Natal Kombat

Quand on entre dans la salle, elles sont déjà sur le plateau.
Si vous croisez leur regard, elles vous accueillent d’un « bonjour » aussi dynamique que déterminé. Tendues déjà comme des arcs, s’échauffant des orteils aux épaules, avant les batailles à suivre, Tiphaine Gentilleau et Chloé Olivères sont des guerrières prêtes au combat.
Car il s’agit bien d’un combat auquel nous allons assister, d’une nature bien particulière : un combat contre les préjugés, contre des siècles de stéréotypes, contre le mythe sacralisé du bonheur maternel.

Alors oui, Gustave Courbet a beau jeu de la ramener avec son célèbre tableau. Car être maman, être à l’origine du monde, ce n’est vraiment pas une sinécure.
Il y a tout d’abord ce sentiment de malaise qui vous prend aux tripes : ok, c’est merveilleux de donner la vie, mais que faire de cette vertigineuse sensation de perdre à jamais une liberté unique ? D’accord, c’est métaphysique cette mission qu’on donne aux femmes, mais comment gérer cette ribambelle d’enquiquinements qui va avec ?

C'est (un peu) compliqué d'être l'origine du monde, Les filles de Simone, Festival d'Avignon, Pianopanier, Chloé Olivères, Tiphaine Gentilleau , Claire Fretel

“Le trait de gauche est là… Le voilà, le voilà !”

La pièce commence avec l’étape obligatoire du test de grossesse, et va explorer tous les stades que traversent les futures mamans : les soucis physiques qui font souffrir et rendent la vie moins drôle, la visite chez le gynéco d’où l’on repart à la fois lestée d’angoisses et privée de tous les petits plaisirs quotidiens qu’il va falloir arrêter, la préparation très New Age à l’accouchement, le rendez-vous chez le psy… et cette fichue culpabilisation de ne pas ressentir du tout ce « merveilleux bonheur maternel » dont on nous rabâche les oreilles.
On suit aussi la période post naissance, quand il faut devenir une superwoman et penser absolument à tout, quand il faut remonter lentement le chemin d’une libido secouée moralement et/ou physiquement, quand il faut affronter sa propre mère qui voit son instinct maternel resurgir soudainement de façon inappropriée…

On est bien au-delà d’une classique chronique façon « 9 Mois » : les deux comédiennes qui sont devant nous s’emparent du texte tonique qu’elles ont écrit avec Claire Fretel pour revisiter, avec énormément d’humour, les chemins tortueux qui mènent à la maternité. C’est vif, original, de bout en bout intelligent, diablement réjouissant et toujours très drôle.
Chloé Olivères est absolument irrésistible et sait, d’un mouvement de tête, d’un regard vers le public, provoquer l’hilarité générale. Son monologue « Rachida Dati » est un monument à lui seul.

C'est (un peu) compliqué d'être l'origine du monde, Les filles de Simone, Festival d'Avignon, Pianopanier, Chloé Olivères, Tiphaine Gentilleau , Claire Fretel

“Suis-je si égoïste ? Une sorcière ? Une déjà mauvaise mère ?”

Tiphaine Gentilleau, dans un registre plus grave, n’en est pas moins touchante, y compris dans son rôle de comédienne enceinte : elle nous montre ainsi qu’être enceinte dans ce métier, c’est ajouter un zeste d’Himalaya à un parcours déjà très montagneux…
Dans la salle, les femmes applaudissent haut et fort, les hommes regardent souvent leurs petits souliers. Il y a un féminisme revendiqué, mais nullement gratuit ou bêtement appuyé car il ne se prend jamais au sérieux. D’ailleurs, plusieurs grandes figures qui ont écrit sur la maternité (Antoinette Fouque, Edwige Antier, Yvonne Knibiehler, Elisabeth Badinter…), sont régulièrement convoquées sur le plateau, et les spectateurs jouent ainsi à « Devine-Tête » avec les deux comédiennes qui, un post-it collé sur le front, les incarnent à tour de rôle. Sans oublier la statue du commandeur, Simone de Beauvoir, qui ponctue le spectacle de ses aphorismes.

Ce spectacle, créé en 2015 au décidément indispensable Théâtre de la Loge, à Paris, est incontestablement très bien rôdé : après deux programmations au Théâtre du Rond-Point, deux Avignon Off, il fait en 2017 une longue tournée en région.
Les Filles de Simone, le nom du collectif de Claire Fretel, Tiphaine Gentilleau et Chloé Olivères, creusent leur sillon et préparent déjà un nouveau spectacle.
On a hâte de découvrir ce nouveau bébé.

