La tragédie de Hamlet, mise en scène par Dan Jemmett

Merci pour cette reprise de la tragédie de Hamlet à la Comédie-Française

Spectacle vu à la Comédie-Française – Salle Richelieu, le 14 juin 2015
A l’affiche jusqu’au 26 juillet 2015
Mise en scène Dan Jemmett

 © Cosimo Mirco Magliocca

Y a t-il quelque chose de pourri au royaume de la critique ?…

Un autre spectacle que j’avais découvert lors de sa création l’année dernière et que je suis retournée voir en famille. Eh oui! Pour ceux d’entre vous qui n’auraient pas encore saisi… je suis FAN de la Comédie-Française. Descendue par la critique, la mise en scène du britannique Dan Jemmett m’avait emballée. L’idée de départ d’avoir transposé l’intrigue dans un “club-house” seventies ne m’avait pas choquée, au contraire.
Je me souviens des nombreux papiers qui s’insurgeaient contre rouflaquettes et pattes d’éph’. Et alors? Qu’importe! En quoi ces décors et costumes décalés vont-ils à l’encontre du chef-d’oeuvre intemporel de Shakespeare?

Ce qu’apporte à mon sens le facétieux Dan Jemmett pourrait se résumer à trois mots : limpidité, humour et performance collective.
Limpidité de la traduction d’Yves Bonnefoy, qui rend tellement accessible le texte de ce cher William. Limpidité de la mise en scène, qui parvient à replacer le récit dans la quotidienneté et la modernité.
Humour : car il est vrai que l’on rit souvent au cours des trois heures que dure le spectacle. L’on y rit énormément, s’agissant de l’une des plus sombres tragédies du répertoire.
L’esprit de Shakespeare est sans doute dans ce rire-là, n’en déplaise aux “mauvais coucheurs”, ces “ronchons de la critique”! Citons pour seul exemple le subterfuge qui permet à Elliot Jenicot d’incarner les deux personnages de Rozencrantz et Guildenstern en même temps. Bravo pour ce numéro de ventriloque!
Performance collective enfin, et pas uniquement parce que nous sommes face aux “meilleurs des meilleurs”. Aussi parce que Dan Jemmett parvient à insuffler sa folie pince sans rire à l’ensemble de ces comédiens d’exception. Hervé Pierre, en ignoble et trivial Claudius, tellement convaincant, est sans doute le plus hilarant de tous.

Et puis, il y a Denis Podalydès, toujours aussi magistral. Il campe un Hamlet tellement juvénile, pâle, fragile, angoissé. Ainsi qu’un Hamlet désespéré, enragé, imposant, révolté. Le comédien boulimique de théâtre embrasse enfin “le rôle des rôles”. Et “le succès des succès” est bien au rendez-vous.

Ce Hamlet ne sera pas repris la saison prochaine, alors courez-y d’ici fin juillet :

1 – La mise en scène de Dan Jemmett qui continue de déchaîner la critique est saluée unanimement par le public, notamment les jeunes et très jeunes!
2 – Le rendez-vous tant attendu Denis Podalydès / Hamlet vaut sérieusement le détour : un rôle unique pour une immense palette de talents.
3 – Les autres comédiens sont comme toujours impeccables, cette petite touche de folie “jemmettienne” en plus.

Les fausses confidences avec Isabelle Huppert

Reprise des Fausses Confidences à Odéon : une nouvelle leçon de direction d’acteurs par le maître Luc Bondy

Spectacle vu à Odéon-Théâtre de l’Europe le 4 juin 2015
A l’affiche jusqu’au 26 juin 2015
Mise en scène Luc Bondy

les fausses confidences Odeon
© Pascal Victor

Quel bonheur que la reprise de ce spectacle! Une distribution impeccable, autour d’une Isabelle Huppert magnétique…

J’avais déjà vu ce spectacle l’année passée à sa création, mais sans mon chéri…
Y retourner avec lui était la promesse d’une excellente soirée : un bon spectacle est toujours meilleurs la seconde fois.
J’adore Marivaux, j’aime sa modernité, sa façon de décortiquer et critiquer la nature humaine.
J’aime la langue de Marivaux, tellement contemporaine, bien qu’âgée de près de 300 ans.
Cette modernité, Luc Bondy la met à l’honneur : sa mise en scène la porte aux nues.

