille beaucoup sur les rapports entre les deux arts ; ils s’y succèdent tout d’abord, puis se mélangent, provoquant le spectateur avec une audacieuse transition. Se pose aussi la question de nos propres rapports avec le théâtre, et de notre regard sur le réel et la fiction.

Ici, la caméra fait tomber plus vite le masque du mensonge. Les infidélités lovées au fond des alcôves, se découvrent par écran interposé en direct. Les cocus en prennent pour leur compte, l’huile est jetée sur le feu.

La Règle du Jeu, Christiane Jatahy, Comédie-Française, Jean Renoir, Critique Pianopanier

Ici, on regrette cependant que le scénario reste un peu trop sage par rapport à l’original. Le héros André Jurieux interprété par un Laurent Lafitte imposant, n’est plus le navigateur aérien de l’Atlantique de Renoir mais devient un marin qui sauve des migrants en Méditerranée. Le garde-chasse allemand se métamorphose en africain. Christine est d’origine arabe alors qu’elle était une autrichienne exilée…

Tous ces personnages se déchirent finalement, non pour des raisons politiques ou sociales, mais par orgueil… Ce qui se dessinait comme la promesse d’une joute intellectuelle, politique engagée, sur fond de relations amoureuses impossibles, cède finalement la politesse à la tragédie, atemporelle. Peu importe ce que les personnages feront, d’où ils viennent, qui ils sont… ils ne sont ici que pour servir cette tragédie.

C’est un peu dommage, car la caméra, malicieuse complice du théâtre, a également cette vertu de lui permettre de jouir de plus de complexité avec plus de vitesse.

La Règle du Jeu, Christiane Jatahy, Comédie-Française, Jean Renoir, Critique Pianopanier

Ici, la Comédie-Française sort une nouvelle fois de sa zone de confort, fait preuve d’audace, revisite avec brio sa propre modernité et nourrit le dialogue nécessaire avec la société d’aujourd’hui. Elle incarne pleinement le spectacle vivant, elle crée, elle prend sa part de risques, elle provoque les mélanges et les échanges artistiques…

Au risque de déplaire à ceux qui préfèrent souvent y voir autre chose par facilité et nostalgie, et qui enragent de se faire ainsi bousculer, le miroir tendu par ce théâtre-là nous renvoie une image de nous-mêmes.
Le changement rencontre toujours ses résistances, la nouveauté agace, mais le vent de liberté et de création qui souffle au Français est irrésistible et y pousse joyeusement ceux qui n’y viennent jamais, ceux qui pensent qu’il n’est pas pour eux.

Ici, le 4è mur n’a plus de mur que le nom, il est une offrande, un partage, une invitation, une claque, une caresse aussi… qui vient se poser sur ma bouche mais surtout sur mon cœur.

Merci Merci Merci.

Jean-Philippe Renaud

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=XHErBym7PI8]
LA REGLE DU JEU – de Jean Renoir
Mise en scène : Christiane Jatahy
Avec Elsa Lepoivre, Julie Sicard, Serge Bagdassarian, Bakary Sangaré, Suliane Brahim, Jérémy Lopez, Laurent Lafitte, Pauline Clément
du 20 OCTOBRE 2017 au 8 JANVIER 2018 à la Comédie-Française, Salle Richelieu

L’identité est un leurre

Première création au Théâtre de la Colline dont il reçut les clés en avril 2016. Premier grand, grand spectacle depuis sa trilogie qui le fit connaître au niveau international… Avec Tous des oiseaux, Wajdi Mouawad nous offre un récit épique digne des plus grandes tragédies. Tout part, comme souvent, d’une histoire d’amour toute simple, d’un coup de foudre, d’une rencontre façon big-bang. Pas si simple que cela cette idylle qui unit, dans le quartier du Bronx, le juif allemand Eitan à la jeune américaine d’origine arabe Wahida. Compliquée cette histoire qui rend fou de colère David, le père d’Entant. « Tu me forces à exclure quand je ne veux pas », assène David lors du repas de Pessah où tout éclate – « En quoi aimer sépare ? » lui rétorque Eitan.

La fureur du père, cette violence, cette rage, ce ressentiment : d’où viennent-ils ? Sans doute de bien plus loin que du conflit israëlo-palestinien qui est la toile de fond de cette saga shakespearienne. Au fil du récit-fleuve de Mouawad (4 heures qui passent à toute vitesse) on découvrira ce que David lui-même ignore de sa propre histoire…

Tous des oiseaux, texte et mise en scène Wajdi Mouawad, théâtre de la Colline, coup de coeur Pianopanier@Simon Gosselin 

“ L’identité ? facile. 46 chromosomes. L’amour, la jeunesse, les rêves ? 46 chromosomes !“

Car souvent, toujours dans les pièces de l’auteur libano-québecquois, il y a cette quête d’identité, totale. Comme une raison de vivre… Sans doute encore plus prégnante dans Tous des oiseaux qu’elle est liée aux différentes langues que sont les langues maternelles des personnages. Eitan et Wahida parlent anglais entre eux, Eitan parle allemand lorsqu’il visite ses parents à Berlin, David et son père Etgar parlent souvent yiddish, Wahida parle arabe lorsqu’elle s’adresse à Hassan El Wassan, un diplomate du XVe siècle réfugié au Maroc sur lequel elle rédige sa thèse… Quelle gageure de jongler entre toutes ces sonorités ! Le résultat est fascinant, envoûtant, captivant, magique.

Tous des oiseaux, texte et mise en scène Wajdi Mouawad, théâtre de la Colline, coup de coeur Pianopanier

“L’identité n’est pas l’origine. Elle est seulement un rêve, une utopie. »

Au-delà d’une écriture foisonnante, parfois un peu grandiloquente mais très souvent brillante, ce qui fait la richesse de ce spectacle, ce sont les trouvailles de mise en scène et l’infinie beauté de la scénographie. Au gré d’une impressionnante fluidité du dispositif, on passe en quelques secondes d’une bibliothèque à une chambre d’hôpital, d’une salle à manger berlinoise aux rues de Jérusalem, d’une salle d’attente d’aéroport au désert palestinien, de l’enfance de David à sa mort brutale.

Alternant entre les différentes langues, les comédiens portent le texte de Mouawad avec un immense talent. Merci à eux, merci à leur auteur et metteur en scène de nous faire voyager aussi loin, aussi intensément… À la manière des oiseaux…

-Sabine Aznar-

Tous des oiseaux, texte et mise en scène Wajdi Mouawad, théâtre de la Colline, coup de coeur Pianopanier

TOUS DES OISEAUX
À l’affiche du Théâtre de la Colline du 17 novembre au 17 décembre 2017 (mardi au samedi 19h30, dimanche 15h30)
Texte et mise en scène : Wajdi Mouawad
Avec : Jalal Altawil, Jérémie Galiana, Victor de Oliveira, Leora Rivlin, Judith Rosmair, Darya Sheizaf, Rafael Tabor, Raphael Weinstock, Souheila Yacoub