C’EST (UN PEU) COMPLIQUE D’ETRE L’ORIGINE DU MONDE –
Création collective : Les Filles de Simone, Claire Fretel, Tiphaine Gentilleau, Chloé Olivères
Avec : Tiphaine Gentilleau, Chloé Olivères

Revue rouge : la lutte à gorge déployée !

Ah bon sang, mais voilà un spectacle qui requinque, qui remet les idées en place, ah, ça, oui, ça fait du bien par où ça passe, se sentir à l’unisson, entendre chanter la liberté, la solidarité, la fraternité… ça remet de la vie dans les concepts, c’est toujours ça de pris et pourvu que ça dure !

El pueblo unido jamás sera vencido ! On rentre directement dans le vif du sujet… Norah Krief, menue, le regard brillant, entame pourtant le concert en douceur, déambulant sur la scène, s’asseyant un instant sur le rebord de l’estrade du claviériste. Elle laisse le temps aux spectateurs de venir à elle, quelques minutes pour que chacun se sente au diapason de tous.
Eric Lacascade met en scène ce spectacle conçu par David Lescot. Épaulée par ses complices de longue date, accompagnée par quatre musiciens impeccables, à l’énergie dense qui se répand en ondes électriques sur le public, Norah Krief nous fait découvrir et redécouvrir des chansons révolutionnaires, écrits ou composés par Brecht, Eisler, Ferré, et parfois par des oubliés, des anonymes. Un travail de vidéo pertinent, voire percutant, étoffe le propos.

photos @ Brigitte Enguérand

Paroles du XIXe, XXe, XXIe siècles : la rébellion traverse le temps ; mots en français, en allemand, en espagnol, en russe : la révolte traverse les frontières. De Brecht aux Pussy Riot, chants de luttes, paroles courageuses. Antifascistes, féministes, prolétaires : c’est la voix des petits, des opprimés, de ces masses qu’on dit pourtant « minoritaires », qui gronde, gonflée d’espoirs et de la force qui naît de la confraternité et de la certitude de combattre l’injustice. Et si les textes peuvent paraître ancrés dans leur époque – on a oublié au fil des générations ce qu’est le prolétariat, qui était Nestor Maknov et sa Maknovtchina, ce que c’est de s’enrôler à vingt ans dans une armée insurrectionnelle -, l’impression s’efface en un instant tant les combats qu’ils portent et l’énergie qu’ils relèvent restent actuels.
Norah Krief, qu’on connaît sans doute plus comme comédienne, s’impose au chant avec une évidence tranquille ; d’une balade à l’énergie contenue à un punk déchaîné, elle garde la voix claire, l’articulation nette – on ne perd rien des textes, et c’est tant mieux -, et la présence intense.

« Ces chansons rouges, militantes, nous émeuvent et nous mettent en mouvement, collectivement. Elles libèrent la parole. » Norah Krief

Quelques apartés nous entraînent plus loin au cœur de l’histoire de ces chants prolétariens, communards, féministes – on se souvient ou on apprend que les Pussy Riot (« Mère de Dieu, mets Poutine dehors, Mère de Dieu, deviens féministe ! ») ont passé quelques années en camp en Sibérie, que Montélus à la fin du XIXe a été condamné pour « incitation à l’avortement » pour sa « Grève des mères » qui invitait les femmes à faire la grève des ventres, cesser de donner des enfants à la guerre… Chanter parfois se paye cher !
Au milieu de ces airs portés par la mémoire collective, un hommage délicat de David Lescot à Rosa Luxembourg « Tire une balle dans ma tête » – « tire une balle dans ma tête, fais-moi entrer dans la légende », et c’est toi qui vas perdre, « j’étais, je suis, je serai ».

Les orchestrations, rock, sont sèches, sourdes, sombres, parfois martiales. Mais la rage est dosée avec justesse, et laisse la place à des moments plus retenus. Une trompette à la mélopée lente et déchirante fait se serrer les gorges pendant l’anti-franquiste « El quinto regimento », et c’est Fred Fresson qui enchaînera, s’accompagnant seul au clavier, par une interprétation limpide des « Anarchistes » de Ferré.

La fougue des textes, la fièvre des interprétations, la densité des orchestrations touchent direct ! On a le sang qui pulse un peu plus vite, on sent le frisson partagé ; pas besoin d’avoir « la carte » au parti ceci, à la confédération cela, il suffit juste d’avoir le cœur qui bat au même rythme que la musique, et que le cœur de ses frères humains ! Un spectacle vivifiant et salutaire.