En s’installant, les spectateurs découvrent  des dizaines de paires de chaussures sur l’immense plateau de l’Odéon. A faire pâlir n’importe quelle fashionista. En fond de scène, toute fine, quasi juvénile, souple et gracieuse, attentive aux gestes de son professeur de taï-chi, elle est là. Une star s’apprête à brûler les planches sous nos yeux, deux heures durant.
Pendant ces deux heures que vont se nouer les intrigues, au rythme des fameuses confidences, Isabelle Huppert va tour à tour piétiner, sautiller, virevolter. Jusqu’à s’effondrer quasiment, ses jambes se dérobant sous elle. Comme si elle chavirait au rythme de son coeur.

les fausses confidences Odeon

Chacun de ses gestes nous attire et nous hypnotise. Elle nous envoûte, nous électrise et nous subjugue. Elle brûle les planches, en véritable star qu’elle est. Et cependant elle n’écrase jamais ses partenaires de scène. Une fois de plus, Luc Bondy démontre son talent de directeur d’acteurs.
La distribution est impeccable. Bulle Ogier en mère ambitieuse, vénale, et surtout infernale, est l’un des personnages comiques de la pièce : chacune de ses apparitions déclenche les rires du public.
Yves Jacques est remarquable dans le rôle du valet Dubois, véritable manipulateur et pivot de l’intrigue.
Mention spéciale à Manon Combes que j’avais déjà remarquée dans Le Prix Martin de Peter Stein et Le Bourgeois Gentilhomme de Denis Podalydès –  croyez-moi : cette “petite” ira loin!
Pour interpréter Dorante – l’amoureux transi – Louis Garrel, encore trop rare sur les plateaux, confère un côté quasi romantique à cette pièce de Marivaux. Lorsque débute la pièce, il semble encore sous le coup de foudre provoqué par sa rencontre avec Araminte. Et la dernière scène le laissera éreinté, fatigué d’avoir tant bataillé pour rendre victorieux son amour.

les fausses confidences Odeon

Plus que quelques jours pour aller recueillir les fausses confidences d’Isabelle Huppert :

1 – Pour la première collaboration entre le talentueux metteur en scène Luc Bondy et la véritable “star” Isabelle Huppert.
2 – Pour la mise en scène moderne qui colle parfaitement à la langue de Marivaux.
3 – Pour la distribution, impeccable, comme toujours avec Luc Bondy.

 

ELECTRONIC KIT PRESS

Journal de ma nouvelle oreille de et avec Isabelle Fruchart

Voyage au centre de ses oreilles

Spectacle vu à Avignon en juillet 2013
A l’affiche du Studio-Hébertot, tous les soir à 21h à partir du 17 septembre 2015, puis en tournée
Spectacle écrit et interprété par Isabelle Fruchart dans une mise en scène de Zabou Breitman

 

© BM Palazon

Embarquez avec Isabelle Fruchart dans une promenade hors du commun : un voyage au creux d’une oreille pas comme les autres…

Deux ans déjà!… Deux ans que j’ai découvert ce spectacle “Journal de ma nouvelle oreille” (JDMNO pour les intimes) sur la scène du Chêne Noir d’Avignon. C’était la création. Et en même temps une sorte d’aboutissement.
Le spectacle, qui a pas mal tourné depuis, sera à l’affiche du Théâtre du Rond-Point du 3 juin au 4 juillet prochain. Puis en clôture du Festival “Seules en scène” au TOP – il sera d’ailleurs, hélas, l’ultime spectacle de ce lieu mythique…

Alors, c’est quoi au juste, ce JDMNO? Tout simplement un journal de bord, un journal intime. Celui que la comédienne Isabelle Fruchart a tenu pendant 9 mois. 9 mois particuliers de son existence : les 9 mois qu’ont duré son appareillage. Car Isabelle Fruchart a perdu l’audition à l’âge de 14 ans. Comme ça, sans explication. 25 ans plus tard, elle se fait appareiller et réinvite ses oreilles à la vie.

C’est donc un récit autobiographique que l’on découvre lorsqu’on assiste à ce spectacle. Isabelle Fruchart “joue” Isabelle Fruchart. Isabelle est dirigée par Zabou Breitman, qui avait assisté à une lecture de son “fameux journal” et l’avait immédiatement contactée pour lui proposer d’en faire un spectacle.

