“Il n’y a que la foi qui sauve”, Claudel ou la foi et l’exaltation

Le plateau est énorme, vide. Au sol, de larges taches mauves le recouvrent, entremêlées de rouge. Le noir se fait, le spectacle va commencer. Soudain, une pluie de sable s’abat sur le milieu de la scène, fine et délicate d’abord, puis de plus en plus dense. Surgit de derrière cette pluie, une jeune femme, en robe lavande. La pluie cesse et laisse découvrir cette gracieuse apparition, Marthe, épouse pieuse et dévouée de Louis Laine, fraîchement débarquée aux Etats-Unis.
Une fois écoulé, le sable forme un petit îlot, carrefour de leurs errances, de leurs doutes, de leur amour. C’est là qu’ils rencontrent Letchy Elbernon, une actrice émancipée américaine, l’élégance incarnée –  Francine Bergé arbore le rouge avec grande classe- et Thomas Pollock, un riche homme d’affaires en baskets blanches Veja- la dernière mode. Choc de la rencontre, des cultures, des idéaux. Entre élan sublime et vague destructrice.

“Moi je connais le monde. J’ai été partout. Je suis actrice, vous savez. Je joue sur le théâtre.
Le théâtre. Vous ne savez pas ce que c’est ?”

Les ennuis commencent avec cette proposition de Thomas Pollock à Louis Laine : échanger sa femme Marthe contre une poignée de dollars. Plus qu’un simple échange monétaire et sentimental, Claudel met en lumière dans ce drame intime les relations conflictuelles d’un moi pluriel. Il le dit lui-même:  “je me suis peint sous les traits d’un jeune gaillard qui vend sa femme pour retrouver sa liberté. J’ai fait du désir perfide et multiforme de la liberté une actrice américaine, en lui opposant l’épouse légitime en qui j’ai voulu incarner la passion de servir. En résumé, c’est moi-même qui suis tous les personnages, l’actrice, l’épouse délaissée, le jeune sauvage et le négociant calculateur – lettre du 29 avril 1900. Les couples bataillent, ils ne savent pas comment être au monde, tragédie intime, tragédie humaine. Pour Marthe, “il n’y a que la foi qui sauve”, c’est peut-être la seule qui a finalement trouvé son salut…

“Dans votre vie à vous, rien n’arrive. Rien qui aille d’un bout à l’autre. Rien ne commence, rien ne finit. Ca vaut la peine d’aller au théâtre pour voir quelque chose qui arrive. Vous entendez ! Qui arrive pour de bon ! Qui commence et qui finisse !”

La scénographie épurée met parfaitement en valeur cette très belle distribution d’acteurs. Il parait que la respiration dans le texte de Claudel permet de comprendre des choses de l’âme… C’est dire sa beauté, c’est dire sa difficulté aussi. Le texte nous parvient, aussi exigent soit-il, mais pas complètement. Peut-on vraiment arriver à toucher le sublime ?                           Anne-Céline Trambouze 

L’Echange, de Paul Claudel (première partie) à l’affiche des Gémeaux, Sceaux
Jusqu’au 22 décembre  – mercredi au samedi 20h45, dimanche 17h
Mise en scène : Christian Schiaretti
Avec Francine Bergé, Louise Chevillotte, Robin Renucci, Marc Zinga

crédits photos : Michel Cavalca

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