“Ces chansons de lutte sont à la fois témoignages d’espoirs collectifs et de révoltes, souvenirs d’insurrections et de résistances mais surgissant de l’histoire elles nous embrasent. Aujourd’hui encore ces paroles, ces refrains, ces musiques nous soutiennent, nous portent et j’espère nous entraînent vers de nouveaux combats. Il est temps.” Éric Lacascade

 

Revue Rouge, au 11, Avignon, jusqu’au 30 juillet 2017
Chant : Norah Krief
Mise en scène : Éric Lacascade
Conception et direction musicale : David Lescot
Piano, chœur : Fred Fresson / Basse, chœur : Adrian Edeline / Batterie, chœur : Philippe Floris / Guitare et trompette, chœur : Antonin Fresson en alternance avec David Lescot
Vidéo Stéphane Pougnand

Le Récital des postures : calligraphie de corps

Une surface blanche couvre le sol et se prolonge sur le mur de fond de scène : une page sur laquelle se dessinera la patiente partition de ce Récital.
Yasmine Hugonnet a créé il y a plusieurs années déjà ce solo, issu de sa réflexion sur le rapport entre forme, image et sensation, de sa recherche sur le processus d’incarnation et d’appropriation.

« J’aime envisager la forme du spectacle comme un rite chorégraphique : dans cet espace vibratoire entre l’interprète et le spectateur, on assiste à la naissance de l’Idée d’un Corps. Mais ce corps n’est pas celui de la danseuse, c’est un corps symbolique, archétype, social, un corps qui est le lieu de la communication.” Yasmine Hugonnet

 

@ Anne-Laure Lechat

Elle est en scène avant l’arrivée des spectateurs. Petite virgule immobile, la jeune femme, vêtue d’un justaucorps gris, attend, penchée en avant, les cheveux touchant le sol. Le corps imperceptiblement s’arrondit, glisse au sol, s’y allonge de tout son long. Pause. Pour seule musique, le grésillement des projecteurs, le presque imperceptible effleurement de son corps sur le sol. La silhouette ondule comme si chaque partie du corps respirait. Pause. Demi-pointes, attitudes. Pause. En quelques gestes simples, elle se dévêt, et dévoile aussi enfin son visage, resté jusque-là noyé dans ses cheveux ou blotti contre ses bras, entre ses genoux.
Avec une lenteur de taï-chi ou de demi-sommeil, Yasmine amène à la surface de son corps mille autres corps. Un vieillard voûté, une gracile danseuse, une silhouette brinquebalante aux gestes saccadés : une foule la traverse. Il y a parfois quelque chose de très joueur, de burlesque, dans la composition d’un personnage cocasse, une façon de coincer ses cheveux sous son nez pour parader bedaine en avant et moustache fière… mais est-ce le silence, est-ce sa nudité, les rires restent muets. Sa performance est minimaliste, l’œil guette des métamorphoses parfois microscopiques sous une lumière élégante et sans fioritures, mais son dépouillement est sans abstraction, elle est sensuelle, charnelle, parfois drôle. Fantasque au visage impassible, c’est en ventriloque que Yasmine Hugonnet, motus et bouche cousue, posture de scribe égyptien, annonce « we are going to dance ».

Dans le silence, dans ce rythme qui ne tient qu’à celui de sa respiration, sait-on si c’est de la danse, en tous cas, le geste est là, où la vie bat, où le spectateur peut projeter ses imaginations ; Yasmine Hugonnet écrit dans l’espace par son mouvement, elle dépose une infinité de signes sur la page blanche du plateau, inventant une calligraphie de son corps nu. Les spectateurs restent suspendus à ce discret miracle.

 

Le Récital des postures – aux Hivernales, Avignon, jusqu’au 30 juillet
Chorégraphie et interprétation : Yasmine Hugonnet
Collaborateur artistique : Michael Nick
Création lumières : Dominique Dardant
Photos : © Anne-Laure Lechat

Boys don’t cry, histoires d’amours

La compagnie Avant l’aube présente un triptyque Masculin-Féminin, à la recherche d’une génération née aux alentours des années ’90 ; tous, à la mise en scène, l’écriture, l’interprétation, ont l’âge de leurs protagonistes, et s’ils ne partagent pas leurs vies, sans doutes partagent-ils les mêmes inquiétudes et les mêmes espoirs. Dans ce volet, Maya Ernest met en scène le texte de Jean-Gabriel Vidal-Vandroy.
Boys don’t cry est le portrait sans fards mais sans cruauté de quatre jeunes hommes pour qui l’amour, ah, l’amour !, ça ne ressemble pas à ce dont on rêve…