La mise en scène est plutôt épurée, s’agissant d’un monologue. Le partenaire principal d’Isabelle Fruchart, c’est la bande son.  Créée sur mesure par Laury Chanty, elle permet au spectateur de pénétrer à l’intérieur des oreilles d’Isabelle. Et de vivre à travers elles (les oreilles!) des sensations plus ou moins agréables… Croyez-moi : cette expérience vaut le déplacement, ce spectacle unique vous touchera sans doute de l’intérieur. Et vous n’écouterez peut-être plus jamais pareil…

Trois raisons de réserver vos places au Théâtre du Rond-Point :

1 – Le thème abordé dans ce spectacle n’est pas tant celui du handicap que celui de la beauté du monde qui nous entoure :  une ode à la vie, tout simplement.
2 – Zabou Breitman, avec la sensibilité qui la caractérise, a su donner vie à ce journal peu commun.
3 – Isabelle Fruchart qui incarne son propre rôle est une comédienne tout en empathie, elle a les oreilles grandes ouvertes sur le monde et c’est un bonheur de la voir écouter aussi farouchement!!

 

INTERVIEW

 

ELECTRONIC KIT PRESS

Le jeu de l’amour et du hasard : un Marivaux acidulé qui “donne la pêche”!

Spectacle vu au Théâtre Côté Cour le 17 mai 2015
Reprise au Lucernaire du 6 avril au 4 juin 2016
Par la Compagnie “La Boîte aux lettres”
Mise en scène Salomé Villiers

 

 

Reprise au Lucernaire de cette mise en scène qui fait la part belle à la langue toujours aussi moderne de Marivaux.

Près de deux mois après la mise en ligne de ce blog, et à six semaines du lancement du Festival Off d’Avignon 2015, il n’est que temps de consacrer une rubrique aux compagnies de théâtre qui n’en finissent pas de nous surprendre.
Voici par exemple le travail de la compagnie “La Boîte aux Lettres”, née en 2009 de la rencontre de Salomé Villiers, Bertrand Mounier et François Nambot.

Rappelons l’argument de départ de la pièce de Marivaux. Silvia accepte difficilement d’être mariée par son père à un inconnu. Pour observer tout à loisir le caractère de ce fameux prétendant, elle endosse le costume de sa suivante Lisette. Péripéties et rebondissements seront au rendez-vous, jusqu’à ce que l’amour finisse par triompher, par jeu et par hasard!…

Le parti pris de Salomé Villiers, qui met en scène et interprète le rôle de Silvia était de donner un côté “rock” à la pièce de Marivaux. Ainsi les costumes d’époque sont-ils remplacés par des tenues mode tendance “psychédélique”. De même la musique nous entraîne-t-elle du côté des Sonics et des Troggs. L’usage de la vidéo apporte également un petit côté décalé à ce spectacle. Personnellement ce n’est pas ce que je retiendrai de cette mise en scène. Le plus important restant le texte : la langue de Marivaux qui n’a pas besoin d’être modernisée tellement elle demeure contemporaine. Et cette langue est servie par une troupe de comédiens réellement talentueuse.
Salomé Villiers campe une Silvia touchante dans son désarroi, Raphaëlle Lemann une Lisette époustouflante de justesse, Philippe Perrussel un Orgon tout en nuances, François Nambot un Dorante séduisant de sincérité, tandis qu’Etienne Launay et Bertrand Mounier rivalisent de drôlerie.
Ensemble, ils nous font rire, ils nous émeuvent, ils nous étonnent et nous enchantent.

Trois raisons d’aller faire un petit tour au Lucernaire

1 – Pour découvrir ou redécouvrir ce texte toujours aussi moderne de Marivaux : à mon sens sa plus belle pièce.
2 – Pour les comédiens réunis par Salomé Villiers, avec mention spéciale “aux filles” : Salomé Villiers et Raphaëlle Lemann sont bourrées de talent.
3 – Rien de tel pour chasser “le spleen du dimanche soir” : testé pour vous, l’effet est garanti, sur les grands et les petits! Un Marivaux acidulé, puisque je vous le dis!

