Le Tigre bleu de l’Euphrate : Triste désir…

Triste désir morbide empli de terreur

Connaissez-vous l’histoire d’Alexandre le Grand. Comme beaucoup de Grand, il est devenu Grand par ses actes de guerre. C’est un bâtisseur de la civilisation grecque envahissant l’empire perse.

L’épure est de mise, Emmanuel Schwartz, le comédien qui joue les dernières heures d’Alexandre le Grand, est seul en scène, sur un lit immaculé placé au centre du plateau, tout le pourtour représente les paysages brouillés des hauteurs des crépuscules et des aubes d’Alexandre.
Un long monologue déclamatif va nous narrer les gloires morbides du grand Alexandre pendant 1h30.
La voix d’Emmanuel Schwartz a le métal et le débit d’un Vicky Messica, dans « La Prose du Transsibérien et la petite Jheanne de France » de Blaise Cendras, dans une bonne première partie du monologue et son corps, la dislocation du squelette d’un vieillard.

La première description de champs de bataille qu’évoque Alexandre m’a rappelé les descriptions de Flaubert de champs de bataille après la bataille décrites dans « Salammbô ».

La description de la traversée marine m’a renvoyée au passage central de « Océan Mer » d’Alessandro Barrico ou encore à l’œuvre de Joseph Conrad.

La vie d’Alexandre est vraiment horrible, triste, terrible, la terreur et la fureur mènent le texte et le personnage de bout en bout.
Le désir, bien que cité et évoqué à plusieurs reprises, n’apparait pas sous le flot de morbidité et la présence discontinue d’Adès. S’il y a désir dans la représentation que Laurent Gaudé se fait d’Alexandre le Grand, c’est un désir de destruction perpétuelle, la pulsion de mort au service de l’anéantissement.

J’ai eu du mal à entrer dans le texte que j’ai trouvé difficile, un temps d’adaptation aurait été nécessaire. L’effort à fournir pour la compréhension du texte et la chronologie de la vie et l’oeuvre d’Alexandre est important. Le lyrisme nous emporte parfois, mais le public est laissé sur la brèche bien souvent et on se perd un peu dans toutes ces batailles et leurs atrocités.

C’est encore une fois la voix du comédien qui nous capte et ses performances vocales. Son débit de parole, compte tenu de la densité du texte, est à la fois surprenant, j’ai eu parfois l’impression d’entendre une pub à la radio, au débit hypersonique, et en même temps, on est sous le charme de cette hystérie. Il fallait bien entrer tout le texte en 1h30, se dit-on ! Qu’ont véritablement voulu montrer le metteur en scène et le comédien par ce choix ? L’ensemble des fluctuations sonores donne un rythme étrange, déjà d’entre les tombes.

Le mode narratif oscille entre l’épopée, le mythe, une parole d’entre les tombes, comme si Alexandre le Grand était déjà enterré quand il nous parle et qu’il le faisait depuis son tombeau.

Il est beaucoup question de boire, métaphore du désir babylonnien d’Alexandre et bizarrement, il se nourrit peu ou pas. Tandis que moi, toute humble face au Grand Alexandre, ce qui m’est venu du désir d’Alexandre et de son interprétation par Laurent Gaudé, c’est la faim et non la soif. Peut-être parce que mon désir est plus solide et moins morbide que celui de la rencontre entre Alexandre le Grand et Laurent Gaudé.
Le Tigre bleu de l’Euphrate est le symbole du désir de puissance assouvi d’Alexandre le Grand. Il m’est presque apparu ce tigre bleu, fugacement, quand il s’est retourné pour me regarder, sur le bord de la rive. Je l’imagine d’un bleu presque gris, mais tout de même bleu.

La salle était comble ce soir-là, mais le public était dépité, ennuyé en sortant de la petite salle du Théâtre de la Colline.
Dommage, moi, qui aime tant les romans de Laurent Gaudé.

Isabelle Buisson,
Atelier d’écriture À la ligne

 

Le Tigre bleu de l’Euphrate
de Laurent Gaudé (texte est paru en 2002 aux éditions Actes Sud-Papiers)
mise en scène Denis Marleau
Avec Emmanuel Schwartz
vu au Théâtre National de la Colline
Photos © Yanick Macdonald

Collaboration artistique et conception vidéo Stéphanie Jasmin
scénographie Stéphanie Jasmin et Denis Marleau assistés de Stéphane Longpré
lumières Marc Parent | musique Philippe Brault | costumes Linda Brunelle | maquillages et coiffures Angelo Barsetti | design sonore Julien Eclancher | coordination et montage vidéo Pierre Laniel | assistanat à la mise en scène Carol-Anne Bourgon Sicard

Production UBU – compagnie de création
Coproduction Théâtre de Quat’Sous – Montréal
La compagnie UBU est subventionnée par le Conseil des arts et des lettres du Québec, le Conseil des arts du Canada et le Conseil des arts de Montréal
 
avec le soutien de la Délégation générale du Québec à Paris 
 
Le spectacle a été créé le 19 avril 2018 au Théâtre de Quat’Sous à Montréal

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