Le premier à prendre la parole (Aurélien Pawloff, qui nous avait impressionné précédemment dans J’appelle mes frères), bourgeoisie de province, banquier d’affaires, costard chic et cher, petite gueule classieuse, vend son corps à de riches clientes, c’est la loi de l’offre et la demande, il est bien placé pour connaître, ce serait dommage de ne pas faire fructifier ce joli patrimoine… Cet autre (Raphaël Goument), grand corps athlétique, chevelure bouclée, un air pasolinien, « Prométhée enchaîné au sommet d’un Caucase virtuel », comme il se résume lui-même, passe ses nuits à épuiser sa vie sur des sites porno. Simon (Léonard Bourgeois-Tacquet), menu, traits fins et regard alerte, a rencontré Caroline il y a 5 ans sur un forum spécialisé, elle avait besoin de compagnie, il avait besoin d’argent. Un jeune lycéen (Vincent Calas), visage angélique, d’une douceur presque triste, joue les escort pour une très élégante, très cultivée, très influente femme qui a l’âge d’être sa mère, ce qui n’empêche pas les sentiments, peut-être, mais qui empêche l’histoire d’amour, sans doute.

« Regardez ces hommes tomber :
ils portent en eux la joie désespérée de ceux qui n’ont plus rien à perdre. »

Un air poignant accueille les spectateurs, un enregistrement au son usé, Le Pêcheur de perles de Bizet sous la direction de Michel Plasson ; la belle voix du ténor jaillit d’un petit poste de radio, tenu à la main par un comédien, pieds nus, debout dans la pénombre, au lointain. La musique, l’obscurité, cette silhouette immobile, tout s’agence pour faire naître une attention particulière, qui ne faiblira plus.

Une table, des chaises, des verres, une carafe, les murs noirs du théâtre pour décor : un espace scénique très simple, net, sans lyrisme. Les quatre comédiens s’attablent, réunis par ce lieu du témoignage. Tous sont marqués d’une trace scintillante, discrète noyée dans une chevelure ou flamboyante zébrant un profil : une façon sans doute de projeter les personnages du côté du nocturne, des paillettes de fêtes débridées, des lueurs opalescentes de lune.
Léonard Bourgeois-Tacquet et Vincent Calas campent aussi les femmes de ces hommes, Caroline et les autres. Rôles d’hommes ou de femmes, tous les quatre sont également fins, justes, précis. Ils transforment ces archétypes en une humanité sans manichéisme, complexe, touchante. La mise en scène, sobre – à l’exception d’une sur-signifiante scène christique -, tient à distance le sordide. L’un ou l’autre des personnages chante quelque air populaire, naissent alors de ces moments dont la familiarité et la tendresse abolissent les barrières, et permettent aux battements de cœur des spectateurs de se synchroniser avec ceux des comédiens.

Ça ressemble à des histoires de prostitution, de sexe, d’argent. Et ça l’est : l’argent circule et rythme les relations ; on attend les coups de fil, on évalue, on monnaye. Mais il s’agit encore plus d’histoires de construction de soi, et sans doute aussi, beaucoup, d’amour. Et de ce spectacle fiévreux, sombre, cru, ce qui restera, c’est le besoin de l’autre, et, oui, la tendresse des hommes.

 


BOYS DON’T CRY
, au Théâtre des Barriques jusqu’au 30 juillet
Un texte de Jean-Gabriel Vidal Vandroy
Sur une idée de Maya Ernest et Jean-Gabriel Vidal Vandroy
Mise en scène : Maya Ernest
Avec : Léonard Bourgeois-Tacquet, Vincent Calas, Raphaël Goument et Aurélien Pawloff

Vous n’y trouverez que du bonheur

Antoine est un homme sans histoire. Expert en assurances, la quarantaine, marié et père de deux enfants, s’efforçant tant bien que mal de surmonter une enfance malheureuse… Mais un jour, Antoine est à bout. Sa femme le trompe, il divorce. Ses enfants l’ignorent et le méprisent, il les supporte. Son patron le licencie pour compassion envers un client, il abandonne. C’en est trop. Il prend alors une décision inouïe : se suicider après avoir assassiné ses enfants. Mais face au visage de sa fille défiguré par la balle, Antoine n’ose pas aller plus loin. Stoppé net. Sa fille Joséphine, quant à elle, est sauvée. Comment survivre ? Comment renaitre ?
Grégoire Delacourt a signé un texte profond et touchant que sublime l’adaptation tellement réussie de Grégori Baquet. Abordant des thèmes tels que la résilience, le pardon et la rédemption, mais aussi l’enfance et l’adolescence, il nous émeut, et s’adresse à nous tous. Comment une jeune fille mutilée par son propre père peut-elle se relever ? Comment l’assassin peut-il dépasser sa folie et rebâtir une autre vie ? Peut-on pardonner un tel acte ?