 

ELECTRONIC KIT PRESS

 

INTERVIEW

Innocence de Dea Loher au Français

Une mise en scène pas si innocente que cela…

Spectacle vu à la Comédie-Française le 23 avril 2015
A l’affiche de la Salle Richelieu jusqu’au 1er juillet 2015 
Une pièce de Dea Loher
Mise en scène par Denis Marleau

© Christophe Raynaud de Lage

Le metteur en scène Denis Marleau n’a pas facilité la tâche des comédiens du Français…ni celle des spectateurs !…

 

Fidèle de la Comédie-Française depuis des années et des années, je suis toujours curieuse des nouvelles entrées au répertoire. Car s’il est vrai que la vocation de ce lieu est de revisiter nos auteurs classiques, il nous fait parfois découvrir des auteurs contemporains.
Ce texte, Innocence de Dea Loher accueilli avec un énorme enthousiasme par le Bureau des Lecteurs l’avait consacrée première auteure de langue allemande à entrer de son vivant au répertoire de la Comédie-Française.

Jeudi dernier, je m’installe donc dans une salle Richelieu seulement aux trois-quarts pleine – fait assez rare pour être souligné. La pièce qui se joue depuis fin mars est loin de faire l’unanimité, on peut même parler de semi-échec, malgré quelques critiques bienveillantes. Armelle Héliot évoque notamment une pièce « qui exige beaucoup du spectateur ». Elle n’a pas tort. Il faut « s’accrocher pour accrocher ». Pour ne pas décrocher, et se retrouver totalement perdu…

Plutôt en forme ce soir-là, je me suis donc accrochée et j’ai trouvé le texte intéressant. Le but de l’auteur est de nous faire réfléchir à la responsabilité individuelle et collective. Au travers d’une douzaine de personnages qui composent une vingtaine de tableaux successifs. On y croise deux immigrés clandestins, une femme errante, des parents bouleversés par l’assassinat de leur fille, une jeune femme aveugle, une ancienne communiste diabétique, sa fille et son gendre, un jeune médecin, un candidat au suicide, une philosophe…

Pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas ? Pourquoi n’ai-je été à aucun moment émue par ce spectacle ? Pourquoi ai-je le sentiment qu’il ne m’en restera pas grand-chose dans quelques semaines ? La faute à qui ?
Sans doute pas à l’auteure : j’ai plutôt envie de relire le texte à tête reposée. Certainement pas aux comédiens : toujours aussi talentueux, ils sont formidables, on ne le dira jamais assez. Au metteur en scène, évidemment ! Quelle idée d’avoir emprisonné les douze personnages sur le plateau du début à la fin. D’avoir « cassé » le rythme de cet enchaînement de tableaux pour proposer une immense fresque incompréhensible. Pauvres comédiens ! On a mal pour eux, on sent qu’ils ne prennent aucun plaisir à jouer, et ce malaise est communicatif.

Si vous souhaitez découvrir un nouvel auteur, prenez-vos places à la Comédie-Française : peu de chance que la pièce y soit reprise la saison prochaine !

 

Des gens bien, avec Miou-Miou

Des gens bien : le prototype même du spectacle “sympatoche”

Spectacle vu au Théâtre Hébertot le 22 avril 2015
A l’affiche jusqu’au 31 mai 2015 à Paris, puis en tournée 
Adaptation française par Gérald Aubert de “Good People”, la pièce de David Lindsay-Abaire
Mise en scène : Anne Bourgeois

Une distribution sans faute, une Miou-Miou que l’on a plaisir à retrouver sur scène, une pièce plus qu’honorable : pas de quoi bouder son plaisir. 

J’avais lu beaucoup de très bonnes critiques sur ce spectacle à l’affiche du théâtre Hébertot depuis trois mois. Cela me semblait même un peu « suspect » : se serait-on risquer à « descendre en flèche » le retour de Miou-Miou au théâtre ?… Alors je suis allée me faire mon idée.

Nous sommes dans la banlieue de Boston – celle des gens bien dont parle la pièce : ils y habitent depuis leur naissance. Ces gens bien : ce sont Margie incarnée par Miou-Miou et ses amies d’enfance. Sans compagnon, sans boulot, sans argent, elles se serrent les coudes et tentent de survivre.

Et puis un jour, Margie croise la route d’un ancien amoureux. Lui aussi habitait les quartiers pauvres, lui aussi a connu une enfance difficile. Mais il est devenu médecin, a épousé une diplômée de Harvard et s’est installé dans une superbe maison des quartiers chics de la ville. Que va-t-il ressortir de ces retrouvailles ?

