Anaïs Nin : le mythe de l’écrivain n’a pas pris une ride
C’est une rencontre au sommet que nous propose Wendy Beckett, celle d’Anaïs Nin, Célia Catalifo, d’Henry Miller, Laurent Maurel et de June Miller, Mathilde Libbrecht, la femme dévergondée et insatiable d’Henry Miller.
Ce sont des rencontres de têtes autant que de corps, où la littérature et la psychanalyse dominent les relations, où la sexualité n’est qu’un faire-valoir pour mieux s’emparer puis se libérer de l’autre. L’autre sera pour Anaïs Nin, d’abord June Miller qui sera sa maîtresse puis Henry Miller qui sera son amant. Comment sortir désormais de cette triangulation ?
Anaïs Nin est une bourgeoise qui a les moyens de son indépendance. Elle écrit, publie elle-même, avec presse et encre – encre qui lui tâche les mains et fait d’elle une travailleuse -, ses textes, pour ne pas être réduite à la classification de littérature érotique dans laquelle ses éditeurs veulent la maintenir pour faire du chiffre. Elle consulte Otto Rank, Laurent d’Olce, son psychanalyste avec qui elle évoque sa solitude, son père, également Laurent d’Olce – très inquiétant dans ce rôle – qui fut son Dieu puis qui l’a abandonnée, abandon dont elle ne s’est jamais remise. Mais quand son père surgit dans sa vie de femme, elle le repousse, elle n’est plus prête à s’ouvrir à lui, à demeurer sa « fifille ». Aujourd’hui, elle est une femme indépendante qui construit sa vie de femme et se dédit des hommes dont, dit-elle, elle n’a pas besoin. Pourtant, on ne sait pas si son père est réellement venu la voir ou si elle a fantasmé sa visite. C’est une sorte de combat qu’elle mène avec une part d’elle-même pour ne plus subir l’emprise mortifère de son père.
On est un peu loin du mythe qu’on imagine de la relation puissante d’Anaïs Nin et d’Henry Miller. Miller parait dominé par Anaïs, pas tout à fait à la hauteur de ce que sera « Sexus » ou le « Tropique du Cancer ». Anaïs Nin, même si elle a marqué l’histoire des femmes, du féminisme et de la littérature en reste à beaucoup d’intellectualisme et de familialisme et incarne cependant son œuvre et nous surprend comme elle surprendra Henry Miller. Anaïs Nin voulait dire, dans la langue la plus poétique possible, son intériorité et son intimité, sans fard, aux yeux de tous, se moquant de la morale dans laquelle elle évolue pourtant, trouvant son compte dans un monde comme dans un autre, libre de toute appartenance « Je n’appartiens qu’à moi-même ». Or, dans cette pièce, Henry Miller semble être le jouet des femmes, qu’il s’agisse de June ou d’Anaïs.
Anaïs Nin met en avant son travail d’écriture avant tout et elle ne lâche rien sur ce terrain, c’est ce qui fait sa multiplicité, son indépendance, son combat. Elle veut écrire et elle écrit. C’est bien le message qu’elle nous lègue, en particulier, à nous, les femmes.
On notera tout le soin apporté au décor, avec un vrai phonographe sur scène et peut-être une vraie machine à écrire Underwood, objet symbolique de prêt entre Henry et Anaïs, à la lumière, à la musique et aux costumes velours magnifiques d’Anaïs et de fox trot de June. Tout est élégance, jusqu’aux projections sur un œilleton géant de papier, une sorte de camée géant, de lucarne de l’écrivain, sur laquelle des photos, du texte, des ombres chinoises et d’étranges montages photographiques symbolisant les peurs d’Anaïs apparaissent au gré de l’histoire qui se déroule.
Quant au jeu des comédiens, lorsque l’on voit arriver Célia Catalifo sur scène, on se dit que cette petite bonne femme n’aura pas la carrure d’endosser le mythe d’Anaïs Nin et l’on change vite d’avis, car de ce corps frêle aux épaules étroites émerge l’intransigeance du caractère d’Anaïs Nin et bientôt Célia Catalifo est plus que crédible et nous perce de son regard noir. Le charisme de Mathilde Libbrecht n’aura échappé à personne. L’accent délicieusement américain de Laurent Maurel pourra rappeler des interviews de Miller, seule sa stature serait un hic pour incarner parfaitement le corps si grand d’Henry Miller. Mais pas facile d’endosser la stature de géants tels que ceux-là. Et le mérite leur revient de nous faire croire qu’Henry, Anaïs et June sont bien présents devant nous, avec l’époque qu’ils portent, leur liberté et leur intransigeance.
Isabelle Buisson
« Anaïs Nin – Une de ses vies »
De et mis en scène par Wendy Beckett
Avec Cécilia Catalifo, Laurent Maurel, Mathilde Libbrecht et Laurent d’Olce.
Au Théâtre de l’Athénée, du 13 au 30 mars à 20h.
Photos Emilie Brouchon
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Très belle critique