Une scénographie sobre -deux draps blancs tendus comme des voiles et trois bancs- sert une mise en scène simple et émouvante. Des tableaux dansés marquent les étapes de l’émancipation de Joséphine, et sa progression dans la résilience qui aboutiront au pardon de son meurtrier, le “chien”.
Murielle Huet des Aunay incarne avec candeur une adolescente hantée par les souvenirs et par une QH (Question Horrible) qui refusent de la laisser en paix.
Mais surtout, il y a Grégori Baquet. Il est juste, il est parfait, il est exceptionnel. Il campe un personnage profond avec une beauté et une émotion infinies.
Suivons donc le parcours de ce père et de sa fille, écoutons leurs témoignages qui, inévitablement, s’adressent à toute l’humanité.

Nathan Aznar

ON NE VOYAIT QUE LE BONHEUR
À l’affiche du Théâtre Actuel du 7 au 30 juillet 2017 – 10h15
Un roman de : Grégoire Delacourt
Adaptation et mise en scène : Grégori Baquet
Avec : Murielle Huet des Aunay et Grégori Baquet

Le Garçon incassable : spectacle inclassable

Buster, en anglais signifie chute. Dès son plus jeune âge, Joseph Keaton fut rebaptisé Buster, à la suite d’une mémorable culbute dans les escaliers. Tomber, se fracasser, choir, trébucher, s’écrabouiller…l’existence de Buster Keaton fut une succession inouïe de chutes plus spectaculaires les unes que les autres. Il en fit son métier, son gagne-pain, sa passion, sa vie. Le genre de vie que n’aurait pu expérimenter Henri, l’autre personnage du spectacle. Handicapé de naissance, Henri est l’antithèse de Buster, le “non casse-cou” par obligation, le garçon qu’il faut surveiller comme le lait sur le feu.

Le garçon incassable, Florence Seyvos, Laurent Vacher, Festival Off Avignon, La Caserne des Pompiers, coup de coeur Pianopanier@Christophe Raynaud de Lage 

“Le père d’Henri, il dit qu’il faut les casser, les enfants. Pas seulement les plier, les casser.”

Ces deux vies d’exception, ces deux univers, Florence Seyvos les a racontés dans un roman qui lui valut le prix Renaudot poche 2014. Deux récits parallèles dont le metteur en scène Laurent Vacher s’est emparé avec brio. Présentée pour la première fois au festival off d’Avignon, cette création repose sur deux comédiens et un magicien.

On navigue entre deux époques, deux espaces-temps, deux parcours de vie… et toutes les émotions de Buster et Henri.

Le spectacle mêle des scènes de la vie réelle de Buster Keaton avec des extraits de ses films, dont certains nous font hurler de rire, encore aujourd’hui. Grâce à l’ingéniosité du procédé scénique, on s’attendrait presque à voir sortir de l’écran la star hollywodienne, façon “La Rose pourpre du Caire”.

Le garçon incassable, Florence Seyvos, Laurent Vacher, Festival Off Avignon, La Caserne des Pompiers, coup de coeur Pianopanier

“Toute sa vie, Buster fera des chutes, il deviendra une sorte de spécialiste de chute.”

En plus de celui de la narratrice, Odja Llorca endosse plusieurs rôles : mère de Buster, première épouse de Buster, seconde épouse de Buster, soeur protectrice d’Henri, elle est toujours juste, émouvante, magnétique. Ses deux partenaires, le comédien Martin Selze et le magicien-fakir Benoît Dattez endossent tous les autres rôles et nous font naviguer d’un univers à l’autre : chorégraphies jazzy, duos de ukulélé, tours de magie, fakirisme… tous nos sens sont en alerte dans ce spectacle inclassable. Inclassable car tellement touffu, nourri de diverses disciplines. Inclassable car plutôt novateur dans la forme et la narration.

Alors on se laisse prendre au jeu, ce jeu de ping-pong entre Buster le casse-cou et Henri le frère bancal.
Jusqu’à cette dernière scène, où l’on retient son souffle, où l’on se dit que finalement, certains ont le pouvoir de fabriquer de la féérie et du mystère. Alors pourquoi pas, un jour, un garçon, un enfant incassable ?…

LE GARCON INCASSABLE
Compagnie du Bredin
À l’affiche de la Caserne des Pompiers du 7 au 23 juillet 2017 – 18h15
Un texte de : Florence Seyvos
Adaptation et mise en scène : Laurent Vacher
Avec : Benoit Dattez, Odja Llorca, Martin Selze

Very good trip

Tout commence comme un rêve improbable. 4 micros nous font face.