Miou-Miou est touchante dans ce rôle de « mère courage », tellement crédible qu’on a envie de la serrer dans ses bras. Ses partenaires sont très justes également. Mention spéciale à Brigitte Catillon, irrésistible en grande gueule sans concession. La mise en scène d’Anne Bourgeois n’est pas révolutionnaire mais très efficace.
Malgré quelques longueurs, voici donc un spectacle « sympatoche ». Selon l’expression favorite de Pierre Murat au Masque et la Plume. Sympatoche n’est pas péjoratif. Sympatoche comme un spectacle tout à fait honorable. Sympatoche pour signifier : qui ne se prend pas au sérieux. Sympatoche comme un succès qui continue d’attirer les foules, et c’est tant mieux !

Il vous reste un petit mois pour aller applaudir Miou-Miou et ses partenaires au Théâtre Hébertot. Et pour les provinciaux, la tournée se prépare…

1 – La pièce qui fut un gros succès à Broadway offre une réflexion cynique sur la condition humaine.
2 – Brigitte Catillon est tellement drôle : chacune de ses apparitions est un bonheur pour le spectateur.
3 – Miou-Miou est une comédienne qu’on a plaisir à retrouver dans ce rôle d’une « fille bien » : je lui prédis le Molière de la meilleure comédienne demain soir !…

ELECTRONIC KIT PRESS

 

EMMA MORT MEME PAS PEUR

Emma mort, même pas peur

Emma, la Clown philosophe

Spectacle vu au Théâtre 71 de Malakoff le 16 avril 2015
Actuellement en tournée (dates sur le site emmalaclown.com)
Spectacle écrit et interprété par Meriem Menant dans une mise en scène de Kristin Hestad

 
Emma mort même pas peur affiche © Pascal Gély

« Alors moi je demande une question : comment on sait qu’on est mort. Et qu’on n’est pas en train de dormir par exemple. » (signé : Emma)

Vous connaissez Emma la Clown ? Peut-être pas encore, et pourtant cela fait près de vingt ans qu’elle traîne son nez rouge sur les scènes de théâtre nationales. Originaire de Bretagne, elle écrit et interprète des spectacles sur des thèmes qui pourraient sembler austères, voire abscons. Elle a l’art de les rendre à la fois accessibles et drôles, de nous faire réfléchir et rire. De nous faire nous évader et nous questionner en même temps. Emma est une clown magicienne.

J’avais assisté l’an passé à sa Conférence sur l’Amour, un spectacle où elle tente de répondre, avec Catherine Dolto, à cette question plutôt vaste : « Au fond, c’est quoi l’Amour ? »… J’y étais allée avec ma fille, pré-ado et déjà amoureuse : succès garanti. Emma s’adresse à tous les publics. Emma est une clown universelle.

La semaine dernière, j’ai découvert un autre de ses spectacles dont j’avais beaucoup entendu parler. Emma, seule en scène cette fois-ci, s’attaque au sujet le plus grave, le plus dur, le plus effrayant… Emma nous parle de la Mort. De notre propre mort. A travers la sienne, qu’elle met en scène. Quel gageure de faire se gondoler une salle comble, constituée pour partie de jeunes relativement dissipés, à partir d’un thème aussi « plombant ». Emma est une clown ultra sensible.

On sort de la salle et on réalise que têtes de mort, cercueil, faux, testament, ossements, nous ont fait rire aux larmes. Et finalement on se dit : elle a raison Emma, il faut vivre plutôt que d’avoir peur de mourir… Et surtout il faut rire. Emma est avant tout une clown philosophe.

Pour découvrir ou redécouvrir Emma la clown, commencez par ce spectacle Emma mort, tellement fort sur l’unique chose que nous avons tous en commun finalement…

1 – Emma a choisi de s’associer à la metteur en scène Kristin Hestad, aussi intelligente qu’elle. Ensemble, elles ont fabriqué  un petit bijou.
2 – Ce spectacle est de ceux que l’on a envie de revoir, et de faire découvrir à ses proches, aux personnes que l’on aime.
3 – A tout le monde en fait : tout le monde devrait avoir la chance d’être rassuré par Emma sur sa propre mort

INTERVIEW

 

ELECTRONIC KIT PRESS

Reprise de Lucrèce Borgia à la Comédie-Française : à voir absolument!

