Jamais seul : grandeur des petits

C’est parce que les critiques de théâtre contemporain lui reprochent sa longueur, parfois son écriture, son manque de rythme… qu’on a envie de vous parler de Jamais Seul.

Au contraire, on n’a pas vu passer les 3h30 !! Et quand il y a de rares scènes où les minutes se font sentir, c’est pour mieux nous rappeler la langueur et la déprimante vie des laissés pour compte. Ce sont eux le sujet de la pièce : les petites gens des zones pavillonnaires fantômes, les abonnés à Pôle Emploi, les migrants, les migrés, les immigrés, les sdf, les simplets, les simplettes, les simples, les vrais gens qui existent pour de vrai.

Jamais Seul, de Mohamed Rouabhi, mise en scène Patrick Pineau, coup de coeur Pianopanier@Eric Miranda

Les comédiens sont touchants de vérité. Ils sont 15 à interpréter 40 personnages. Le temps de ces 3h30, on a copiné avec chacun d’entre eux et chacune d’entre elles : au groupe de parole des sans-emploi, sur un canapé de HLM, en poussant un caddie de supermarché hard-discount, sur un quai de RER, en traversant un no man’s land au pied des barres de la cité, sur la table en Formica de la cuisine familiale, dans un jardin mal entretenu, dans l’ombre d’un garage ou à la lumière d’un téléviseur.

La mise en scène de Patrick Pineau est efficace. Elle ne laisse pas de place à autre chose que l’idée. Pourtant dans son efficacité elle n’est pas mécanique. Il y a un aiguillage sophistiqué qui permet au spectateur de se mettre automatiquement à la bonne fréquence dans cette succession de rencontres en des lieux variés : sans effort on devient l’intime d’un groupe de parole, le membre d’une équipe de foot alpaguée par son coach, le copain de boisson, le paumé fasciné par les révélations d’un prophète, l’ami impuissant face à un geste fatal, l’accoucheur qui tient un bébé mort, le fan d’Eric Cantona même si on n’a jamais aimé le foot… c’est magique !

amais Seul, de Mohamed Rouabhi, mise en scène Patrick Pineau, coup de coeur Pianopanier

Les décors, l’utilisation du hors-scène, la vidéo, la musique, la lumière, viennent parfaire cette fresque politico-sociétale. Ils viennent souligner et mâcher le texte de Mohamed Rouabhi. On a aimé ces mots, d’une simplicité apparente, mais ô combien efficaces dans leur révolte, leur misère, leur poésie et leur espérance. Ces héros populaires peuvent être taiseux, mais quand ils parlent, c’est pour vous dire 3 choses en même temps. Il y a la réalité de leur situation, les raisons de leur désespoir, et les lueurs de leur espérance.  On ne peut rester insensibles à ces facettes que Patrick Pineau voulait mettre en relief. Les gens même les plus simples et les plus insignifiants sont moins seuls que nous.

Enfin, gros coup de foudre pour le personnage d’Emilie la simplette, ou même la folle… mais tellement en prise avec la réalité. Elise Lhomeau l’incarne avec splendeur et nous montre des étoiles qu’on ne regardera plus jamais de la même façon. Valentino Sylva en Jimmy comme en clown nous élève lui aussi ! On ne veut pas redescendre de l’orbite céleste sur laquelle ces gens si simples nous ont envoyés. Les pieds liés et les mains dans la merde, ces personnages de la vraie misère nous touchent par tous les sentiments déployés en nous. Le rire jaune convoque la légèreté, la haine la poésie, le réalisme le rêve, et la peur l’espérance.

On a envie de les inviter à bouffer chez soi ces anonymes, juste pour les écouter, et être moins seul !

Géraldine Vasse

 

Texte : Mohamed Rouabhi
Mise en scène : Patrick Pineau –  Cie Pipo
Avec : Birane Ba, Nacima Bekhtaoui, Nicolas Bonnefoy, François Caron, Morgane Fourcault, Marc Jeancourt, Aline Le Berre, Elise Lhomeau, Nina Nkundwa, Fabien Orcier, Sylvie Orcier, Patrick Pineau en alternance avec Christophe Vandevelde, Mohamed Rouabhi, Valentino Sylva, Selim Zahrani

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