À gauche, un coin très rock : Hervé Rigaud et sa guitare électrique, un arsenal de pédales à effets sonores à ses pieds. Au centre et à droite, Philippe Lardaud et Régis Laroche encadrent Isabelle Ronayette. Laura Wilson, c’est elle.

Au son des riffs inspirés d’Hervé Rigaud, les trois comédiens nous proposent tout de go plusieurs versions de « Laura trucidant son patron », en mode cinémascope.

Godzilla, Kill Bill, et d’autres blockbusters y passent et sont autant de sources d’inspiration pour réinterpréter ce rêve éveillé que Laura nous balance en pleine figure dès le début de la pièce.
Le ton est tout de suite donné : nous allons partir pour un bien curieux voyage. Car Laura va très mal. Les ennuis volant toujours en escadrille, en quelques jours, sa vie bascule. Elle perd son travail, la garde de son enfant, son appartement. Parviendra-t-elle à remettre sa vie en marche ? À rencontrer l’amour ? À retrouver l’espoir ?

La vie trépidante de Laura Wilson, Jean-Marie Piemme, Jean Boillot, Festival Avignon, Théâtre 11 Gilgamesh-Belleville, coup de coeur Pianopanier

Le sujet du chômage, du déclassement, de la garde partagée d’un enfant, de la “reconstruction sociale”, pourtant ancrés dans une actualité quotidienne, ne sont pas si souvent proposés comme thèmes de théâtre. Peu d’auteurs, d’ailleurs, s’y frottent sans nous noyer, au mieux, dans un océan d’ennui, au pire dans une mare mielleuse de pathos.
Rien de tout cela ici : le dramaturge belge Jean-Marie Piemme a écrit un texte étonnamment tonique, furieusement moderne et malicieusement original.

Nous suivons Laura dans sa quête d’un nouvel amour, dans les questions existentielles liées à sa nouvelle inactivité, dans sa lente descente d’un ascenseur social décidément bien grippé.
Ce n’est jamais sombre, mais toujours, paradoxalement, empli de vie, d’énergie, et d’un furieux espoir.

La vie trépidante de Laura Wilson, Jean-Marie Piemme, Jean Boillot, Festival Avignon, Théâtre 11 Gilgamesh-Belleville, coup de coeur Pianopanier

« We Can Be Heroes »

La mise en scène de Jean Boillot, alliée à la scénographie innovante de Laurence Villerot y est pour beaucoup et participe grandement au plaisir qui nous prend à suivre cette vie si trépidante.
On n’énumérera pas toutes les très belles trouvailles de ce duo, pour ne pas déflorer le plaisir du lecteur de ces lignes.
On notera seulement combien l’emploi d’un simple smartphone peut faire passer l’émotion du point de vue d’un enfant, jouer les confesseurs psychologues, ou, étonnamment, déployer les grandes qualités d’une comédienne en cadrant son œil très serré.

Les trois comédiens qui entourent l’énergique Hervé Rigaud, auteur des compositions musicales inspirées qui ponctuent la pièce, sont absolument parfaits : Philippe Lardaud et Hervé Laroche passent sans coup férir de l’ami gay au play-boy aventurier de pacotille, en passant par l’ex-collègue transi et le patron goujat. Ce n’est jamais forcé, toujours juste et délicat.

Isabelle Ronayette est tout simplement exceptionnelle en Laura Wilson qui prend des coups mais qui se bat, qui se bat, qui se bat… comme une vraie héroïne de la vie quotidienne.

Cette rafraîchissante création est une magnifique surprise, et cette vie trépidante est à embrasser sans hésiter quand elle frappera à votre porte, au cours de la longue tournée qui l’attend – et qu’elle mérite amplement.

La vie trépidante de Laura Wilson, Jean-Marie Piemme, Jean Boillot, Festival Avignon, Théâtre 11 Gilgamesh-Belleville, coup de coeur Pianopanier

LA VIE TREPIDANTE DE LAURA WILSON
À l’affiche du 11 Avignon du 7 au 30 juillet 2017 – 15h40
Un texte de : Jean-Marie Piemme
Mise en scène : Jean Boillot
Avec : Philippe Lardaud, Régis Laroche, Hervé Rigaud et Isabelle Ronayette

Je reviens de la vérité – Si tu rentres, toi, tu diras

C’est l’histoire d’une affiche, rencontrée le dernier jour du festival d’Avignon 2016, un de ces jours magiques où les âmes encore chaudes du festival, gorgées d’un bonheur nostalgique, se font déjà une joie du prochain. Je l’ai décrochée et je l’ai emportée avec moi. Depuis, elle ne me quitte plus. C’est l’une des plus belles, des plus sensuelles, des plus puissantes affiches du festival.
Une image. Une invitation à venir écouter le texte de Charlotte Delbo, résistante, déportée et femme de lettres. L’histoire de femmes, qui seront dans le seul convoi de résistantes envoyé à Auschwitz le 24 Janvier 1943.
Une image. Une image pour tenir, se retenir, comme ces mains suspendues au temps.