Lucrèce Borgia

Spectacle vu le 14 avril 2015
Jusqu’au 19 juillet Salle Richelieu de la Comédie-Française
Mise en scène : Denis Podalydès

© Christophe Raynaud de Lage

Si l’on accepte la démesure et l’excès contenus dans le texte de Victor Hugo, on se laisse totalement embarquer dans la tragédie incestueuse qu’il nous conte…

Le décor est magnifique, magique : il nous transporte à Venise en l’espace de dix secondes.
L’ambiance est pesante, dès le début de la pièce. On pressent les crimes qui vont se succéder. On imagine déjà les trahisons, les larmes, les poignards, le poison, le sang, la vengeance. Et puis très vite, elle est là. On a l’impression qu’elle flotte, qu’elle vole au-dessus de la mer. Comme sortie d’un songe. Lucrèce Borgia est Guillaume Gallienne. Guillaume Gallienne est Lucrèce. Tout simplement. Sans autre artifice que sa robe de bal signée Christian Lacroix, il/elle nous entraîne dans les sentiments les plus purs comme les plus monstrueux.

Lucrèce Borgia tremble d’amour pour Gennaro, jeune capitaine interprété par la talentueuse Suliane Brahim – même si le travestissement fonctionne beaucoup moins bien qu’avec Guillaume Gallienne. Le spectateur comprend dès le premier acte qu’il s’agit d’un amour maternel. Car Gennaro est le fils incestueux de Lucrèce et de son frère Jean. Lequel Jean Borgia vient d’être assassiné par son autre frère César parce qu’ils étaient amoureux de la même femme. Cette femme n’étant autre que Lucrèce…

Lucrèce aime donc Gennaro comme une mère aime son enfant. Mais si nous, spectateurs, comprenons l’allusion à cet amour filial, son mari, le Duc Alphonse d’Este, terriblement jaloux, voit en Gennaro un amant de sa femme. Un de plus, un de trop qu’il décide de faire tuer. La scène entre Guillaume Gallienne / Lucrèce et Thierry Hancisse / Don Alphonse est d’anthologie. Lucrèce tente tout ce qui est en son pouvoir pour sauver son fils de la mort, mais  son mari la force à empoisonner elle-même Gennaro. La tragédie classique n’est pas très loin…

Dans sa note d’intention, Denis Podalydès évoque les écrits d’Antoine Vitez à l’attention de ses acteurs qui créèrent la pièce à Avignon en 1985 : “N’ayez jamais peur d’en faire trop”. On assiste effectivement à un théâtre tout en exagération, en excès, en sublime.

Si vous acceptez ce principe de départ que la pièce de Hugo est un drame romantique, avec tout ce que cela peut impliquer d’excessif, voire de “grotesque”, vous serez sans doute conquis :

1 – Vous découvrirez une Lucrèce Borgia emprisonnée dans le corps d’homme d’un Guillaume Gallienne une fois de plus époustouflant.
2 – Vous saluerez en Denis Podalydès un metteur en scène qui a le sens du sublime et de la délicatesse.
3 – Vous ressortirez de la salle comme d’un voyage dans le temps, dans l’espace, dans l’ignoble et le sublime.

ELECTRONIC KIT PRESS

 

 

 

 

 

 

Orlando ou l’impatience

A la manière d’un conte pour enfants

Spectacle vu à sa création au Festival d’Avignon en juillet 2014
Actuellement en tournée, du 8 au 18 avril au Théâtre de la Ville
Auteur et metteur en scène : Olivier Py

© Christophe Raynaud de Lage

Dans cette nouvelle création d’Olivier Py, on s’amuse à chercher les différentes clés et on retrouve son âme d’enfant…

D’Olivier Py, je n’avais vu que ses pièces pour enfants inspirées des Frères Grimm. Notamment “La Vraie Fiancée” ou “La Jeune fille, le Diable et le Moulin”. J’avais été emballée, mes enfants aussi. L’été dernier j’ai découvert à la FabricA sa toute dernière création, “Orlando ou l’impatience”, création dont la tournée passe actuellement par le Théâtre de la Ville.

Que me reste-t-il de ce spectacle, 9 mois plus tard ? Le “pitch” d’abord, assez simple, comme le sont les contes pour enfants. La mère d’Orlando lui donne des pistes pour trouver son père. Autant de pistes que de pères possibles. Une piste par acte. Chacune de ces pistes, chacun de ces pères possibles est aussi un théâtre et une philosophie de vie. Il me reste de cette quête de 3h30 des souvenirs épars et plutôt agréables.