Une image. Une fresque d’une force inouïe, avec mille contrastes et mille émotions … qui nous frappe par sa beauté et sa douleur, sa force et sa fragilité, sa solidarité et l’abandon parfois … quand l’espoir s’éteint et qu’il ne reste de liberté que celle de choisir sa mort.

”On n’attend pas la mort, on s’y attend”.

Une image pour dire. Dire l’indicible, dire l’invisible, dire l’impossible, dire l’impensable.

Agnès Braunschweig porte une mise en scène intime, intense. Un cercle blanc au milieu de la scène pour être le lieu des 18 fragments tirés de la pièce de Charlotte Delbo “Qui rapportera ces paroles?”. Espace théâtral par excellence, qui sera tout à la fois l’arrivée au camp où la déshumanisation retire son masque, le dortoir où “il fait peur de dormir parce qu’il fait peur de rêver” où les corps se touchent se réchauffent et se contaminent, lieu de peu de vie mais de vie quand même, parce qu’ici “personne ne tient à la vie, c’est la vie qui tient un peu à nous”.

Agnès Braunschweig, Edith Manevy, Caroline Nolot en vêtements gris et fichus gris sur la tête, sont bouleversantes; elles n’ont plus que leur voix et leur corps pour raconter et redonner vie à Françoise, Yvonne, Claire, Mounette, Denise, Gina, Renée et toutes les autres …. elles nous offrent leurs âmes aussi.

Je reviens de la vérité, de Charlotte Delbo, mise en scène Agnès Braunschweig, festival off Avignon 2017, coup de coeur Pianopanier

”Si tu rentres toi, tu diras”.

Dans notre monde de mensonges, dans notre époque où la vérité perd ses sens, dire cette vérité, aux enfants, aux adultes, pour qu’ils le disent à leurs enfants, c’est réaliser le seul espoir de celles qui sont restées et de celles qui sont revenues de la vérité, c’est ne pas laisser le monstre ricaner sans fin comme la terre tremblante ricane en fixant ceux qu’elle engloutit. “Si tu rentres toi, tu diras”.

En arrivant en 2017, je l’ai vue tout de suite, il n’y en avait qu’une parmi les milliers qui flottaient au vent, je l’ai tout de suite reconnue. Elle était toujours aussi captivante, toujours aussi singulière. Troublante.

On y a juste ajouté “finaliste des coups de cœur 2016”. A vous d’écrire ce qu’il y aura sur les prochaines …

JE REVIENS DE LA VERITE
Compagnie Prospero Miranda
À l’affiche de la Salle Roquille du 7 au 28 juillet 2017 – 13h
Un texte de : Charlotte Delbo
Mise en scène : Agnès Braunschweig
Avec : Agnès Braunschweig, Edith Manevy, Caroline Nolot
Photo de l’affiche par Jennifer Westjohn

Ô-DIEUX : deux erreurs ne font pas une vérité

Le drame du Proche-Orient et du conflit israëlo-palestinien fait partie de notre quotidien, il nous soulève le cœur régulièrement et pourtant nous l’oublions, parmi les restes du monde. La novlangue des communicants du conflit nous endort, et nous empêche d’y voir l’essentiel : les drames de ces hommes et de ces femmes qui se ressemblent tant. Pendant ce temps, la politique sécuritaire hystérise, la loi du talion insuffle son venin, la vengeance est célébrée par les enfants désespérés de générations perdues. Mais “deux erreurs ne font pas une vérité”, et à ce jeu-là, personne ne gagnera jamais.

Le metteur en scène Kheireddine Lardjam prend soin de nous préciser, au début de la représentation, que la pièce a été jouée hors les murs : dans des écoles, les centres de quartiers, dans des prisons … là où le texte ”obus” de Stefano Massini est susceptible de prendre toute sa dimension, singulière et universelle. C’est important pour lui de nous le dire, c’est important pour le théâtre qui, chaque fois qu’il va à la rencontre des citoyens, se désacralise, souffle la poussière sur ses habits d’avant, devient utile.