Je me souviens des décors impressionnants sur l’immense plateau de ce nouveau lieu d’Avignon qu’est la FabricA.
Je me souviens d’un Jean-Damien Barbin irrésistible dans tous ses personnages : professeur de diction fou, directeur de cabinet fou, apnéiste fou, 
ostéopathe fou, affirmatologue fou, troueur fou, milliardaire fou et théâtreux fou.
Je me souviens de quelques scènes graveleuses, car il y en a toujours chez Olivier Py.
Je me souviens d’une Mireille Herbstmeyer magistrale dans le rôle de la grande actrice qu’est la mère d’Orlando.

Je me souviens de cet éternel recommencement, à chaque début d’acte.
Je me souviens d’avoir eu l’impression de plonger dans une sorte de conte pour enfants.
A la manière de Hansel et Gretel qui partent à la recherche de leurs parents.
A la manière de Peau d’Ane dont les robes changent de couleur, tout comme les costumes de la mère d’Orlando.
A la manière, surtout, des histoires les plus magiques : celles qui vous marquent, celles que vous gardez en mémoire, comme les légendes de votre enfance.

Amateurs d’Olivier Py, vous serez sans doute touchés par sa nouvelle création 

1 – Vous y retrouverez une partie de sa tribu de comédiens, notamment les excellents Mireille Herbstermeyer  et Jean-Damien Barbin.
2 – Vous ne pourrez vous empêcher de chercher les multiples clés et références glissées dans ce spectacle.
3 – Vous y retrouverez votre âme d’enfant, car Olivier Py a fabriqué ici son propre conte.

ELECTRONIC KIT PRESS

 

Toujours la Tempête

Des origines de Peter Handke…

Vu le 2 avril 2015 aux Ateliers Berthier – Odéon Théâtre de l’Europe
Actuellement en tournée, jusqu’au 26 septembre 2015
Mise en scène : Alain Françon

© Michel Cobra

Dans ce spectacle hypnotique, il est question de langue, de pays de naissance, de mémoire collective et finalement de la place de chacun sur Terre…

Qui est Peter Handke ? D’où vient-il ? Quelle est son histoire ? Son spectacle « Toujours la Tempête » écrit en 2012 répond en partie à ces questions. A travers l’histoire de son héros, qui n’est autre que Peter Handke lui-même. Le personnage incarné par un Laurent Stocker éblouissant ne s’appelle-t-il pas « Moi »?… Moi est né Slovène. Il est né à l’aube de l’une des périodes les plus sombres de l’histoire de ce pays. Celle de la seconde guerre mondiale, qui vit des milliers de Slovènes de Carinthie encerclés par l’Allemagne ennemie. C’est en grande partie de cela qu’il est question dans ce spectacle : de l’appartenance à une patrie. On y parle beaucoup de langue commune, de place, de territoire, de références, de mémoire collective… Comment ne pas entendre la résonance de ce texte avec l’actualité qui nous entoure ?

Laurent Stocker est prodigieux, magistral de retenue, définitivement un immense comédien. Alain Françon lui a offert une famille exceptionnelle : Pierre-Félix Gravière et Stanislas Stanic sont ses frères, Nada Strancar et Wladimir Yordanoff ses grands-parents, Dominique Valadié sa tante “Snezena” et Gilles Privat son oncle “Jonathan”. Et puis, surtout, il y a Dominique Reymond qui interprète sa mère. Cette comédienne est tellement douée que j’ai ressenti une légère frustration de ne pas la voir réapparaître dans la seconde partie du spectacle!

Ce sentiment de frustration, je l’ai éprouvé aussi au moment des saluts. Tous les spectateurs l’ont éprouvé, lorsque la lumière s’est rallumée, donnant le signal de vider les lieux. Eh oui, nous étions frustrés! Frustrés dans notre élan d’applaudissements, frustrés de n’avoir pas assez remercié les comédiens et le metteur en scène de cette incroyable mise en abyme.

Trois raisons de guetter le passage près de chez vous de la tournée de Toujours la Tempête 

1 – Pour le texte de Peter Handke, foisonnant, riche, dense, philosophique, et tellement contemporain.
2 – Pour la mise en scène tout en délicatesse d’Alain Françon, l’un des “maestro” français.
3 – Pour Laurent Stocker – l’un de mes chouchous du Français!… – qui tient la scène de la première à la dernière note.

 

ELECTRONIC KIT PRESS