Marie Cécile Ouakil, seule en scène, est belle, et décoche ses flèches comme une amazone à trois visages, au grand galop…

Marie-Cécile Ouakil, seule en scène, est belle. Elle fait vibrer le plateau du théâtre Gilgamesh Belleville avec une énergie virile (dont seules les femmes sont capables) et féline, elle décoche ses flèches comme une amazone à trois visages, au grand galop. Elle sera Eden Golan professeure d’histoire juive, Shirin Akhras, jeune étudiante palestinienne qui s’enrôle dans les brigades Al Khasam et Mina Wilkinson, militaire américaine en mission en Israël. Leurs trois histoires se mêlent pour n’en faire qu’une, celle d’une tragédie explosive qui se reproduit à l’infini. On quitte le feu de la salle avec le regret que la professeure juive ait pris ce ton précieux, presque arrogant, pour se raconter. Un ton qui sonne comme un parti pris, alors que le texte fort et intelligent invite sans aucun doute le spectateur à la réflexion, sans lui dire quoi penser. La mise en scène reste une création moderne et puissante, qui nous dessine ce trait noir sous les yeux, nous invitant à regarder en face notre propre façon de voir l’identité, notre identité, nos identités. “L’identité ne signifie pas ce que nous sommes mais ce que eux ne sont pas” … tout est dit. On ne sait plus à la fin qui de la juive, de la palestinienne ou de l’américaine aura prononcé ces mots … et pour cause. Merci pour ces interrogations vitales, qui résonnent bien singulièrement dans le contexte politique fou que nous traversons.

Ô-DIEUX
À l’affiche du 11 GILGAMESH AVIGNONdu 7 au 28 juillet 2017 – 13h40
Un texte de : Stefano Massini
Mise en scène : Kheireddine Lardjam
Avec : Marie-Cécile Ouakil

Guigue et Plo : absurdément vôtre !

Il y a Tintin et Milou, Dupont et Dupond, Bonnie and Clyde, Laurel et Hardy, Rox et Roucky, Astérix et Obélix… Et puis, il y a Guigue et Plo, deux personnages complètement décalés et loufoques.

Le premier mène la danse à la baguette, il ordonne et décide sans scrupule, le second essaie de tanguer, clopin-clopant et perturbe avec malice la danse du maitre. Pourtant, l’un ne va pas sans l’autre, cela va sans dire. Ils tissent à eux deux un nouvel espace de l’absurde et du rire, en créant un décalage entre leurs propres attentes et les expériences incongrues qu’ils font du monde. Ils s’interrogent mais pas que, ils chantent, courent, dansent… on ne peut pas les arrêter. On dirait qu’ils sortent tout droit d’une bande-dessinée, avec une petite pointe rétro qui les rend inattendus et si attachants.

Guigue et Plo, ici et là une pièce de la Compagnie Le Saut du Tremplin, au festival Off d'Avignon 2017, théâtre des Barriques, avec Alexis Chevalier, Grégoire Roqueplo, mise en scène François Jenny, coup de coeur Pianopanier

« Guigue: De toute façon, tu as toujours été là !
Plo: Pardon, faux procès. J’ai toujours été par ci, par là….
Guigue: On ne peut pas être ici et là à la fois
Plo: Echangeons nos places, on verra bien si je suis ici à ce moment là
Guigue: Si tu veux.
Alors ?
Plo: C’est vrai que vous y êtes
Guigue: Où ça ?
Plo: Ici… et moi là. »

Les mots sont drôles, la répartie fine, l’esprit enjoué, et la performance belle. Tout pour nous plaire.

Guigue et Plo, ici et là une pièce de la Compagnie Le Saut du Tremplin, au festival Off d'Avignon 2017, théâtre des Barriques, avec Alexis Chevalier, Grégoire Roqueplo, mise en scène François Jenny, coup de coeur Pianopanier

5 raisons d’aller voir Guigue et Plo au théâtre des Barriques, si vous êtes de passage à Avignon cet été :

1) parce qu’ils sont fous et qu’on aime les gens fous
2) parce qu’ils sont (vraiment) drôles et qu’on aime (vraiment) rire
3) parce qu’on a tous besoin d’une bonne dose d’absurde
4) parce qu’ils seraient trop tristes de ne pas vous voir
5) parce qu’autant d’humour et de joie à 18h30, ça ouvre forcément l’appétit !

GUIGUE ET PLO : ICI ET LA
À l’affiche du Pixel Avignon du 6 au 29 juillet 2018 – 18h30
Un texte de : Alexis Chevalier, Grégoire Roqueplo
Mise en scène : François Jenny
Avec : Alexis Chevalier, Grégoire Roqueplo